La prévention, au cœur de la justice économique en temps de crise
Alors que le ministre de la Justice vient de lancer une mission sur le rôle de l’institution judiciaire dans l’accompagnement des entreprises en difficulté, les tribunaux de commerce se préparent à affronter une vague de défaillances liées à la crise sanitaire. Au cœur de leur arsenal : les procédures préventives que sont la conciliation et le mandat ad hoc.
Comment améliorer l’information des chefs d’entreprise pour mieux faire connaître les mécanismes de prévention des difficultés et les avantages des procédures préventives, et comment rendre ces dernières plus attractives et encore plus efficaces ? Tels sont les défis sur lesquels veulent travailler les grands acteurs de la justice commerciale pour mieux affronter les répercussions de la crise sanitaire sur l’économie et sur la santé des entreprises. Et telles sont les grandes questions qui ont été placées au cœur de des réflexions des 7èmes Assises nationales de la prévention des difficultés des entreprises, organisées le 18 septembre dernier par l’Association Droit & Commerce.
Des outils trop peu utilisés alors qu’ils ont fait leurs preuves
Pour éviter autant que possible les procédures collectives, les juges consulaires disposent, avec la conciliation et le mandat ad hoc, d’outils préventifs qui sont autant de solutions amiables et confidentielles ou de publicité très limitée. Ainsi, la désignation d’un mandataire ad hoc par le juge permet au dirigeant qui rencontre des difficultés d’être assisté dans les négociations avec ses créanciers ou dans la recherche de financement.
Mais, dans la pratique, le recours à ces procédures préventives peine à se développer. Selon les données 2019 du ministère de la Justice sur l’activité des tribunaux de commerce et des chambres commerciales des tribunaux judiciaires, ces derniers ont ouvert 93,6% de procédures collectives (dont deux tiers de liquidations judiciaires), contre seulement 6,4% de procédures amiables. Ce faible taux de recours aux procédures amiables est d’autant plus regrettable qu’elles enregistrent un fort taux de réussite : en 2018, 70% des mandats ad hoc et 47,6% des conciliations ont permis d’aboutir à un accord entre le débiteur et ses créanciers.
«Les outils du droit français sont efficaces, il faut communiquer davantage pour que ces procédures préventives soient plus utilisées», et réfléchir à des aménagements «pour accroître encore leur efficacité», a souligné Laura Sautonie-Laguionie, professeur à la faculté de droit et de science politique de l’Université de Bordeaux, au cours de ces Assises nationales de la prévention des difficultés des entreprises.
Les tribunaux de commerce aux avant-postes
«Nous sommes d’évidence dans le calme qui précède la tempête et à l’orée d’un tsunami auquel les tribunaux de commerce vont devoir faire face», a déclaré le président du tribunal de commerce de Bordeaux, Jean-Marie Picot, en ouverture d’une table-ronde réunissant plusieurs acteurs de l’accompagnement des entreprises en difficulté. «Il est dans l’ADN des tribunaux de commerce de se soucier autant du sort des débiteurs malheureux que de celui des clients et fournisseurs qui, par effet domino, peuvent à leur tour être entraînés par ces difficultés», a-t-il tenu à rappeler.
Parmi les obstacles auxquels il faudrait, selon lui, remédier figure, notamment, le coût des procédures amiables, «qui n’est pas corrélé aux moyens de ceux auxquels elles sont censées bénéficier». Et d’évoquer «ces chefs d’entreprise, patrons de PME, qui viennent me voir, demandent une conciliation, (…) à qui nous indiquons les frais auxquels ils vont devoir faire face, et qu’on ne revoit plus ensuite». Il a également témoigné de «la frustration» à laquelle sont confrontés nombre de juges consulaires face à la difficulté «de faire venir des débiteurs dont la défaillance est proche devant nos cellules de prévention», au fait «de ne plus pouvoir attraire devant le tribunal les entreprises en état de coma avancé, parce que le parquet est débordé», ou encore «devant l’état de coma dépassé dans lequel se présente une majorité d’entreprises, ce qui ne permet pas de leur faire bénéficier d’un rebond».
Et si «les tribunaux de commerce se préparent» au tsunami annoncé, «il faut que tous les acteurs économiques soient vraiment convaincus que ce ne sont pas les affirmations de la loi mais les anticipations de tous qui justifieront que notre législation, au demeurant perfectible, continue de s’intituler «LSE», c’est-à-dire loi de sauvegarde des entreprises.»
Une mission flash pour mieux accompagner les entreprises en difficulté
Enfin, comme nombre de ses homologues, le président du tribunal de commerce de Bordeaux a salué l’initiative du garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, de confier à George Richelme, ancien président du tribunal de commerce de Marseille et actuel président de la Conférence générale des juges consulaires de France, une mission de réflexion sur le rôle de l’institution judiciaire à l’égard des entreprises en difficulté et sur l’accompagnement et le rebond des entrepreneurs.
Annoncée le 10 septembre dernier, cette mission dispose de trois mois pour trouver les moyens de renforcer l’accompagnement des TPE et PME en difficulté par les tribunaux, en améliorant l’utilisation des outils de la justice commerciale, voire en faisant évoluer les pratiques actuelles et en préconisant des aménagements des dispositifs existants. Le gouvernement souhaite avant tout encourager les chefs d’entreprise à solliciter les tribunaux de commerce pour trouver des solutions de prévention de leurs difficultés.
«La crise est là, et des entrepreneurs, des commerçants, des agriculteurs vont connaître des difficultés. Ils sont souvent assaillis par la honte, la culpabilité et n’osent pas franchir la porte d’un tribunal parce qu’ils ont peur. La justice doit les aider», a ainsi déclaré le ministre de la Justice dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, le 15 septembre dernier.