L’intérêt de la mise en société de l’entreprise individuelle
Faut‑il transformer une entreprise individuelle en société ? C’est la question incontournable que doivent se poser les chefs d’entreprises individuelles pendant la phase de développement de l’entreprise ou lors de la transmission de celle‑ci.
Si la question est classique, les réponses n’en sont pas moins variées.
Ainsi, on prête à la forme sociétaire un certain nombre de vertus parmi lesquelles notamment une meilleure protection du patrimoine, une fiscalité plus avantageuse.
Mais surtout, elle rend la transmission de l’entreprise plus facile à organiser.
Moment clé de la vie d’une entreprise, la transmission est une opération souvent très délicate à mettre en oeuvre.
Le législateur ne s’y est d’ailleurs pas trompé, et, depuis plusieurs années, de nombreuses dispositions ont été adoptées afin de favoriser les transmissions d’entreprises.
Même si le législateur a insisté sur l’aspect fiscal, des mesures doivent également être prises sur le plan juridique.
En effet, la fiscalité ne fait pas tout et, pour être réussie, la transmission doit être préparée.
Dans beaucoup de situations, l’entreprise devra être restructurée sur le plan juridique.
Nous n’aborderons pas la restructuration pouvant intervenir pendant la vie de l’entreprise mais n’oublions pas que dans le souci d’encourager la création d’entreprise et d’offrir à l’entrepreneur individuel un cadre juridique stable et sécurisé, le législateur a favorisé l’émergence d’un patrimoine d’affectation strictement professionnel par l’institution de l’entreprise individuelle à responsabilité limitée (EIRL) qui permet à “tout entrepreneur individuel d’affecter à son activité professionnelle un patrimoine séparé de son patrimoine personnel, sans création d’une personne morale”.
La restructuration qui nous intéresse ici peut notamment consister à mettre l’entreprise individuelle en société.Dans un premier temps, nous exposerons les motifs généraux de la mise en société de l’entreprise individuelle puis dans un deuxième temps, nous analyserons les avantages de cette restructuration à l’occasion de la transmission d’une entreprise.
I/ Les motifs généraux de la mise en société de l’entreprise individuelle
Favoriser la croissance de l’entreprise En premier lieu, la mise en société est une étape quasi-obligatoire dans la phase de développement de l’entreprise.
Si la forme sociétaire choisie est soumise à l’impôt sur les sociétés (IS), elle peut favoriser sa croissance dans des conditions plus favorables : les réserves non distribuées sont seulement taxées au niveau de la société au taux de l’IS égal à 33,33 %, alors que dans l’entreprise individuelle, les réserves, distribuées ou non, sont soumises à l’impôt sur le revenu (IR) des personnes physiques au taux de 41 %, auquel s’ajoutent les cotisations sociales. Ainsi, la société assujettie à l’IS s’adressera en priorité aux entreprises ayant un fort besoin d’autofinancement mais également à l’entrepreneur individuel imposé à un taux élevé à titre personnel.
Mais il faut tempérer cet avantage si les résultats après IS sont distribués au dirigeant, car dans cette hypothèse, il est imposé dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers au taux progressif de l’impôt sur le revenu après application d’un abattement de 40 %, sauf option pour le prélèvement forfaitaire au taux de 21 % hors prélèvements sociaux, libératoire de l’impôt sur le revenu.
En second lieu, l’adoption d’une forme sociétaire permet de se procurer des sources de financement diversifiées ou de s’associer avec d’autres partenaires qui effectueront alors un apport en numéraire ou un apport en nature de biens ou encore un apport de connaissances techniques et organisationnelles qualifié d’industrie.
Se prémunir des créanciers
L’entrepreneur individuel est indéfiniment responsable des risques de son entreprise, sur son patrimoine personnel et ce en application du principe d’unicité du patrimoine. Autrement dit, tout créancier quel qu’il soit, personnel ou professionnel, peut poursuivre l’ensemble des biens du chef d’entreprise quelle que soit l’origine et la nature de sa créance.
Il est conseillé à l’entrepreneur de choisir la forme d’une société de capitaux comme la société à responsabilité limitée (SARL) ou la société par actions simplifiée (SAS) dans lesquelles la responsabilité du dirigeant est en principe limitée au montant des apports.
Il y aura désormais deux sujets de droit : une personne morale, la société, propriétaire du fonds ou de l’entreprise, et une personne physique, l’entrepreneur, titulaire d’un patrimoine privé.
