La dentelle au singulier ?
L’entreprise de dentelles tissées et tricotées Desseilles va être mise en liquidation judiciaire le 17 février prochain. Victime, fin 2015, d’une décision du tribunal administratif qui lui enjoint de réintégrer cinq salariés protégés, l’entreprise en redressement judiciaire ne peut porter une telle charge. C’est la fin d’une histoire à Calais.
Desseilles Laces a demandé son placement en liquidation judiciaire auprès du tribunal via son administrateur. Annoncée sur Facebook où le dentellier et ses salariés ont fait le buzz pendant des mois, cette future liquidation est le reflet d’une situation ubuesque. Retour en arrière… Quand les trois dirigeants (Jean- Louis Dussart, Michel Berrier et Gérard Dezoteux) reprennent l’entreprise à l’été 2011, une partie des salariés n’est pas reprise, notamment des tullistes dont la masse salariale ne rentre plus depuis longtemps dans les contraintes du marché de la dentelle. Plusieurs délégués syndicaux refusent alors de revoir à la baisse leurs ambitions salariales et refusent les propositions des repreneurs. Quelques semaines plus tard, les procédures commencent : demande de réintégration ordonnée par la justice, refus de l’entreprise, prudhommes… Desseilles parvient cependant à procéder au licenciement économique de cinq salariés, forte de l’avis du tribunal de commerce de Boulogne-sur-Mer où Desseilles est alors en redressement judiciaire. Le caractère économique ne fait pas de doute et Desseilles obtient de haute lutte auprès de l’inspection du travail, l’autorisation de licencier ses salariés, tous protégés par leur mandat. Mais le soulagement ne fut que temporaire.
Où sont les soutiens de la profession ? Le dernier recours de ces salariés aura porté ses fruits : le tribunal administratif de Lille (TA) a ordonné la réintégration des cinq salariés protégés. Coût total estimé par la direction : 800 000 euros, plus de 10% de son chiffre d’affaires. Le TA assimile Desseilles pour un groupe et lui reproche de ne pas avoir fait de PSE alors qu’il y a moins de 10 salariés concernés. “On est en train de nous tuer avec cette histoire”, se désole Jean-Louis Dussart. Le comble : un investisseur chinois veut absolument investir dans cette marque française qui se vend partout dans le monde depuis l’après-guerre, Desseilles étant le seul dentellier au monde à savoir tisser comme à la fin du XIXe siècle! “Je ne vais pas demander à un investisseur de mettre des centaines de milliers d’euros pour payer les indemnités de salariés protégés qu’on doit réintégrer ou payer pour qu’ils sortent de l’entreprise”, argumente le dirigeant. Philippe Desseilles, fils de fondateur, y va de son soutien ; on s’insurge aussi sur les réseaux sociaux. Quant aux confrères, ils sont peu nombreux à se manifester : Codentel est en effet en redressement judiciaire,Storme reste discret depuis des décennies et n’entretient pas ou peu de rapports avec ses confrères.
Reste Noyon qui attend que les commandes de Desseilles basculent entre ses mains, “pour continuer de servir les clients” comme on dit dans le métier. C’est pourtant un jeu dangereux qui a vu le nombre de dentelliers descendre si bas qu’il ne sera bientôt plus significatif. Rien n’est venu non plus du Groupe Calais dentelles, organe de représentation de la profession présidé par Olivier Noyon.
On attend toujours le soutien officiel de la Fédération des dentelles et broderies… L’extinction de la dentelle de Calais semble paradoxalement programmée au moment où le contrat terri- torial du Calaisis prévoit 4 millions d’euros (sur 100) pour le sauvetage de cette industrie en difficulté. Et s’il ne doit rester qu’un seul dentellier calaisien, la dentelle dite de Calais aura alors véritablement disparue. Caudry sera – bien heureusement – là pour rappeler que sans concurrence, sans émulation dans la création, la dentelle ne séduit jamais.
Desseilles emploie 74 personnes. Avec la sous-traitance, l’addition dépasse la centaine d’emplois menacés sur un territoire qui n’a pas besoin de cela. La disparition de Desseilles, que les pouvoirs publics attendent sans réagir réellement, coûtera bien plus cher aux finances publiques que son sauvetage. Alors, pourquoi cette inertie ?