La région, du collectif au compétitif
Troisième volet de l’étude de la division régionale de l’Insee, “Le développement humain” offre une image particulière du Nord-Pas-de-Calais. Si énoncer que ses habitants sont plus précarisés qu’ailleurs relève parfois du raccourci caricatural, force est de reconnaître que les lésions sociales existent et perdurent dans des lieux facteurs d’exclusion récurrente dont il est difficile de sortir. Les inégalités ont un large spectre : revenus, santé, éducation... et mortalité.
Les chercheurs de l’Insee ont tenté de mesurer le “développement humain” des habitants en Nord- Pas-de-Calais. Pour cela, ils ont sélectionné certains critères : ressources monétaires, conditions de vie, accès à l’emploi, éducation et conditions sanitaires. Une des régions les plus riches de France, le Nord-Pas-de-Calais produit 80 milliards d’euros de biens et services. C’est la 4e région de France en termes de création de valeur ajoutée. Cependant, “rapporté à la population totale, le PIB est de 19 900 euros par habitant (…). Un niveau parmi les plus bas au sein des régions de France métropolitaine”. Aussi, la qualité d’un pays, d’une région ou d’un territoire est-elle le fruit d’un rapport entre ses richesses et la qualité de vie de ses habitants. Les éléments de compréhension de l’étude s’appuient sur des indicateurs sociaux précis. On ne peut ainsi ignorer que 6,8% de la population régional est au RMI (chiffres fin 2008), “une proportion qui a globalement augmenté”. Dans le bassin minier, le chiffre dépasse 10%. En Métropole, dans l’Arrageois ou en Flandre-Lys, ce chiffre descend à 3%. “La chronique et l’ampleur du décrochage dans le progrès social marquent le départ de la présente analyse, visant à retracer les trajectoires des espaces régionaux au regard du développement humain”, expliquent les chercheurs. Contextuellement, ils ajoutent qu’“à la croisée des évolutions sociales, économiques, culturelles et sanitaires, le développement humain s’inscrit sur une temporalité longue : l’élévation du bien-être collectif, imperceptible d’une année sur l’autre, ne transparaît qu’avec un recul historique. La période dite des trente glorieuses a sans doute marqué les esprits des pays développés par l’accélération du développement qu’elle a consacré. Pour la première fois, une même génération pouvait apprécier, au fil de sa vie, un enrichissement progressif de l’ensemble de la société, avec une amélioration concomitante des ressources des ménages, du niveau de formation, des conditions sanitaires, de l’accès à la culture, s’accompagnant d’une formidable émancipation des groupes sociaux”.
Les “trente chômeuses”. Le Nord-Pas-de-Calais n’offre pas de tableau homogène de la pauvreté : plusieurs zones apparaissent plus touchées que d’autres. Généralement, “les grandes agglomérations régionales figurent parmi les zones à fort taux de bas de revenus. Dans ces espaces, les situations de pauvreté sont le plus souvent concentrées dans des poches territoriales et sur des groupes spécifiques de population – par exemple dans les zones urbaines sensibles (ZUS). Elles correspondent à des mécanismes de segmentations sociales où les ménages aux ressources les plus faibles se concentrent dans des quartiers à l’habitat moins onéreux.” La région se décompose en trois grandes zones. “Des espaces à dominante urbaine et périurbaine où le développement humain apparaît contrasté, entre des territoires aisés et des zones localisées de difficultés sociales. Des espaces caractérisés par le cumul des facteurs sociaux dégradés et la persistance des difficultés socio-économiques depuis plusieurs décennies.Des espaces sous influence rurale et périurbaine présentant une situation de développement humain plus favorable et homogène sans toutefois concentrer les richesses”. Première variable dans la considération des populations pauvres de la région, les revenus sont disparates. “Le premier facteur à examiner pour comprendre les différences de développement humain dans les territoires portent sur les revenus dont disposent les ménages avant la prise en compte de la redistribution sociale. (…) Contrairement à une idée reçue, le taux de rémunération, par exemple le niveau horaire des salaires, n’est pas l’élément déterminant pour comprendre le relatif déficit de richesse des ménages”, préviennent les statisticiens. Le salaire horaire moyen de la région est comparable aux autres régions françaises. C’est au niveau infra-territorial qu’on peut alors mieux analyser les poches de pauvreté (voir schémas en haut de la page). Analysant le phénomène sur la durée, les experts parlent des “trente chômeuses” succédant aux trente glorieuses : après un développement du chômage dans les années soixante-dix et quatrevingt (cf. étude socio-économique parue dans La Gazette n° 8414) et une remontée du taux d’emploi au début des années quatre-vingt-dix, le chômage repart à la hausse et s’accroît fortement depuis la crise de 2008/2009.
La surmortalité, une question délicate… On ne meurt pas au même âge selon les territoires. Constat brut des statistiques régionales, cette observation est particulièrement brutale. “A structure d’âge égal, le Nord- Pas-de-Calais affiche en 2006 une surmortalité de l’ordre de 25% par rapport au niveau national. Seul un nombre limité de cantons en périphérie des agglomérations lilloise, arrageoise et valenciennoise présente une moindre mortalité que la moyenne française. La surmortalité la plus forte (+ 50%) est essentiellement enregistrée dans l’ouest de l’ex-bassin minier, dans l’Audomarois, le Boulonnais ainsi qu’aux alentours de Dunkerque.” Pourtant, les auteurs de l’étude marquent leur réserve devant les chiffres de la mortalité : “L’établissement des corrélations spatiales entre les dimensions sanitaires et les dimensions sociales doit se faire avec prudence. L’indicateur comparatif de mortalité présente des corrélations établies au niveau des zones géographiques sur un nombre restreint d’individus. Par construction même, ils ne concernent pas les mêmes personnes : les statistiques sanitaires concernent les décès, les données sociales, les vivants. Néanmoins, ces liaisons présentent des correspondances entre la défaveur sanitaire et les difficultés sociales. (…) Ces résultats mettent ainsi en évidence des comportements individuels préjudiciables à la santé et souvent liés aux situations de pauvreté.” Les habitudes alimentaires, les soins pris souvent avec retard ou pas du tout…, ces pratiques à risque ne sont pas systématiques mais le rapport entre pauvreté et conditions de vie menant plus facilement au trépas est indéniable. Ce critère, rarement utilisé, démontre, s’il en était besoin, les conséquences sociétales d’une économie en crise ou continuellement déséquilibrée. Dans leur synthèse, les auteurs de l’étude l’écrivent sans a priori : “Plusieurs symptômes laissent penser que le développement humain se construit désormais sur une modalité compétitive plutôt que collective.” Le capitalisme a-t-il gagné aussi la bataille de la solidarité ?