La Cour des comptes critique sévèrement la politique de lutte contre le chomage
Des outils publics de lutte contre le chômage obsolètes, face à un monde du travail dont le caractère dual a été exacerbé par la crise : telle est l’analyse livrée par la Cour des comptes, dans son rapport sur les politiques publiques de l’emploi. Préconisation : un ciblage majeur des mesures adoptées.
C’est peu dire que les conclusions du rapport de la Cour des comptes, Le marché du travail : face à un chômage élevé, mieux cibler les politiques, présentées le 22 janvier, lors d’une conférence de presse, ont fait grand bruit. Audelà de ces conclusions sévères, c’est aussi le constat d’une obsolescence des outils de politique publique et celui de l’évolution du fonctionnement du monde du travail qui interpellent. Avec la crise, l’économie française a proportionnellement détruit plus l’emplois que d’autres économies européennes dont la diminution de l’activité a été plus brutale, comme la Belgique, les Pays-Bas ou la Suède, révèle le rapport. De fait, la crise a conduit à une « nette aggravation d’un des principaux défauts du marché du travail en France, son dualisme », explique Didier Migaud, premier président de la Cour de comptes. Ces deux dernières années, ce sont avant tout les CDD et, plus encore, les intérimaires qui ont constitué la variable d’ajustement. Mais déjà, « ces vingt dernières années, le marché du travail a évolué progressivement vers une dualisation, qui oppose le coeur du marché de travail, les salariés bien protégés, et la périphérie, des salariés précaires qui supportent les ajustements. Cela s’est fait discrètement et a éclaté de façon patente durant la crise, qui a révélé que les plus fragiles sont les plus touchés. Face à la situation, les instruments de politique ont insuffisamment évolué, ils sont restés plus ou moins identiques depuis dix ou vingt ans. Il y a une obsolescence du dispositif pour l’emploi. (…) Le ciblage, c’est ce que nous préconisons pour répondre à ce décalage entre l’évolution du marché du travail et ces outils », précise Christophe Strassel, conseiller référendaire à la Cour des comptes.
Générosité mal dirigée ?
La politique de lutte contre le chômage, qui coûte annuellement quelque 50 milliards d’euros, soit 2,5 % du PIB, présente des résultats « décevants », juge Didier Migaud. En cause, notamment : le dispositif actuel pousserait les acteurs économiques à utiliser la « flexibilité externe » – en clair, le licenciement-, de préférence à la « flexibilité interne », que la Cour des comptes préconise. Par ailleurs, « le système d’indemnisation des chômeurs est l’un des plus favorables en Europe, mais son financement pose problème », note Didier Migaud, qui préconise un retour à l’équilibre des comptes de l’assurance chômage, alors que le déficit cumulé du régime devrait atteindre quelque 18 milliards d’euros , fin 2013. Plusieurs mesures sont proposées pour parvenir à ce résultat. En particulier, il s’agirait de revoir les montants d’indemnisation des chômeurs qui touchaient un salaire élevé ( les cadres), qui sont plus avantageux que dans les autres pays européens et de pénaliser les employeurs qui privilégient l’utilisation des emplois précaires. Piste alternative : « le chômage partiel est insuffisamment mobilisé », juge également Didier Migaud, qui pointe sa complexité et son manque d’attractivité financière pour les entreprises. Autre dispositif examiné, celui des emplois aidés, essentiellement utilisés dans le secteur non marchand. Pour Didier Migaud, cette mesure a un « effet nul, voire négatif sur l’employabilité de leurs bénéficiaires ». En cause : la brièveté des contrats et le manque de formation.
Quant à la formation professionnelle, qui pèse 31 milliards d’euros, elle est aujourd’hui bien loin de répondre aux souhaits de « ciblage » de la Cour des comptes. « La probabilité de bénéficier d’une formation croît avec le niveau de la formation initiale et la taille de l’entreprise, et elle décroît avec l’âge. Le taux d’accès des chômeurs à la formation est inférieur d’environ un tiers à ceux des actifs », précise Christophe Strassel. Pis, « pendant la crise, les moins diplômés ont été de moins en moins bénéficiaires des contrats professionnels et des contrats d’apprentissage. Une population importante de jeunes a vu ces dispositifs glisser en faveur de moins défavorisés qu’eux », pointe Christophe Strassel. Même souci de ciblage avec certains dispositifs de reclassement, comme le contrat de sécurisation professionnelle (CSP). « Des moyens très importants sont mobilisés sans ciblage », juge Didier Migaud. La Cour des comptes, a également dénoncé une « gouvernance paritaire complexe insuffisamment coordonnée ». Difficile de créer une synergie entre les actions menées par tous les acteurs concernés : l’Etat, les régions, Pôle emploi, les partenaires sociaux… Une condition indispensable, pourtant pour « mettre fin à une certaine exception française qui veut que les fluctuations économiques se traduisent davantage qu’ailleurs par des destructions d’emplois », d’après Didier Migaud.