Mais, il ne faut jamais oublier que la séparation des patrimoines n’est jamais absolue dans la mesure où les créanciers de la société, en particulier les établissements bancaires, ne manquent pas d’exiger que le dirigeant se porte caution de la société, l’obligeant ainsi à engager son patrimoine personnel.
II/ Les intérêts de la mise en société de l’entreprise individuelle en cas de transmission de l’entreprise
La mise en société de l’entreprise individuelle est souvent recommandée pour faciliter la transmission de l’entreprise au retrait ou au décès du fondateur.
Transmission de l’entreprise entre vifs
La transmission d’une entreprise entre vifs, à titre onéreux (vente) ou à titre gratuit (donation), est plus aisée dans le cadre d’une structure sociétaire que dans celui d’une structure individuelle que ce soit sur le plan juridique ou sur le plan fiscal.
Sur le plan juridique
Eviter les inconvénients de la cession de fonds de commerce
Ces inconvénients tiennent tout d’abord au respect du formalisme et des publicités de la cession d’un fonds de commerce réglementée par des lois de 1909 et 1935. En effet, des mentions rigides doivent figurer obligatoirement dans l’acte de vente dans le but de permettre à l’acquéreur de savoir précisément ce qu’il achète.
Des publicités légales doivent être effectuées permettant de protéger les créanciers du vendeur.
Phase préalable d’une restructuration
Il arrive souvent que la mise en société de l’entreprise individuelle soit l’occasion pour le chef d’entreprise de séparer l’actif immobilier de son actif professionnel. Celui-ci sera alors confronté au choix suivant : conserver les murs dans lesquels est exercée l’activité dans le cadre de son patrimoine privé ou les détenir par le bais d’une société civile immobilière (SCI), laquelle réalisera l’acquisition ou la construction de l’immeuble puis le mettra à la disposition de la société d’exploitation au moyen d’un bail.
Nous privilégions ici la deuxième solution qui rendra plus aisée la transmission (à titre gratuit ou à titre onéreux) de l’immeuble car représenté par des parts sociales, sa transmission est à la fois plus commode et fiscalement moins onéreuse et ce dans l’hypothèse où le fonds de commerce aura été apporté à la société d’exploitation dans le cadre d’une mise en société.
Notons que la séparation des actifs immobilier et professionnel préalable à la mise en société de l’entreprise individuelle est préférable au montage consistant à apporter l’immeuble à la société d’exploitation en même temps que le fonds de commerce, puis de le retirer ensuite de l’actif professionnel pour être transféré dans le patrimoine privé du chef d’entreprise ou apporté à une SCI car ce retrait a posteriori sera considéré fiscalement comme une cession, donnant lieu à taxation de la plus-value professionnelle éventuellement constatée à cette occasion.
La dissociation de certains éléments
Par rapport à l’exploitation individuelle, la société permet la dissociation de différents éléments qui caractérisent le fonctionnement d’une exploitation.
Pouvoir et capital
Dans une société, il est possible de transmettre par paliers son pouvoir indépendamment de son capital. Ainsi, l’héritier repreneur peut acquérir un faible pourcentage de parts sociales et devenir associé, puis cogérant et enfin gérant, le fondateur lui confiant progressivement la gestion de la société.
Capital et revenu
La société offre la possibilité de répartir les revenus dégagés au fur et à mesure de leur évolution. Et cela indépendamment de la répartition des droits sociaux entre associés. Ainsi, la détention d’actions de préférence dans certaines sociétés, actions avec ou sans droit de vote, assorties de droits particuliers de toute nature, à titre temporaire ou permanent, peut permettre à l’héritier repreneur en attendant le rachat des actions de se procurer des revenus, voire de financer l’impôt de solidarité sur la fortune dont il peut être redevable ne bénéficiant pas de l’exonération au titre de l’outil de travail.
La transmission progressive du capital social
Par rapport à la cession en “bloc” de l’entreprise individuelle, la société permet au chef d’entreprise de transmettre de son vivant le contrôle de l’affaire aux membres de la famille ou à des tiers de manière graduelle.
Organiser n’est pas transmettre ou pas – nécessairement – transmette immédiatement : c’est simplement convenir des modalités immédiates ou futures de la dévolution du capital. Autrement dit, si le dirigeant est tenu de prévoir, il n’est nullement contraint de se dessaisir en même temps de ses parts ou actions.
Le fondateur peut ainsi épauler le successeur qu’il s’est choisi, soit en ne cédant, dans un premier temps, qu’une partie de ses titres, soit en conservant l’usufruit des titres cédés ou donnés.
