La filière pêche attend le Brexit avec fébrilité
Alors que le torchon brûle entre Bruxelles et Londres, la filière de la pêche est au centre d'un bras de fer politique entre l'Union européenne et le Royaume-Uni. À Boulogne-sur-Mer, on observe ces négociations avec attention...
Les négociations sont tendues entre l’Union européenne et le Royaume-Uni autour de la question de l’accès aux eaux anglaises. Si les pêcheurs et autres observateurs veulent à tout prix éviter les affrontements en mer, les mareyeurs ne sont pas pour autant moins inquiets. Le dossier est sensible, tant chacune des deux parties a à perdre dans les négociations : d’un côté, Boris Johnson a promis un regain de souveraineté aux pêcheurs britanniques ; de l’autre, Emmanuel Macron a déclaré aux pêcheurs français qu’il tiendrait bon. Politiquement, l’enjeu est colossal. Les menaces britanniques de recourir à l’armée pour protéger leurs eaux territoriales des pêcheurs européens en témoignent.
Pour ce qui est des négociations, Michel Barnier, négociateur en chef de l’UE, a proposé de réduire de 18% la pêche en eaux anglaises. Chiffre auquel ne compte pas souscrire le camp britannique, dont les exigences sont plutôt de 60% de restitution de captures… «Nous avions imaginé que nous aurions quelques indices en amont, mais tant que ces négociations n’auront pas abouti, nous ne saurons rien.» Aymeric Chrzan, secrétaire général du syndicat général des mareyeurs boulonnais, ne cache pas son attention particulière au dossier du Brexit. «Cette longue attente peut se comprendre, mais lorsqu’on se met dans la tête d’une entreprise du secteur, ce manque de visibilité est extrêmement délicat à gérer.»
Des mesures d’aide jugées encore floues
Dans un communiqué de presse diffusé à l’issue de la visite de Jean Castex à Boulogne-sur-Mer le 3 décembre dernier, le syndicat des mareyeurs déclarait rester «sur [sa] faim» après les annonces du Premier ministre. Ces mesures se voulaient pourtant rassurantes : le SIVEP (Service d’inspection vétérinaire et phytosanitaire aux frontières, dédié aux produits de la mer) boulonnais devrait être en service 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. D’autre part, une campagne devrait être lancée pour promouvoir les produits de la pêche et les métiers de la mer. «Le Gouvernement s’est certes engagé à soutenir l’ensemble de la filière, y compris le mareyage, en cas de no deal mais n’a pas donné de détail sur la nature précise des mesures envisagées», a écrit le syndicat suite à la visite ministérielle. Un flou artistique que goûte évidemment peu l’ensemble de la filière.
Les mareyeurs doublement concernés
Les mareyeurs sont concernés à double titre par l’imminence du Brexit. D’une part, il est nécessaire de poursuivre l’exploitation des eaux britanniques par les fileyeurs, certains mareyeurs étant dépendants à 100% du produit de la pêche locale. D’autre part, il faut qu’il soit possible de faire venir du produit pêché de l’autre côté de la Manche. «L’enjeu majeur pour le poisson frais, c’est l’import», précise Aymeric Chrzan. Capécure est moins concernée par les problématiques d’export. La capture et l’import ne sont toutefois pas les seuls enjeux de la négociation entre l’UE et le Royaume-Uni : «Sans accord particulier, le Royaume-Uni devient un pays tiers, explique le secrétaire général du syndicat des mareyeurs. Pour exporter, il faut donc produire un certificat de capture. À l’heure où l’on se parle, tant la criée que les affaires maritimes ne sont pas en capacité de nous fournir ces certificats.»
Le représentant poursuit : «Le mareyeur, lorsqu’il achète du produit, ne sait pas à l’avance à qui il va le vendre. Nous achetons le produit, on organise la vente, et si par le plus grand des hasards il y a une commande du côté britannique, il faudra courir pour aller chercher ce fameux document. Ce qui est impossible dans l’état actuel des choses.»
«Pour le poisson frais, avec le SIVEP Boulogne, sous réserve qu’il n’y ait pas de souci logistique, il y aura des délais supplémentaires de quelques heures.» La profession fonctionne en effet sur le marché du “spot” : «Le marché du jour J n’a rien à voir avec J+1 et J-1. Si on bascule de jour de vente, clairement on a un jour de DLC de moins. Mais aussi et surtout, les cours bougent en permanence.»
Un degré de préparation variable
La filière redoute par ailleurs une trop grande impréparation de l’un ou l’autre des acteurs. Les nouvelles réglementations en vigueur au 1er janvier, au 1er avril ou au 1er juillet – les différentes échéances auxquelles les règlementations douanières et sanitaires changeront – auront des degrés d’exigence plus hauts par rapport au libre-échange ayant cours actuellement entre l’outre-Manche et le Continent. «Il y aura des surprises de dernière minute, et l’incertitude de la préparation de nos collègues, détaille Aymeric Chrzan. Incontestablement, des entreprises découvriront qu’elles ne sont pas prêtes. Il reste une grande incertitude liée au passage de la théorie à la pratique.» Le représentant des mareyeurs poursuit : «Il va falloir que nos fournisseurs respectent la procédure pour exporter leurs produits… Et il va falloir avoir accès à ces produits dans des conditions simples.»
De bons signaux subsistent
Malgré l’incertitude qui plane sur le dossier du Brexit, le représentant des mareyeurs se montre optimiste : «Ces annonces sont tout de même importantes. Le Gouvernement a engagé une réflexion sur la stratégie et la compétitivité des ports de pêche. C’est un exercice qu’on aurait dû engager il y a longtemps, plaide Aymeric Chrzan. La compétition sera probablement renforcée avec nos voisins européens après le Brexit. Il faut que nous puissions améliorer notre compétitivité sur les points où nous sommes moins bon.» D’autant que la filière a déjà fait preuve de résilience cette année : si les événements liés à la crise sanitaire se poursuivent encore, la filière a montré qu’elle avait les reins solides pendant cette période si particulière. «Si l’on regarde avec un peu de recul la série d’événements que les entreprises se sont prises sur le nez, ça relève du miracle ou de l’exploit de réussir à continuer à tourner. Bravo aux entreprises qui maintiennent la tête hors de l’eau !»