La colère des entreprises gagne du terrain
L'augmentation de 60% du taux du versement transport (à son maximum légal de 2% du salaire brut), voté l'été dernier dans le Calaisis, n'en finit pas de faire débat et crispe le monde économique. Menée par le Medef Côte d'Opale, la fronde gagne les autres représentants des entreprises qui ont publié, le 23 février dernier, une lettre ouverte aux élus au moment où des possibilités de relance s'offrent au territoire. Retour sur le mécontentement patronal et les impacts de cette «poll tax»...
C’est au moment de clôturer leurs comptes que les chefs d’entreprise du Calaisis ont pu mesurer la douloureuse. Six mois après le vote à l’unanimité des élus du Syndicat intercommunal pour l’agglomération du Calaisis (Sitac), la taxe sur le versement transport a sensiblement augmenté. “Pour ma petite entreprise, ça fait plus de 5 000 euros par an. Vous croyez que les gars prennent le bus pour aller sur des chantiers ? Nous sommes 10,5 ETP aujourd’hui. Je dois renouveler les contrats : vous croyez que j’ai envie de passer à 11 salariés ?” tonne Marie-Jo Orloff, dirigeante d’une entreprise de travaux publics et membre de la CAPEB. À sa gauche, Philippe De Villiers, représentant Philippe Delahousse, président de la CCI Côte d’Opale, abonde : “Pour le Port, c’est 300 000 euros de plus.” Pierre-Yves Doujet, vice-président de la CGPME Nord Pas-de-Calais et administrateur de la caisse d’assurance maladie de la Côte d’Opale, témoigne : “75 000 euros de plus“. Autour de la table encore, Alain Bontemps, président de la chambre de métiers et de l’artisanat de la région, explique : “Sur le périmètre du Sitac, nous avons dénombré 46 entreprises de plus de dix salariés qui souffrent de cette taxe. Ce sont des boulangers, des artisans dans le bâtiment. Cette taxe sabote le peu qui leur restait pour se payer et vivre…” André Ducrocq, président de l’UIMM Pas-de-Calais, rappelle que “dans la métallurgie, le coût de revient est fortement composé par la masse salariale ; cette taxe fait encore plus mal. Nous sommes vent debout contre cette augmentation“.
Une distorsion territoriale. Même constat chez Alice Gevaert, présidente régionale de la FFDB : “Plus vous avez de la masse salariale, plus vous payez. Et on nous dit d’embaucher !” Que faire ? : “Déménager ou rester à dix“, tranche la dirigeante : effet de seuil garanti. Définitivement, cette augmentation ne passe pas. Et la fronde est mal prise par Philippe Mignonnet, vice-président Les Républicains de l’agglomération : “Nous sommes la seule agglomération à ne pas taxer les ménages avec le versement transport ; c’est un choix que nous assumons. Les collectivités aussi paient le versement transport.” Dans le cadre de l’élargissement de l’agglomération, plusieurs nouvelles communes vont être confrontées à ce taux : Frethun et sa gare TGV, Les Attaques et sa zone d’activité, Bonningues et son installation eléctrique de RTE… Un handicap “territorial” face aux autres agglomérations ? Le Dunkerquois est à 1,55% avec un bassin de population de plus de 200 000 habitants. Son maire, Patrice Vergriete, a promis de ne pas y toucher en 2016. Dans le Boulonnais (120 000 habitants), le taux est de 1,25%. L’Audomarois bat les records avec 0,35% pour 71 500 habitants. Enfin, le Montreuillois, sans réels grands équipements de transport, est logiquement dans un symbolique 0,1%. Dans la région, la taille ne fait pas le taux : Saint-Quentin (80 000 habitants comme Calais) affiche 0,6%, comme Cambrai, Creil, Compiègne, de même taille. Si le Douaisis est à 1,8%, il le doit au tramway. “Le Calaisis est le territoire le plus taxé de France dans sa catégorie. Avec l’image déplorable dont la ville souffre à cause de la situation migratoire…” pointe encore Jean-François Didier, président du Medef Côte d’Opale. À travers ces variations de taux, une concurrence territoriale se joue. À Calais, le Sitac défend son projet de transport en commun en site propre qui doit être financé par l’augmentation de la taxe : un projet estimé à une trentaine de millions d’euros, dont 3,6 budgétés en 2016. Pour autant, le Sitac dit lui-même que “la majoration du taux de VT permettrait d’escompter un produit supplémentaire annuel estimé (sur la base de l’année 2014) à 5,6 millions d’euros. Il s’agit d’une réelle opportunité pour disposer de nouvelles ressources pour le financement des investissements et ainsi permettre au Sitac de continuer à s’autofinancer sans faire appel aux contributions des collectivités adhérentes et donc indirectement à l’impôt des ménages.“
Une revendication “raisonnable” ? En 2015, une partie de ce produit nouveau n’a pas été affecté au projet du Sitac : “on se demande où passe cet argent” interroge Jean-François Didier. Le budget 2015 affiche une subvention d’exploitation pour éponger un déficit. «Plus que cela, nous ne comprenons pas pourquoi les élus ne travaillent pas en concertation avec nous“, déplore-t-il. “C’est notre cinquième courrier sans réponse aux élus. On nous a refusé de voir le Plan de déplacement urbain. Même la CCI n’a pas eu le droit d’en obtenir copie“, lâche Patrick Gheerardyn. La polémique n’en finit pas. Les signataires de cet énième courrier demandent aux élus de revoir leur position et plaident pour que le taux du VT soit de 1% comme la moyenne des agglomérations régionales de même taille. Dans la nouvelle grande Région, seule l’agglomération de Valenciennes a posé son taux au maximum légal. Mais il y a un tramway et 200 000 habitants…
Morgan RAILANE
ENCADRE
Versement et reversement…
Oui, ils l’ont mauvaise quand ils prennent leur calculettes. Les représentants patronaux ont voulu faire une démonstration par les chiffres de la profonde injustice du versement transport, dont la première facture arrive de surcroît au moment où des aides destinées aux entreprises arrivent… Exemple : “Julie envisage d’embaucher Pierre, son 51e salarié. Entre les allègements Fillon, le pacte CICE et l’aide régionale sur une part du salaire brut, l’ensemble du soutien public atteint 844 euros. La masse salariale mensuelle de l’entreprise de Julie est de 111 416 euros. Avec la surtaxe transport de 0,75%, l’addition est de 836 euros, calcule Patrick Gheerardyn. Julie en conclut que la collectivité s’est approprié l’ensemble des allègements (…) qui auraient bénéficié à son entreprise pour l’embauche de Pierre“. Confrontées à la baisse des dotations de l’État, à la réforme territoriale et à la crainte de toucher à la fiscalité des ménages, qui manifestent leur mécontentement lors des scrutins, les collectivités territoriales prennent là où il en reste. Au risque de freiner la reprise.