La filière automobile innove en attendant la reprise
Dix entreprises régionales ont décroché des subventions de l’Etat dans le cadre du Fonds de modernisation de la filière automobile. Cet argent va leur permettre d’innover en attendant une reprise globale qu’elles espèrent rapide…
«Nous sommes la première région automobile de France !» C’est Jérôme Bodelle, le PDG de Critt M2a, un centre d’essais et de recherche qui sous-traite pour les grands constructeurs automobiles, qui le dit. Si ces derniers ont été durement impactés par la crise sanitaire, avec l’arrêt complet de leurs usines lors de la première période de confinement, les sous-traitants n’ont pas été mieux lotis, avec des baisses de plus de 40% chez certains fournisseurs. Or, l’industrie automobile, ce sont 45 000 emplois directs ou indirects dans la région Hauts-de-France. Face à cette situation, les PME régionales ont été obligées de trouver des solutions pour soutenir leur activité, mais surtout pour assurer leur pérennité à moyen terme. Pour dix d’entre elles, le Fonds de modernisation automobile a été accueilli comme une bouffée d’oxygène. Même si l’argent n’est pas encore arrivé sur leurs comptes bancaires…
Plus de budget «recherche et développement»
De quoi s’agit-il ? Pour permettre à la filière automobile, stratégique selon Bruno Le Maire, de rebondir après la crise, le Gouvernement avait annoncé, en septembre dernier, le lancement d’un fonds de soutien aux investissements et d’accompagnement de la filière automobile, visant à accélérer sa diversification, sa modernisation et sa transformation écologique. Cinquante-cinq projets ont aujourd’hui abouti ; la liste vient d’être communiquée par le ministre de l’Economie. Dix entreprises des Hauts-de-France, qui représentent un investissement productif de plus de 15 millions d’euros, vont donc bénéficier de 8 millions d’euros de subventions.
Pour Jérôme Bodelle, dont la PME de 45 salariés est basée à Bruay-La Buissière, les 1,8 million d’euros obtenus auprès de la Banque publique d’investissement de Lille (BPI) vont lui permettre de poursuivre les projets en cours. «On veut garder un coup d’avance», explique-t-il. Car son entreprise doit continuer à fournir des solutions aux constructeurs automobiles. «Les ventes de voitures se sont écroulées, constate-t-il. Donc, les grands fabricants ont connu une importante baisse de fonds. Ils n’ont quasiment plus de budget recherche et développement.» Pour cette PME, ces subventions constituent par conséquent «une brique de plus pour continuer à avancer, car notre projet global est de 4,6 millions d’euros. Nous allons aussi mettre la main à la poche. Mais avec l’aide de l’Etat, une fenêtre s’est ouverte».
Un an au lieu de cinq !
Sur les cinq dernières années, cette PME a investi 20 millions d’euros sur la chaîne de traction électrique globale, qui va du moteur à l’échappement. «Notre projet est de gagner des pourcentages de rendement sur cette chaîne», détaille Jérôme Bodelle. Son entreprise travaille notamment sur la problématique du stockage électrique, un domaine pointu où la température de la batterie a beaucoup d’importance et nécessite de gros investissements. Avec les subventions de l’Etat, les vingt ingénieurs et les quatre docteurs en thèse de la PME vont pouvoir poursuivre leurs recherches. «On a de quoi tenir jusqu’au printemps, estime-t-il. Mais il va falloir qu’il y ait une reprise.» D’autant que la pression sur le secteur était déjà forte avant le début de la crise sanitaire. «Nous sommes dans une période de mutation énergétique, due aux nouvelles normes environnementales. Finalement, cette crise sanitaire accélère les choses. Ce que nous pensions faire en cinq ans, il va falloir le faire sur une année.»
Des embauches en 2021 chez SMG ?
Innover, tel est aussi le maître mot de Fanny Philippe, directrice générale de la SAS SMG, une PME de 17 salariés située à Nœux-les-Mines et qui fait partie de Pracartis, un consortium de sept PME proposant des solutions globales d’usinage de précision. Pour faire simple, cette PME travaille pour toutes les industries qui usinent, l’automobile bien sûr, mais aussi la verrerie ou encore l’horlogerie. Depuis 2002, elle s’est spécialisée dans la maintenance des têtes d’usinage, «car, aujourd’hui, les industriels préfèrent rénover leurs machines plutôt que de partir sur du neuf». Mais depuis le début de la crise sanitaire, la SAS SMG a connu une baisse d’activité de 25%. La PME va empocher une subvention de 400 000 euros auprès de la BPI. «Nous avons un double objectif, détaille Fanny Philippe : pérenniser notre activité et trouver des nouveaux secteurs. Cette crise nous oblige à nous réinventer.»
Les actions mises en place grâce à ce plan de relance permettront à l’entreprise de gagner en compétitivité par une accélération des démarches de digitalisation de ses procédés industriels. Elles lui permettront aussi de s’engager dans une transition environnementale, en investissant dans un procédé innovant réduisant fortement les consommables polluants. Mais du côté de la direction, on sait aussi que la pérennisation passera par un redémarrage de la filière automobile dans son ensemble. «On l’attendait pour septembre, confirme Fanny Philippe. Désormais, on espère que ce sera pour janvier. Mais, à un moment donné, il va falloir absolument que ça reparte…» D’autant que la perspective d’embaucher en 2021 est un souhait clairement exprimé par la directrice générale.
Vers une réouverture des concessions ?
D’autres sociétés régionales ont été moins impactées par la crise sanitaire. En tout cas, les effets du confinement printanier ne se font plus sentir. «La crise semble derrière nous», se félicite Séverine Fort, responsable de l’usine de Neuville-en-Ferrain, pour la société Facam distribution. Cette PME de 25 salariés est spécialisée dans la conception et la fabrication d’accessoires automobiles, notamment de bacs de coffre et de tapis de sol sur mesure. Le projet déposé auprès de la BPI a permis l’octroi d’une subvention de 645 000 euros. Cet argent va permettre la mise en route d’une ligne de thermocompression automatique. «La machine va faire passer directement du rouleau de moquette au tapis de sol emballé», détaille Séverine Fort. Et l’objectif est extrêmement clair : «Rester compétitif par rapport à la concurrence en provenance des pays low cost !»
Du côté de l’Association régionale de l’industrie automobile (Aria), on se félicite «d’avoir accompagné huit des dix lauréats du fond de modernisation». Et on se veut moins alarmiste que certains de ses membres sur l’avenir de la filière automobile régionale. «Certains ont même des bonnes surprises, affirme Pierre-Marie Pierrard, délégué territorial de l’Aria pour le Nord et le Pas-de-Calais. Certains constructeurs ont même récupéré des marchés initialement prévus pour l’étranger. Des donneurs d’ordre qui travaillaient avec Ford se sont rabattus sur des constructeurs de notre région.» Mais un gros problème reste en suspens : les ventes de véhicules neufs. «C’est en train de se régler. Luc Chatel, qui dirige la Plateforme automobile (PFA), est en train de négocier avec Bruno Le Maire pour la réouverture des concessions automobiles.» Avec la possibilité d’acheter de nouveau des voitures, les usagers relanceront sans le savoir toute une filière qui ronronne un peu pour le moment…