La France, championne de l’économie collaborative
Covoiturer, mettre son canapé en vente sur Internet quand on déménage… La France fait partie des pays qui ont le plus largement adopté ces nouvelles pratiques de consommation collaborative, d’après un récent rapport édité par Bercy. Un changement à la fois économique et sociétal qui ne fait que commencer.
La France est l’un des pays au monde où la consommation collaborative se porte le mieux. Tel est le constat de l’étude sur les “enjeux et perspectives de la consommation collaborative”, publié en juin par Bercy. Ces dernières années, en effet, l’Hexagone a vu naître plusieurs leaders dans ce domaine, et certains sont actuellement en train de se déployer au niveau international. C’est le cas de Bla- BlaCar, site de covoiturage, dans le transport. Dans l’alimentation, les plates-formes VizEat, qui met en relation des individus qui s’invitent pour un repas, et La Ruche qui dit oui, qui relie agriculteurs et consommateurs, sont devenues des références. Quant à Ulule, spécialiste du financement participatif, elle est la première plate-forme européenne en nombre de projets financés et de montants collectés. Le secteur de l’habillement et du luxe n’est pas en reste : Vestiaire collective, spécialisé dans la location, l’achat et la vente de sacs et accessoires de luxe, a commencé son internationalisation. Autre référence encore, Costockage, leader du self-stockage entre particuliers.
En parallèle, souligne l’étude, la France accueille aussi des plates-formes internationales comme Leboncoin, venu de Norvège et désormais incontournable. Avec les Etats-Unis, la France participe donc en première ligne à un marché mondial de la consommation collaborative estimé à 15 milliards de dollars. Les prévisions de croissance citées par l’étude sont vertigineuses : 335 milliards de dollars en 2025. Déjà, certaines évolutions témoignent de la puissance de cette croissance, comme le niveau des levées de fonds réalisées par certaines de ces jeunes entreprises : AirBnb, site de location de logements entre particuliers, a été jusqu’à lever un milliard de dollars. Même chiffre, mais en euros, pour Uber. Autre signe de la vigueur de la croissance à venir, le potentiel de l’économie collaborative n’a pas échappé aux entreprises du modèle conventionnel : ainsi, Google a notamment investi 100 millions d’euros dans Lending Club, une plateforme de financement participatif.
Déjà neuf Français sur dix. Et ce n’est qu’un début…
En France, en particulier, le potentiel de croissance des usages collaboratifs demeure important, analyse Bercy. Un marché de 12 milliards d’euros, par exemple, se cacherait sous le gisement d’objets disponibles à l’échange entre particuliers : chaque foyer conserve en moyenne 70 objets dont il ne se sert plus. Quant au parc automobile, composé de 31 millions de véhicules environ, il n’est utilisé en moyenne que 8% du temps… Et si ces ressources concrètes pourraient bien trouver à être employées, c’est parce que les mentalités évoluent dans un sens favorable aux pratiques collaboratives : les Français privilégient toujours plus l’usage des biens à leur possession et ils se déclarent favorables aux achats d’occasion. Et déjà, aujourd’hui, c’est presque neuf Français sur dix qui déclarent avoir déjà pratiqué au moins une fois la consommation collaborative. En tête des usages les plus répandus figure le fait de s’équiper en achetant un bien auprès d’un particulier. Les trois quarts des Français l’ont déjà fait. D’autres pratiques demeurent plus confidentielles, comme le transport et le stockage des biens, ou le financement. Par ailleurs, “les pratiques collaboratives semblent avoir un effet d’entraînement, amenant le consommateur à tester le modèle dans de nouveaux secteurs”, note l’étude. Ainsi, les personnes qui échangent leur maison vont aussi facilement s’adonner au covoiturage… Autre phénomène, les pratiques de consommation collaborative entre particuliers semblent imprégner les usages dans le secteur commercial conventionnel : 60 % des internautes se sont appuyés au moins une fois sur les commentaires d’autres consommateurs pour orienter leur choix. Et dans cette même tendance, où le consommateur acquiert un pouvoir nouveau dans sa relation avec le marchand, l’achat groupé se développe en France, avec des sites comme Groupon ou Grodeal.
Après les pionniers, l’ère de la généralisation.
Fait marquant, “la consommation collaborative concerne l’ensemble des Français”, constate l’étude. Laquelle note qu’au sein de la population, les pratiques diffèrent principalement en fonction de l’aspect générationnel, de la situation familiale et du fait d’exercer une activité bénévole régulière ou non. Ainsi, les étudiants sont particulièrement tournés vers la consommation collaborative. Ils achètent des biens à d’autres particuliers, plus que la moyenne des Français. Et ils cumulent souvent plusieurs pratiques, une démarche qui correspond à leur besoin de réaliser de bonnes affaires et à une philosophie de vie qui favorise l’usage à la possession. Les retraités, eux, demeurent plus en marge, notamment pour les démarches qui passent par Internet. Quant aux familles, soucieuses de gérer leur budget, elles sont également des adeptes fidèles des pratiques collaboratives. Par exemple, elles sont 28% à avoir pratiqué l’hébergement payant de particuliers, contre 19% sur la moyenne nationale. À l’inverse, les célibataires boudent plutôt la consommation collaborative, sauf dans des domaines très spécifiques comme le covoiturage sur les trajets ponctuels. Autre particularité décrite par le rapport : ce ne sont pas les ménages les moins bien lotis côté revenus (moins de 1 200 euros/mois) qui pratiquent l’économie collaborative, mais ceux qui disposent d’un revenu mensuel élevé (6 000 euros et plus). Et, dernière spécificité, les personnes qui s’engagent comme bénévoles ont souvent des pratiques de consommation collaboratives plus poussées que les autres.
À leurs yeux, ces usages sont liés à des valeurs comme la solidarité. En 2013, au total 36% des personnes qui pratiquent l’économie collaborative déclarent être motivées par la volonté de recréer du lien social, d’aider son prochain ou encore de préserver l’écosystème. Des préoccupations qui étaient celles des pionniers de l’économie collaborative «prénumérique», note le rapport, comme les SEL (Systèmes d’échanges locaux), ou encore les AMAP (Associations pour le maintien de l’agriculture paysanne). Mais en 2013, pour les trois quarts des individus, c’est avant tout un moyen de dépenser moins et d’augmenter leurs revenus que représente l’économie collaborative.
Et cette dernière, d’après l’étude, pourrait devenir simplement complémentaire de la consommation conventionnelle.