La BCE passe à l'action : planche à billets ou planche de salut ?
La BCE a annoncé la mise en place d'un assouplissement quantitatif afin de lutter contre la déflation qui menace la zone euro. Hélas, ces 1 140 milliards d’euros arrivent au plus mauvais moment et n’auront donc que de faibles effets…
Le taux d’inflation annuel de la zone euro s’est établi à -0,2 % en décembre 2014, contre +0,8% fin 2013, alors que l’objectif de moyen terme que se fixe la BCE est de 2%. Pire, si l’on regarde de près, on constate que 16 Etats membres de l’Union européenne ont désormais un taux d’inflation négatif, et certaines économies, comme la Grèce et l’Espagne, sont déjà entrées dans une spirale déflationniste : baisse des prix, hausse des taux d’intérêt réels, baisse de l’investissement, compression des salaires, chute de la consommation, anticipation de la poursuite de la baisse des prix, report des achats et de l’investissement, nouveau recul des prix, etc. Face à ce constat alarmant, comme l’avait laissé entendre Mario Draghi son président, la BCE a décidé d’agir en annonçant un assouplissement quantitatif (quantitative easing).
Les politiques monétaires.
En période de fonctionnement normal de l’économie, les Banques centrales atteignent leurs objectifs grâce à des politiques monétaires conventionnelles basées essentiellement sur l’utilisation des taux directeurs. Le principal taux directeur est le taux d’intérêt auquel les banques commerciales se refinancent auprès de la BCE. Ainsi, plus il est élevé, plus les banques payent leurs ressources chères, et donc moins elles sont incitées à prêter. Or, actuellement,
le principal taux directeur de la BCE est fixé à 0,05%, ce qui laisse peu de marge pour sauver la zone euro de la déflation par une nouvelle baisse de ce taux.
De plus, en situation de crise les agents économiques cherchent à se désendetter et une nouvelle baisse des taux ne les incitera donc pas à emprunter davantage.
La BCE peut alors pratiquer des politiques monétaires non conventionnelles, comme le rachat de titres (ABS, covered bonds) – qu’elle a commencé à mettre en œuvre au mois de décembre 2014 – ou plus généralement l’assouplissement quantitatif.
Avec pour finalité prioritaire de retourner les anticipations d’inflation à la hausse, conformément au mandat qui lui a été donné, et qui la distingue de la Banque centrale des Etats-Unis dont l’objectif est double : la stabilité des prix et la croissance.
L’assouplissement quantitatif, un bazooka monétaire. Contrairement à une idée reçue, le quantitative easing mis en place par la BCE ne consiste pas à injecter directement dans l’économie de la monnaie nouvellement créée par ses soins.
Il s’agit plutôt pour la Banque centrale d’acheter des titres sur les marchés en créant la monnaie nécessaire. Plus précisément, la BCE achètera des titres de dettes (ABS, covered bonds, mais surtout dettes d’Etats et d’institutions européennes comme le Fonds européen de stabilité financière – FESF –, le Mécanisme de stabilité – MES – ou la Banque européenne d’investissement – BEI) sur le marché secondaire, entre mars 2015 et septembre 2016, pour un volume de 60 milliards d’euros par mois, soit un total de 1 140 milliards d’euros !
Pour le dire autrement, la monnaie créée servira à racheter de la dette publique déjà émise, puisque les traités européens interdisent tout financement direct sur le marché primaire. De plus, ces liquidités nouvelles ne seront pas données aux entreprises et aux ménages.
Ce sont essentiellement les institutions bancaires et financières qui en profiteront, à charge pour elles ensuite d’octroyer sur cette base des prêts à l’économie réelle… Remarquons aussi que la BCE ne mutualisera que 20 % des achats et donc des risques.
En pratique, cela signifie que les Banques centrales nationales (BCN), comme la Banque de France ou la Bundesbank, achèteront les titres des institutions européennes à hauteur de 12 % et la BCE, 8 % du total, en respectant la clé de répartition au capital de la BCE.
Pour les autres 80 %, les BCN achèteront des titres de leur propre Etat sur le marché secondaire. Exit donc la solidarité de l’Eurosystème, qui était pourtant la règle jusqu’à présent !
Une efficacité faible… Cet assouplissement quantitatif arrive malheureusement bien tard, puisque le prix des actifs est élevé, les taux d’intérêt sont très bas et les banques ne semblent pas vouloir de liquidités supplémentaires, comme le prouve la faible utilisation des fonds mis à leur disposition dans le cadre du programme TLTRO (400 milliards d’euros de prêts à long terme offerts aux banques, afin de relancer le crédit en zone euro).
De plus, ce quantitative easing ne relancera pas l’économie comme aux Etats-Unis, car les effets de richesse – hausses de la consommation et de l’investissement liées à la très forte augmentation du prix des actifs – sont beaucoup plus faibles en Europe. Enfin, tant que la demande dans la zone euro restera déprimée par les politiques d’austérité, cette politique monétaire très accommodante ne pourra pas inverser la vapeur.
C’est du reste la leçon de l’assouplisse- ment quantitatif lancé au Japon, qui n’a pas empêché l’économie de retomber en récession en raison de salaires qui n’augmentent pas et d’impôts qui évoluent trop vite à la hausse.
Mario Draghi, bien que conscient de tout cela, s’est retrouvé face à un choix kafkaïen : annoncer un assouplissement quantitatif, dont il sait pertinemment qu’il n’aura que très peu d’effet, ou y renoncer et créer dès lors une panique sur les marchés financiers, qui ont déjà intégré depuis quelques semaines dans leurs prix l’annonce de cette mesure.
Une politique monétaire porteuse de grands risques. L’efficacité attendue de cette politique monétaire est faible, mais les risques afférents sont élevés. On assistera certainement à un écrasement des primes de risque et donc une baisse artificielle des taux des obligations publiques. Certes, cela peut sembler une bonne nouvelle pour le financement des dettes publiques, mais le risque est que la discipline budgétaire ne soit plus respectée. De plus, les investisseurs qui auront récupéré de la liquidité en échange du rachat de leurs titres, vont devoir reallouer ces fonds. Le risque est alors grand de voir des volumes importants se placer sur les mêmes catégories de titres les plus rémunérateurs, donc les plus risqués, ce qui débouchera sur la formation de bulles financières et une augmentation du risque global. L’assouplissement quantitatif porte donc les germes de la prochaine crise, qui se déclenchera lorsque les bulles éclateront.
Enfin, et c’est tout le problème rencontré par la Banque centrale des Etats-Unis, la Fed, il faudra bien un jour récupérer toutes ces liquidités lorsque l’économie ira mieux.
Et l’exemple américain nous a bien montré combien il était délicat de retirer du circuit économique de la monnaie sans faire retomber l’économie en récession ou provoquer de graves bouleversements sur les marchés financiers, dopés par le volume colossal des fonds injectés.
En définitive, Mario Draghi avait promis en 2012 qu’il était prêt à tout faire pour sauver l’euro, et il le prouve avec cet assouplissement quantitatif.
Mais en l’absence de fédéralisme et d’une relance budgétaire coordonnée au niveau européen, la politique monétaire sera hélas bien vaine !
Raphaël DIDIER