La "grande muette" sur grand écran : comment l'armée s'ouvre au cinéma
La "grande muette" a moins peur de se montrer. Du "Bureau des légendes" au "Chant du loup" ou "Coeurs noirs", l'armée française accompagne de plus en plus de films et de séries pour...
La "grande muette" a moins peur de se montrer. Du "Bureau des légendes" au "Chant du loup" ou "Coeurs noirs", l'armée française accompagne de plus en plus de films et de séries pour contrer les clichés ou susciter des vocations.
La greffe n'avait rien d'évident entre une industrie tournée vers le public et une institution cultivant le secret. "C'est comme mélanger l'huile et l'eau", sourit-on à la Mission cinéma et industries créatives (MCIC) du ministère des Armées, qui s'attelle à la tâche.
Cette petite cellule a vu le jour en 2016 dans le sillage du succès du "Bureau des légendes", qui avait généré un afflux de candidatures d'aspirants espions. Près de dix ans après, une centaine de projets (films, séries, documentaires, BD...) ont vu le jour avec le concours de l'armée et 200 autres sont en cours.
L'objectif, lui, n'a pas varié. "Généralement, les gens aiment l'armée mais n'ont aucune idée de ce qu'elle fait. Dans le monde du cinéma, l’image est moins bonne avec le cliché du soldat boueux, un peu bourrin", résume Eve-Lise Blanc-Deleuze, la cheffe de la mission cinéma. "Il faut casser ces images".
Le temps de la propagande pure et dure est toutefois révolu et l'heure est au partenariat, qui existe de manière industrielle aux Etats-Unis. Outre-Atlantique, Pentagone et Hollywood collaborent de longue date avec, en tête de gondole, les deux "Top Gun".
En France, scénaristes ou producteurs peuvent désormais toquer à la porte de la Mission cinéma pour solliciter le concours de l'armée au début d'un projet, pour coller à la réalité, ou ultérieurement pour des autorisations de tournage ou des locations d'équipements.
"A un moment, on a besoin d'avoir accès aux gens dont on raconte la vie", détaille à l'AFP Gilles de Verdière, le producteur de la récente série "Coeurs noirs" qui suit des forces spéciales françaises en Irak en 2016. "Mais ce sont des gens par nature peu accessibles".
Grâce à la MCIC, les acteurs de la série ont toutefois pu être en immersion sur une base française avec les forces spéciales. "Ils ont pu voir comment ils portent leurs armes, se parlent entre eux, ce qu'ils disent à leur famille", raconte à l'AFP Zied Doueri, qui a réalisé la première saison. "Ce n’est pas un documentaire mais il faut que ça sonne vrai".
"Il faut connaître le réel pour pouvoir s'en distancer ensuite pour les besoins de la fiction", indique à l'AFP le scénariste Frédéric Krivine, qui a travaillé sur la première saison de la série "Sentinelles" sur l'opération Barkhane au Mali. Le tournage de la saison 2, sur l'invasion en Ukraine, vient de s'achever.
Crise de vocation
Certains projets ne passent toutefois pas le filtre de la Mission cinéma. "On ne fait pas de censure et on sait bien que pour qu'il y ait une histoire, le héros doit être pris dans des dilemmes et parfois mal se comporter. Mais nous avons des lignes rouges: les valeurs de l'armée doivent être respectées", précise Mme Blanc-Deleuze.
Le film "Sentinelle Sud" (2022) n'a ainsi pas obtenu le feu vert : la dérive de trois anciens combattants de retour d'Afghanistan et de leur mentor avait été jugée trop négative pour l'institution.
D'autres projets ont obtenu le sésame même s'ils ne sont pas à la gloire de l'armée. Inspiré de faits réels, "Pour la France" (2022) raconte la mort d'un jeune aspirant lors d'un rituel d'intégration à Saint-Cyr. Quant à la série "Sentinelles", elle décrit en filigrane l'impasse militaire de la France au Mali.
"On sent les valeurs de l’armée même quand on les critique", estime Frédéric Krivine. "Et l’armée s'est rendu compte que des fictions généraient des vocations même quand elles ne sont pas à la gloire de l'armée."
La mission cinéma en a bien conscience à l'heure où, pour la première fois, l'armée de Terre n'a pas rempli ses objectifs de recrutement en 2023, avec 2.000 soldats manquant à l'appel.
"On n'est pas là pour magnifier le métier de soldat, observe Mme Blanc-Deleuze, mais quand on fait connaître des missions et qu’on peut s’identifier à des personnages, ça peut donner envie."
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