La simplification du partage
Il est difficile d’organiser dans l’entreprise individuelle une transmission du pouvoir sans transmission – corrélative et immédiate – du capital (donc ici des actifs), et encore plus de concocter une transmission patrimoniale dans le respect de la règle de l’égalité dans le partage (en raison bien souvent, de l’inconsistance – relative – du patrimoine extraprofessionnel du chef d’entreprise). Alors que dans le cadre du partage successoral d’une société, les parts ou actions peuvent aisément faire l’objet d’un partage et donc d’une transmission (à titre gratuit ou onéreux) sans qu’il soit porté atteinte à l’efficacité de l’entreprise.
L’optimisation de la transmission entre vifs
Lorsqu’il s’agit d’organiser la transmission d’une entreprise familiale, la donation- partage constitue un outil idéal en raison de la règle de la fixité des évaluations au jour de l’acte. Mais il peut arriver que l’utilisation exclusive de cet instrument soit insuffisante. En effet, l’outil de travail représentant le plus souvent une grande partie du patrimoine du dirigeant, il sera souvent difficile d’exécuter la libéralité, soit que le patrimoine du dirigeant ne soit pas assez diversifié pour allotir les héritiers non repreneurs en biens extra-professionnels, soit que l’héritier repreneur ne dispose pas des sommes nécessaires au règlement de la soulte aux autres héritiers, somme destinée à compenser l’inégalité du partage.
C’est pourquoi, il faut sortir de cette corrélation capital-pouvoir, qui n’est pas incontournable et organiser une dissociation du pouvoir et du capital permettant de transmettre le premier sans porter atteinte à la réserve héréditaire qui protège le second.
La constitution d’une holding familiale permettra de répartir de manière égalitaire l’actif successoral professionnel, tout en confiant la direction à celui qui désire être à la tête de l’entreprise.
Il suffit de détenir la majorité des droits sociaux dans la société holding, qui détient elle-même la majorité des titres de la société d’exploitation pour en fait contrôler la société cible. Ainsi, le titulaire de 51 % de la holding qui, elle-même détient 51 % de la société d’exploitation, détient le contrôle de cette dernière avec en réalité seulement 26 % des droits de vote de la société d’exploitation.
Sur le plan fiscal
La transmission des droits sociaux se réalisera souvent mais pas systématiquement à des conditions fiscales plus favorables que celles applicables à la transmission de l’entreprise individuelle.
Droits d’enregistrement
Les droits applicables en cas de cessions sociaux restent aujourd’hui moins élevés que ceux qui grèvent la vente d’une entreprise individuelle.
Ainsi, les droits d’enregistrement sur les cessions d’actions de sociétés cotées ou non sont de 3% pour la fraction d’assiette inférieure à 200 000,00 euros, de 0,5% pour la fraction d’assiette comprise entre 200 000,00 et 500 000 000,00 euros et de 0,25% pour la fraction d’assiette excédant 500 000 000,00 euros.
Les droits sont de 3% pour les cessions de parts sociales dans les sociétés dont le capital n’est pas divisé en actions (SARL, sociétés de personnes) ; dans ce cas, il est appliqué sur la valeur de chaque part sociale un abattement égal au rapport entre la somme de 23 000,00 et le nombre total de parts sociales de la société. Quant à la cession du fonds de commerce, elle est plus onéreuse puisqu’elle est taxée à 3% pour la fraction du prix comprise entre 23 000,00 et 200 000,00 euros et à 5% pour la fraction du prix supérieure à 200 000,00 euros.
Lorsque la cession (à titre onéreux ou à titre gratuit) porte sur des droits sociaux, les droits d’enregistrement sont perçus sur leur valeur vénale, elle-même déterminée en fonction de la valeur nette de la société, c’est-à-dire déduction faite de son passif.
Elle bénéficie donc d’un régime plus favorable que les donations ou ventes d’entreprises individuelles dont la taxation est opérée sans déduction du passif et des charges.
Impositions des plus-values
La transmission onéreuse de l’entreprise individuelle, donne lieu, sauf application d’un mécanisme d’exonération ou de report d’impôt sur la plus-value, à l’imposition des plus-values afférentes aux divers éléments de l’actif immobilisé selon le régime des plus-values professionnelles. Le chef d’entreprise individuelle aura parfois à supporter une imposition dont le taux pourra excéder 50% compte tenu des prélèvements sociaux. De même, lorsque la société est soumise au régime fiscal des sociétés de personnes, la cession des parts détenues par les associés qui exercent dans la société leur activité professionnelle relève du régime des plus-values professionnelles, sauf application d’un régime d’exonération.
