La chartreuse de Neuville se découvre une nouvelle vocation
Les travaux de rénovation de la chartreuse Notre-Dame des Prés de Neuville-sous-Montreuil, d'un coût de près de 25 millions d'euros, ont été symboliquement lancés le 1er avril, ce qui en fait "le plus grand chantier des Monuments historiques de France" selon l'association qui gère le projet.
“C’est un ancien monastère qui possède 18 000 m² de bâti dans un écrin de verdure de 12 hectares. C’est la plus grande chartreuse de France”, explique Alexia Noyon, la directrice générale. “Cette magnifique chartreuse est dans un état qui nécessite une restauration, mais elle est entière !“, s’enthousiasme, à ses côtés, l’ancien ministre Jean-Paul Delevoye, président de l’Association.
Ce gigantesque ensemble, avec ses cloîtres, sa bibliothèque, ses chapelles, ses 24 cellules monastiques et ses jardins, a connu une histoire mouvementée. Construite en 1324 par le comte de Boulogne Robert VII, la chartreuse a été saisie lors de la Révolution française comme bien national, puis totalement démantelée par une famille qui l’avait rachetée et revendue comme carrière de pierres. Sa reconstruction a été entreprise le 2 avril 1872 – il y a tout juste 135 ans – par l’architecte hesdinois Clovis Normand et l’ordre des chartreux, l’un des plus austères de la chrétienté. Il répond en tout point aux règles architecturales de l’ordre : un espace de silence et de prière pour les pères autour du cloître, une partie à l’avant du monastère pour les frères qui s’occupent des tâches matérielles et, entre les deux, les espaces communautaires (église, bibliothèque, réfectoire, scriptorium).
Les chartreux sont ensuite partis entre 1901 et 1905 s’exiler dans le Sussex (à Parkminster), car ils refusaient les lois sur les associations et sur la séparation de l’Église et de l’État. Le monastère a ensuite servi de sanatorium et a même accueilli un phalanstère d’artistes présidé par le prix Nobel de littérature Anatole France. Au XXe siècle, il a surtout servi d’hôpital et de sanatorium jusqu’aux années 2000, avant d’être brièvement repris par les sœurs de Bethléem qui ont renoncé rapidement au site devant les dégâts de la mérule, un champignon ravageur qui attaque la pierre et le bois. “Le bâtiment, quasiment à l’abandon, s’était fortement dégradé», reconnaît la directrice.
Une restauration imaginée en 2008. Ancien patron de l’entreprise de crayons Bic-Conté, Yves Ducrocq, et Alexandra Noyon, dont l’itinéraire professionnel est passé par l’humanitaire, l’Education nationale et la création d’entreprise, se lancent alors dans l’aventure d’une reprise de la chartreuse en mûrissant une organisation originale à travers un partenariat public et privé. Ainsi, plus de la moitié du bâtiment a été achetée temporairement par des investisseurs privés, qui ont apporté 21 millions. “Ils confient leur bien à une résidence hôtelière qui doit être inaugurée dans trois ans, a priori un trois-étoiles composé de 105 chambres avec kitchenette. Ces investisseurs se sont engagés juridiquement à recéder leur bien à une future fondation sans plus-value“, assure Alexandra Noyon.
L’association La Chartreuse de Neuville, créée en 2008, est pour sa part propriétaire des espaces symboliques et communautaires de l’édifice. Le chantier de restauration officiellement lancé n’est pas que patrimonial : il s’appuie sur un projet centré sur l’innovation sociétale et le développement d’une société inclusive tenant compte des talents et des fragilités de chacun. Déjà devenu Centre culturel de rencontre européen, le site propose des visites, des ateliers pédagogiques, l’accueil d’artistes en résidence et une programmation culturelle. L’association bénéficie du soutien de la Fondation Schwab pour l’entrepreneuriat social. «En effet, explique Alexandra Noyon, nous partageons le diagnostic de Klaus Schwab, fondateur du World Economic Forum à Davos, qui a identifié l’exclusion sociale comme le principal risque des sociétés développées.»
Un lieu d’intimité et de dialogue. Bien plus qu’une résidence hôtelière, la chartreuse doit donc devenir “un lieu de prospective et de réflexion sur les enjeux de société et l’accompagnement de projets innovants concrets“. Et ses animateurs rêvent de faire dialoguer, dans ce cadre exceptionnel, acteurs publics, chefs d’entreprise, artistes, jeunes en difficulté, autour de thèmes aussi divers que l’urbanisme, l’insertion ou l’alphabétisation… Un lieu de respiration, de regards croisés et de rencontres improbables.
Un financement privé-public. Concrètement, la maîtrise d’ouvrage de la phase 1 de cette opération, concernant la sauvegarde du clos et du couvert, est assurée conjointement par l’association syndicale libre (ASL) des copropriétaires “La Chartreuse Notre-Dame des Prés” et l’association de préfiguration de la Fondation La Chartreuse de Neuville, avec l’assistance de l’agence Urbavileo à Boulogne-sur-Mer. Ont le droit à la qualité de «partenaires bâtisseurs publics» l’Etat (DRAC), le conseil régional des Hauts-de-France, le conseil général départemental du Pas-de-Calais, la CCI Littoral Hauts-de-France, le Syndicat mixte du Montreuillois et Touquet tourisme.
Partenaires privés, la Fondation du Crédit agricole Nord de France et RTE ont profité de l’inauguration pour remettre respectivement des chèques de 150 000 et 50 000 euros. Au-delà, Jean-Paul Delevoye, président de l’association La Chartreuse de Neuville, a tenu à saluer les 53 investisseurs privés ainsi que les services publics. De même, l’Union européenne, qui a alloué deux millions d’euros pour la rénovation de l’édifice, n’a pas été oubliée dans les remerciements.
La chartreuse de Neuville, qui accueille environ 12 000 visiteurs par an, restera accessible au public le temps des travaux, qui concernent 14 000 m². Déjà 150 ouvriers s’y activent : couvreurs, charpentiers, menuisiers, tailleurs de pierre et maîtres verriers…