La profession du chiffre en "refondation"
Experts-comptables et commissaires aux comptes de la région étaient réunis en nombre pour la 5e édition de Campus Experts. Elle a été l'occasion pour leurs présidents nationaux respectifs, Philippe Arraou et Denis Lesprit, d'expliquer et de détailler leurs visions de l'avenir.
Il fallait s’en douter : les experts-comptables et les commissaires aux comptes de la région ont répondu en masse à l’invitation que leur avaient adressée leurs présidents régionaux respectifs, Hubert Tondeur et Régis Gourlet, à participer à la 5e édition de Campus Experts. Au moins 450 ont fait le déplacement à Lesquin.
Il est vrai que, pour la première fois, Compagnie régionale des commissaires aux comptes et Conseil régional des experts-comptables faisaient campus commun, permettant à leurs membres de bénéficier d’un panel de six formations homologuées, de participer en un seul déplacement à leurs assemblées générales annuelles respectives et surtout d’être à l’écoute de leurs présidents nationaux, Philippe Arraou et Denis Lesprit, qui avaient accepté, au-delà de leur présence aux assemblées générales, de participer à une table ronde commune.
Il est vrai aussi que Régis Gourlet, avait fait part, dans ces mêmes colonnes récemment de ses “états d’âme empreints d’inquiétude” de président de la Compagnie régionale et de membre du bureau de la Compagnie nationale sur l’avenir du commissariat aux comptes. L’attente était grande quant aux précisions des présidents nationaux sur leurs visions de l’avenir de la profession.
Dès l’entame de la journée, en préalable à l’assemblée générale de la Compagnie régionale − et “sans revenir sur ce qui préoccupe principalement la profession du commissariat aux comptes, à savoir les conséquences de la transposition de la réforme européenne dans notre droit national et les conséquences sur l’organisation de nos cabinets et de nos instances” −, Régis Gourlet a rappelé son “manque cruel de visibilité sur la place des institutions régionales demain“. Il s’est dit, “à un moment où la profession est chahutée, où l’économie connaît une ‘ubérisation’ largement vecteur de l’émergence et de la croissance d’une économie parallèle, (rester) convaincu du rôle primordial et essentiel du commissaire aux comptes. Il est créateur de confiance, garant du respect du droit, bouclier contre la fraude fiscale“.
Refondation. Dans son intervention devant l’AG et en réponse à Régis Gourlet, Denis Lesprit a dit “comprendre que certains puissent voir (dans l’actualité de la loi Macron et de la réforme européenne) l’addition de menaces, de contraintes, de remises en cause“, pour mieux affirmer que “la profession en a vu d’autres“ et qu’il “reste persuadé que nous pouvons ensemble décider, dessiner une nouvelle profession, en tout cas la refonder, pour qu’elle réponde davantage aux mutations profondes de notre société et de son économie, à l’indispensable besoin de confiance et de transparence dont ont besoin les entreprises, les entrepreneurs, notre économie et notre pays. Si nous savons saisir les opportunités qui se présentent à nous, nous pouvons inscrire un audit légal beaucoup plus fort, beaucoup plus légitime, fondé sur son apport, sur sa valeur ajoutée et sa nécessité dans un monde qui a de plus en plus besoin de transparence et de confiance pour développer la croissance“.
Ceci dit, s’il se félicite de ce que la loi Macron a étendu le périmètre d’exercice des experts-comptables, il fait aussi le constat de ce que “notre environnement ne comprend pas la formule ‘une profession deux métiers‘” et reconnaît ne rien savoir de ce que “sera l’avenir de la structure d’exercice pluridisciplinaire“. En pleines négociations sur la transposition de la directive européenne qui doit avoir abouti pour le 16 juin 2016, le président de la CNCC fait état ici de contre-propositions pour la création de commissions régionales de discipline pour les mandats non EIP, pour l’ancrage du principe de proportionnalité dans le code de commerce avec des critères de risques systémiques et d’activités pour ce qui concerne les PE-PME, davantage qu’avec des critères de seuils. “Le problème des seuils, explique-t-il, est un caillou dans notre jardin. Il nous faut nous occuper de ce problème en profondeur.“
Attractivité, communication… “Nous sommes à un moment de notre histoire où nous allons nous refonder par la réforme européenne, mais aussi par la révolution technologique, par les évolutions de notre profession et des techniques d’audit et par la vision de notre environnement qui vient nous voir pour des missions qui vont au-delà des comptes annuels. Nous avons là une opportunité. Il nous faut la saisir. (…) La refondation est là. Nous saurons en sortir renforcés, pour peu que nous sachions sortir de notre image de contrôleurs qui viennent après la bataille pour endosser celle de régulateurs au service de l’intérêt général, c’est-à-dire de l’économie auprès des entreprises et des entrepreneurs.“
“Un rôle incontournable“. De la table ronde, très attendue mais un peu écourtée pour cause d’avion à prendre, il ressort que pour les deux présidents, comme l’a dit Denis Lesprit, “le modèle français, c’est la présence dans le tissu économique de proximité d’un seul et même professionnel qui exerce le métier d’expert-comptable et le métier de commissaire aux comptes par une même société“. Leur argument majeur repose sur la mission d’assurance de ce professionnel réglementé et sur la sécurité financière et fiscale qu’il apporte à son environnement, chefs d’entreprise, pouvoirs publics, etc., dans un monde marqué par la crise et la défiance. “Le modèle que nous avons est un modèle qui a de l’avenir, assure Philippe Arraou. Bien sûr que nous sommes bousculés par les technologies, mais notre rôle dans un contexte économique tendu reste incontournable.“
N’empêche, les menaces existent et celle des appels d’offres, qualifiée de “spirale infernale” avec la baisse des tarifs qu’ils sous-tendent, n’est pas la moindre. L’appauvrissement de la profession peut être générateur de moindre qualité. Impensable pour des professionnels réglementés qui ont un code de déontologie ! Quand Denis Lesprit propose de réfléchir sur l’opportunité de créer la notion de vente à perte − “on ne peut pas avoir de la qualité à prix cassés !” −, Philippe Arraou en appelle au rôle d’élu : “ce qui se passe sur les appels d’offres est honteux ! Nous avons le devoir de ramener les confrères dans le droit chemin“, en proposant de les traduire en commission de discipline.