En revanche, en cas de cession à titre onéreux de droits sociaux, l’imposition de la plus-value est limitée au taux proportionnel de 19%, auquel s’ajoute les prélèvements sociaux.
En plus, des dispositifs d’exonération existent, notamment en cas de cession à titre onéreux de titres d’une société assujettie à l’IS détenus depuis plus de huit ans dans le cadre d’un départ à la retraite ou encore en cas de cession de participations excédant 25% des bénéfices réalisées au sein d’un groupe familial.
La donation d’actions ou de parts d’une société soumise à l’IS, ne génèrent pas de plus-values taxables, car ces droits sociaux sont considérés comme de simples éléments du patrimoine privé et non comme des éléments d’actif professionnel. Au contraire, la donation de l’entreprise individuelle donne lieu à l’imposition des plus-values professionnelles, sauf mise en jeu d’un dispositif de report d’imposition mais dont la charge pèsera sur les nouveaux exploitants.
Transmission de l’entreprise en cas de décès
L’avantage de la forme sociétaire se vérifie également en cas de transmission de l’entreprise en cas de décès de son dirigeant.
Sur le plan juridique
Le décès de l’entrepreneur individuel, laisse place, en cas de pluralité d’héritiers, à une indivision qui est une véritable source de conflits conduisant en général au partage des biens indivis. L’indivision successorale est soumise à deux règles.
D’une part, la précarité : la volonté d’un seul coïndivisaire peut y mettre fin, mis à part quelques cas de sursis au partage, et uniquement sur décision d’un tribunal. D’autre part, une gestion contraignante : en principe, si les actes d’administration relevant de l’exploitation normale des biens indivis peuvent être effectués dès lors que la majorité des deux tiers des indivisaires est obtenue, aucun acte lié à la vente des biens ou à la conclusion de baux ruraux ou commerciaux ne peut être accompli sans l’accord unanime des coïndivisaires. Or la société substitue à l’indivision un cadre organisé, désiré et pensé par les associés.
Le régime de l’indivision s’appliquera alors aux parts et actions, et non à l’entreprise ; il suffira de mettre en place une organisation permettant le maintien du fonctionnement de l’entreprise et donc sa pérennité.
Par ailleurs, il faut rappeler que la durée d’une société est librement fixée par les associés dans leurs statuts. La société ne sera pas dissoute par le décès de l’un de ses associés – sauf exception de la société en nom collectif – car dotée de la personnalité morale, elle survivra à la disparition de l’un de ses membres.
Afin d’assurer la continuité des affaires sociales lors du décès du dirigeant, il faudra pourvoir à son remplacement, ce qui peut être prévu de manière anticipée au cours de la vie sociale.
Les structures sociétaires peuvent permettre de concilier les règles de la dévolution successorale et celles de l’unité du commandement au sein de l’entreprise par une dissociation du capital et du pouvoir. En fonction de la forme de la société choisie, cette dissociation pourra résulter des conditions de nomination des dirigeants prévues par les statuts ou résider dans la différenciation des droits des associés, en jouant sur les droits de vote.
La nomination du successeur pourra intervenir soit au jour de la démission, du départ à la retraite ou du décès de l’ascendant ; soit avant même la survenance de l’un ou l’autre de ces événements, si le dirigeant souhaitait accompagner – un temps – le nouveau dirigeant : les deux pourraient alors siéger, à titre d’exemple, au sein du directoire d’une SA ou être les cogérants d’une SARL.
Enfin, lors de la transmission de l’entreprise familiale, la composition du capital social se trouvera affectée. La pérennité de l’entreprise à long terme supposera d’assurer une certaine stabilité dans la répartition du capital social ou d’aménager les conditions dans lesquelles cette répartition pourra évoluer. Ces objectifs pourront être atteints au moyen de clauses statutaires comme des clauses d’agrément, de préemption ou d’inaliénabilité.
Sur le plan fiscal
Si l’entreprise est exploitée sous forme individuelle, le décès de l’exploitant entraîne une cessation d’entreprise qui se traduira par une imposition immédiate des bénéfices de l’exercice en cours, des bénéfices en sursis d’imposition et des plus-values d’actif immobilisé constatés du seul fait du décès.
Si l’entreprise est exploitée sous la forme d’une société de capitaux, le décès de l’un des associés n’entraîne pas la disparition de la société puisque la personnalité morale du groupement n’est pas atteinte. En conséquence, la société poursuit son activité et il n’y a pas de cessation d’activité génératrice de taxation des résultats ou des plus-values au niveau de la société.