La fin du tramway ?
Budget difficile à boucler, écotaxe suspendue, impôts moins rentables que prévu, revers électoraux : depuis quelques mois, de nombreuses agglomérations renoncent à leurs projets de transport public. Et certaines villes, à contre-courant de la tendance que l’on croyait dominante, réintroduisent la voiture en ville.
Pauvre tramway. Star des années 2000, il symbolisait jusqu’à l’an dernier encore, un avenir radieux fait de «développement durable» et d’attractivité touristique. Les élus, assistés d’un prestigieux bureau d’étude et de techniciens enthousiastes, traçaient des lignes entre une cité populaire et un quartier résidentiel, desservant au passage le centre-ville. La peinture, était soigneusement choisie pour habiller les rames aux couleurs de la ville. Des rues étaient soustraites à la circulation automobile, des pistes cyclables et des cheminements piétonniers aménagés. Le tramway impliquait un réaménagement «de façade à façade», comme on le fait en France depuis 30 ans. Le coût ne semblait pas effrayer les concepteurs, ni les élus : entre 25 et 30 M€ le kilomètre, auxquels on ajoutait parfois quelques œuvres d’art, sélectionnées de manière avisée par un grand élu. Il y a quelques mois encore, lorsqu’on s’étonnait de ces dépenses un peu lourdes pour le budget des collectivités, on s’attirait les mêmes réponses blasées : «ben quoi, vous trouvez que la culture, c’est superflu ?».
«Anxiété et inquiétudes»
Sauf que les temps ont changé. Malheureux candidat à la mairie d’Amiens, au mois de mars, Thierry Bonté (PS) a résumé en une phrase la malédiction du tramway. Distancé au premier tour, le candidat envisage une alliance avec le Front de gauche. Mais ce parti est opposé au projet de tramway défendu par la liste socialiste. Thierry Bonté annonce alors qu’il «suspendra le projet» s’il est élu et ajoute : «j’ai compris les anxiétés et les inquiétudes» provoquées par ce moyen de transport. Les mêmes mots que pour évoquer la grippe aviaire ou le niveau des minima sociaux. Lorsque parviennent, le 30 mars les résultats du second tour des municipales, les sociétés de construction, notamment Alstom, comprennent que les années qui viennent vont être plus difficiles. Dans de nombreuses villes, des candidats qui s’étaient prononcés contre le tramway sont élus. Outre Amiens, où la nouvelle maire Brigitte Fouré (UDI) avait en partie axé sa campagne contre le projet, Caen, Aubagne ou Toulouse basculent à droite. Dans ces villes, les maires sortants voulaient étendre le réseau existant, mais leurs rivaux s’y opposaient. À Toulouse, le nouveau maire Jean-Luc Moudenc (UMP) préfère la réalisation d’une 3e ligne de métro à une seconde ligne de tramway. Les mois qui suivent les municipales confirment la tendance. L’écotaxe, qui devait être ponctionnée sur les transports routiers afin de financer des infrastructures de transport public, limite le champ de vision des élus. 800 M€, sur le 1,1 milliard annuel que devait rapporter l’impôt, étaient destinés aux transports urbains. La ligne 2 du tramway d’Angers est menacée, tout comme le projet de ligne Est- Ouest, à Nice, et au total plus d’une centaine d’infrastructures de tous types (bus, navettes fluviales, parkings à vélo…).
Passé de mode
La crise des transports publics s’inscrit dans un contexte économique et social peu porteur. Les employeurs, qui financent le «versement transport», un impôt assis sur la masse salariale et destiné aux transports publics, font régulièrement savoir leur irritation. Et dans bon nombre de villes moyennes, l’heure des «transports propres» est de toute façon passée. Les nouveaux maires satisfont les demandes d’une partie de leur électorat en réintroduisant la voiture dans le centre. Leurs prédécesseurs avaient mené, année après année, une politique de restriction de la place de la voiture. Ce temps-là est révolu. Auray (Morbihan) ou Béthune (Pas-de-Calais) suppriment des zones piétonnes. Nevers, Angers ou Pau imaginent des plans de circulation visant à faciliter l’usage de la voiture individuelle. On ne compte plus les villes qui octroient des heures de stationnement gratuites en espérant que la présence des automobilistes dope le commerce local. Au Gart (Groupement des autorités responsables de transport), on s’inquiète. Louis Nègre, sénateur-maire (UMP) de Cagnes-sur-Mer (Alpes-Maritimes), qui doit prendre la présidence de l’association d’élus en septembre, défend, comme ses collègues, la limitation de la place de la voiture en ville. Pour des raisons à la fois environnementales, économiques et sociales. Il aura fort à faire pour être entendu de son propre camp.