L’occupation sans titre du domaine public donne lieu à redevance
Les personnes publiques (Etat, collectivités territoriales et leurs groupements, ainsi que les établissements publics) sont propriétaires de biens immobiliers. Quand ceux‑ci sont affectés à l’usage direct du public (par exemple, une place communale) ou à un service public aménagé (ex : un théâtre municipal), ils font partie du domaine public de leur propriétaire.
Le plus souvent, il est fait un usage commun et impersonnel d’un tel domaine. Ainsi, des piétons qui empruntent une voie communale les menant à un monument public dont ils feront la visite, payante ou non. Mais le domaine public peut aussi faire l’objet d’une utilisation privative. Il en est ainsi lorsqu’une portion de ce domaine est soustraite à l’usage commun au profit d’une personne déterminée aux fins d’installer sur les trottoirs municipaux, qui une terrasse de café, qui un kiosque à journaux.
L’usage privatif suppose toujours une autorisation expresse (“un titre”) délivrée à un bénéficiaire (personne physique ou morale) nommément désigné. Elle prend la forme soit d’une décision unilatérale de l’administration, soit d’un contrat liant cette dernière à l’occupant. Cette autorisation confère à son titulaire un droit exclusif qui lui permet d’interdire aux autres administrés d’utiliser le même emplacement. Un tel avantage, on s’en doute, n’est pas sans contre- partie. Sauf rares exceptions, l’occupant privatif doit en effet verser un loyer, nommé “redevance”, à l’administration propriétaire. En 2011, il a été jugé que cette obligation incombait aussi à l’occupant sans titre du domaine public (CE, 16 mai 2011, req. n°317675). Il en résulte que, pour la période d’occupation irrégulière, l’administration est fondée à réclamer à l’occupant illicite une indemnité compensant son manque à gagner. À cette fin, elle se fondera soit sur un tarif existant, soit, en son absence, sur le revenu qu’aurait produit, pendant ce temps, une occupation régulière de la parcelle considérée.
À ce stade, on pouvait s’interroger en ces termes : que se passe-t-il lorsque l’occupation irrégulière concerne un emplacement interdit de toute occupation, pour des raisons, par exemple, de sécurité ? En pareil cas, naturellement, il ne peut y avoir ni tarif existant ni référence à un quelconque revenu. Le Conseil d’Etat vient d’en décider autrement (CE, 13 février 2015, req. n°366036). Selon lui, que l’emplacement irrégulièrement occupé soit interdit ou non est indifférent. En toute hypothèse, estime-t-il, l’administration est fondée à “réclamer à un occupant sans titre une indemnité compensant les revenus que (l’administration) aurait pu percevoir d’un occupant régulier pendant cette période”.
La Haute Juridiction administrative maintient donc fermement la règle selon laquelle toute occupation privative du domaine public exige une contrepartie financière. L’inverse, il est vrai, aurait paradoxalement conduit à traiter plus favorablement celui qui occupe irrégulièrement un emplacement pour lequel toute utilisation est prohibée. En conséquence, on ne saurait trop conseiller aux candidats à l’occupation sauvage d’une parcelle du domaine public dont l’usage est proscrit d’y réfléchir à deux fois.
Car, pour peu que l’administration s’y résolve (et en dépit même de sa tolérance passée à l’égard d’une telle situation), l’occupant fautif (par exemple le vendeur de restauration rapide dont la caravane stationne sur un emplacement réservé aux véhicules des services publics de la police) s’expose à une triple peine : une amende pour contravention de voirie routière (jusqu’à 1 500 €) ou, le cas échéant, de grande voirie (jusqu’à 12 000 € pour le domaine public fluvial) ; le versement d’une redevance pour occupation privative du domaine public ; une expulsion judiciaire sous astreinte. Qu’on se le dise…
Etienne COLSON,
avocat au barreau de Lille (contact@colson-avocat.fr)