Une ou deux instances ? Autre débat amorcé au Campus, mais qui devrait prendre de la consistance lors des prochaines élections professionnelles de la fin 2016, l’unicité des instances professionnelles. Pas convaincu de son intérêt − “si cela a du sens, nous irons” −, Denis Lesprit plaide pour un travail “pas à pas en complémentarité” sur la cogestion du stage, le problème de la commercialité accessoire “pour être suffisamment différencié pour avoir le champs PE-PME et suffisamment proche pour que les synergies et le modèle français puissent être perçus par notre environnement“. En réponse, Philippe Arraou est plus radical et considère que “deux institutions avec les mêmes professionnels, cela ne peut pas durer. Nous avons tout à gagner à être unis. La question mérite d’être approfondie. Je redoute une dichotomie à l’intérieur de la profession. Il n’est pas de l’intérêt de la profession d’avoir des professionnels à deux vitesses, ceux qui font de la certification et les autres…“.
Durant l’AG des experts-comptables du Nord-Pas-de-Calais, Philippe Arraou s’est félicité de la loi Macron qui a étendu le périmètre d’exercice des experts-comptables et a rappelé les actions entreprises par le Conseil supérieur pour l’ensemble de la profession dans un environnement normatif et technologique de plus en plus complexe. En tant que créateur de confiance, l’expert-comptable joue un rôle et aura un rôle à jouer de plus en plus important auprès des dirigeants d’entreprise, mais également auprès des structures publiques ou des personnes physiques.
À ce titre, dans son rapport moral, Hubert Tondeur a rappelé que les actions du Conseil régional s’inscrivait totalement en droite ligne de celle du Conseil supérieur, d’une part pour donner les outils nécessaires aux professionnels régionaux et leur permettre d’aborder les mutations de leur environnement en répondant aux attentes de leurs clients et, d’autre part, pour communiquer auprès de l’ensemble des acteurs de l’économie et de la société civile sur les missions de l’expert-comptable. Propos repris par François Cousin, administrateur général des finances publiques, représentant du directeur général des finances publiques et du préfet : il s’est félicité des excellentes relations avec l’Ordre régional et des actions entreprises par la profession pour à la fois communiquer sur les mesures en faveur des entreprises et jouer pleinement son rôle de service au public en s’inscrivant dans la démarche de dématérialisation des déclarations fiscales au travers de l’opération “Allo impôt”.
Rendez-vous à Bruxelles. En intervenant devant l’AG du Conseil régional des experts-comptables, le nouveau président qu’est encore Philippe Arraou (il a été élu en mars 2015) a rappelé quelques axes essentiels de sa mandature. Ainsi, l’accompagnement des cabinets dans les défis posés par l’évolution de la profession sur les sujets du numérique, du conseil et de la communication “pour valoriser le rôle et l’expertise de la profession“. Mais aussi sa volonté d’investir dans le champ de l’accompagnement et du conseil aux collectivités publiques et d’agir en Europe et à l’international. D’où la décision prise de reporter le congrès de l’Ordre qui était annoncé à Lille pour 2016 à 2017 et celui de Clermont-Ferrand à 2018. Le 71e congrès aura lieu à Bruxelles du 28 au 30 septembre 2016 sur la thématique des enjeux européens avec, pour rapporteur, Hubert Tondeur. Les experts-comptables ont “la volonté d’agir et de s’engager dans la construction européenne… L’Europe, ce n’est pas que subir des textes, c’est aussi une contribution à cet exercice de la construction du marché unique“.