La Monnaie, cité populaire de Romans sous pression après la mort de Thomas

Longtemps, Romans-sur-Isère a brillé pour ses chaussures de luxe, avant de perdre ses usines et sa superbe. La mort tragique de Thomas, un lycéen de la ville, a jeté une lumière crue sur l'un des quartiers...

Un immeuble de la cité de la Monnaie, quartier dont seraient issus certains suspects dans l'enquête sur la mort du jeune Thomas, le 2 décembre 2023 à Romans-sur-Isère, dans la Drôme © Sylvain THOMAS
Un immeuble de la cité de la Monnaie, quartier dont seraient issus certains suspects dans l'enquête sur la mort du jeune Thomas, le 2 décembre 2023 à Romans-sur-Isère, dans la Drôme © Sylvain THOMAS

Longtemps, Romans-sur-Isère a brillé pour ses chaussures de luxe, avant de perdre ses usines et sa superbe. La mort tragique de Thomas, un lycéen de la ville, a jeté une lumière crue sur l'un des quartiers pauvres de la petite orfèvre du cuir.    

"On essaie de vivre normalement, mais on est sur le qui-vive", lâche à la dérobée une dame de 69 ans, air crispé, pas pressé, en promenant son chien le long de la petite cité de la Monnaie, en marge du centre historique. 

Karim (prénom d'emprunt) qui vit dans ce quartier prioritaire de 0,34 km2, "n'ose plus (en) sortir" ni "aller à Romans", sous-entendu le centre ville. "On n'a pas envie d'être regardés de travers, pas envie d'être attaqués en chemin". 

Car depuis la mort de Thomas lors d'un bal à Crépol, un village à 18 km à l'est vers le massif du Vercors, un halo de suspicion entoure la cité connue pour ses violences urbaines, alimentées, selon plusieurs sources policières, par "une poignée de gamins". 

L'enquête pour "meurtre en bande organisée" ouverte par le parquet de Valence a débouché sur la mise en examen de neuf jeunes. Certains suspects seraient issus du quartier sensible où des perquisitions ont été menées. 

Surtout, des noms ont circulé sur les réseaux sociaux, largement diffusés par des comptes d'ultradroite, poussant "plusieurs jeunes à porter plainte", selon une source policière. Une famille a même été obligée de déménager, selon un des avocats liés au dossier. 

Cette campagne virulente, nourrie par des déclarations politiques de la droite et de l'extrême droite sur le thème de l'insécurité et de l'immigration,  a amplifié un "sentiment d'injustice", commente l’enseignant Régis Roussillon devant le lycée de Thomas où selon lui "il fait bon travailler" et où "la mixité sociale est de mise". 

Depuis le drame et la démonstration de force de militants identitaires le week-end dernier à Romans, "on a un malaise croissant dans les classes" et "30% d'absentéisme dans certains lycées", poursuit le représentant SNES-FSU en appelant "au calme et à la sagesse". 

"J'accompagne désormais ma fille de 13 ans jusqu'à l'école, matin, midi et soir", dit Karim devant un café de La Monnaie, un des rares commerces. 

"Ils ciblent aussi les personnes âgées et sonnent n'importe où à Romans quand ils voient des noms arabes" sur les boîtes aux lettres, pour "les défoncer", assure Kateb (prénom d'emprunt).  

Pour eux, la maire LR, Marie-Hélène Thoraval, et ses critiques du "niveau de délinquance" du quartier alimentent une spirale dangereuse. 

"On est en deuil nous aussi. Mais pourquoi envenimer les choses? Pourquoi nous montrer du doigt? Ils veulent la guerre civile?", se désole Karim, 39 ans.   

"On est Français, certains paient des impôts, il y a des bac+5 ici aussi. C'est très grave de nous stigmatiser", abonde un autre. 

"isolé"

Sorti de champs dans les années 1950, La Monnaie a un temps incarné la fulgurance des "Trente Glorieuses". Quand l'industrie locale de la chaussure employait 7.000 personnes, la Monnaie jouissait de services et de commerces.  

Puis l'industrie a décliné, les maisons Kélian, Jourdan ou Clergerie ont réduit la voilure ou mis la clé sous la porte, Romans a perdu des emplois et des habitants. 

Dans le même temps, les rénovations pour désenclaver La Monnaie -marquée par un taux de chômage supérieur à 17% et un revenu annuel inférieur à 7.000 euros, selon l'Insee - se sont succédées, pour 88 millions d'euros selon l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), "plus de 150 millions depuis 2014" selon la maire.

Il y a une ludothèque, une médiathèque et une petite aire de jeux en bois. 

Il y a aussi du goudron par endroit calciné et la façade du bailleur Valence Romans Habitat noircie par les flammes, stigmates des émeutes qui ont suivi ici la mort de Nahel, tué en juin par un tir policier lors d'un contrôle routier en région parisienne. 

Il y a aussi une enfilade de platanes et les rideaux de fer baissés de commerces fermés, des tags comme "vous êtes arrivé" devant des points de deal.    

Des sources policières décrivent ce quartier comme "le point le plus difficile de la Drôme" avec des caillassages, "une poignée de gamins" dont la "violence monte", et des agents qui "n'arrivent pas à faire face faute de moyens". 

"Depuis plusieurs années, il y a aussi de moins en moins d'éducateurs de rue, on ferme les crédits aux différentes associations", énumère Christophe Dumaillet, co-secrétaire départemental FSU en soulignant le rôle de l'école et des services publics dans le "vivre ensemble".

Selon lui, "il faut une justice et une police qui puissent faire leur travail dans la sérénité sans récupération pour pouvoir retrouver le calme".

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