Retour sur le 124ème congrès national des tribunaux de commerce à Compiègne
La Conférence générale des Juges consulaires défend une justice plus efficace
Organisé par le tribunal de commerce de Compiègne, le 17 novembre dernier, le 124ème congrès national des tribunaux de commerce a été l'occasion de rappeler les positions de l'institution représentative des juges consulaires. La Conférence générale prône l'éthique et la déontologie, mais aussi le respect et la liberté de cette justice commerciale locale, avec des moyens à la hauteur de son action, tout en s'ancrant dans la réalité pour construire une justice commerciale «attractive et efficace», dans un mode ultra connecté.
«Nous sommes engagés dans la voie du progrès», a déclaré Michel Peslier, président de la Conférence générale des Juges consulaires de France – qui a pris ses fonctions le février 2023, suite à la démission de Sonia Arrouas – en préambule du congrès national des juges consulaires, organisé à Compiègne, le 17 novembre, réunissant plus de 250 professionnels du droit. Si les juges consulaires prennent un chemin toujours plus équilibré, ils avancent dans un climat d'inquiétude, d'incompréhension et de colère face à l'hostilité qu'ils subissent, leurs détracteurs remettant en question le jugement d'anciens chefs d'entreprise qui jugent des entreprises. «Il faut un respect de la profession, clame Michel Peslier en réponse. La connaissance des entreprises doit être une compétence reconnue et non un sujet de critique. Le devoir de compétence est primordial, il relève de l'éthique.»
Durant la matinée, les propos de la Conférence générale ont pu être également entendus par le directeur des services judiciaires du ministère de la Justice, qui a remplacé le garde des Sceaux à la dernière minute. Mais force de propositions, la Conférence générale des juges consulaires ne compte pas se laisser ébranler, et réaffirme son refus à l'échevinage, une juridiction composée de juges citoyens et de magistrats professionnels. Dans ses propositions, la Conférence générale évoque par ailleurs un livre 6 du Code de commerce 2024, en phase de modifications, «devenu illisible par les chefs d'entreprise, comptant sept procédures. Ne faudrait-il pas une simplification ?», remarque le président de la Conférence Générale des Juges Consulaires de France.
Le bénévolat, condition sine qua non
Les chantiers annoncés par la Conférence générale avancent à grands pas, dans un contexte où le projet de loi «d’orientation et de programmation de la justice» prend forme. «Au fil des années, notre rôle a évolué, tout comme le monde qui nous entoure. Les changements économiques, les avancées technologiques et les nombreux défis sociaux ont tous un impact sur notre mission. Il est donc primordial pour nous de nous adapter à ces évolutions en développant nos compétences afin de pouvoir répondre aux besoins changeants de notre environnement», contextualise Chantal Lenoir, présidente du tribunal de commerce de Compiègne et vice-présidente de la Conférence Générale des Juges Consulaires de France. Avec 650 000 décisions prises chaque année en France et 3 370 juges, cette justice commerciale pèse dans le socle de l'économie française, avec des juges presque deux plus fois plus nombreux qu'en Belgique, qu'en Allemagne ou qu'en Suisse.
Des propos entendus par la Chancellerie puisque Paul Hubert, le directeur des services judiciaires du ministère de la Justice, a annoncé l'expérimentation d'un «tribunal des activités économiques» déployé dans quatre tribunaux de commerce, pour cette fin d'année, pour lequel la Conférence générale est favorable à son instauration. La césure et le règlement à l'amiable seront les deux outils mis en place pour continuer «la grande politique de l'amiable dans lesquels les tribunaux de commerce sont déjà engagés», explique-t-il. À cet égard, certains tribunaux de commerce auraient une compétence élargie en droit des entreprises en difficulté, dans le cadre d’une expérimentation d’une durée de quatre ans concernant neuf à douze tribunaux de commerce désignés par le garde des Sceaux. Il pourrait s’agir ou non de tribunaux de commerce spécialisés.
Ce tribunal, dit des affaires économiques (TAE), aurait une compétence étendue pour les procédures amiables et collectives de tous les acteurs économiques, quel que soit leur statut leur domaine d’activité à l’exception des avocats et officiers ministériels. Cela concernerait donc notamment les associations et les sociétés civiles immobilières, ce qui simplifierait sans doute le traitement des contentieux, compte tenu de l’imbrication relativement fréquente avec des sociétés et des activités commerciales.
Cet ancrage local rappelé, les juges prônent leur liberté et réaffirment leur position. Parmi les propositions issues du groupe de travail sur la justice économique mis en place dans le cadre des États généraux de la justice, dont certaines sont susceptibles d’être intégrées dans le prochain projet de loi de programmation de la justice, entre autres, figure la création d’un droit de timbre pour financer la justice économique. Si la Conférence générale ne rejette pas ce mode de financement, elle estime que le projet de loi de programmation de la justice devrait prévoir un volet financement intégrant une ligne budgétaire dédiée à la justice économique.
Les juges consulaires appellent à «une révision nécessaire» du financement de la justice consulaire pour une liberté de ces juges bénévoles. «Le bénévolat se mue dans un mécénat inacceptable, affirme Michel Peslier, dénonçant une lourdeur dans le financement des tribunaux de commerce, depuis 2014. Le bénévolat, oui, le mécénat, non.» Là aussi le ministère de la Justice a entendu les propositions, souhaitant «améliorer les humains et maintenir un dialogue », précise Paul Hubert, qui assure que le ministère de la Justice «souhaite améliorer les conditions matérielles des conditions d'exercice.»
De nouvelles avancées dans la formation des juges
Plusieurs des chantiers mis en œuvre au sein des tribunaux de commerce avancent à grand pas. C’est le cas du développement de la formation initiale et continue des juges, en partenariat avec l’École nationale de la magistrature, avec l’Université Paris Sorbonne, avec l’Ordre national des experts-comptables, le Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, les commissaires de justice… dont l'objectif est le développement des compétences. Annoncée, la formation des juges devient concrète : chaque année, 40 juges sortent diplômés.
Le directeur des services judiciaires du ministère de la Justice assure également avoir pris en compte certaines propositions de la Conférence générale concernant la formation des juges, obligatoire depuis 2016. «La loi prévoit inéligibilité d'un juge qui ne serait pas formé», note-t-il. De même, la montée en compétence des juges consulaires ira de pair avec le tribunal des activités économiques, pour lequel des juges devront être spécialement formés.
Si les juges sont favorables à la formation, ils apprécient les aides apportées. Comme le projet arrivé à terme en 2022 et qui continue en 2023: la nouvelle version du livret de prévention qui recense et présente l’ensemble des dispositifs d’anticipation et de traitement des difficultés d’entreprises parue en octobre 2022.
Du côté des outils, les tribunaux de commerce deviennent de plus en plus digitaux. Si la visio-conférence a été intégrée en 2022, tous les présidents et vice-présidents des juridictions consulaires disposent désormais d’un accès libre et gratuit à Infogreffe, et la signature électronique poursuit son déploiement. Enfin, le chantier de l’open data des décisions des tribunaux de commerce, prévue pour début 2025, se poursuit. Des chantiers qui se construisent «dans un esprit constructif», comme le définit Michel Peslier, dont le but «est de défendre dignement».