L’économie collaborative va-t-elle tout bouleverser ?
Co-voiturage, location d’appartements ou de perceuses de particulier à particulier… De nouvelles pratiques se diffusent, qui reposent sur un modèle économique novateur, la consommation dite collaborative. L’avenir ?
Cet automne, BlaBlaCar, plateforme de co-voiturage, s’est offert une campagne de publicité sur les quais du métro à Paris. Cette entreprise est rentrée dans le quotidien des Français. Avec elle, émergent de plus en plus d’entreprises dites de « l’économie collaborative ». Le principe : mettre en relation des particuliers pour qu’ils se vendent ou s’échangent des biens et des services auparavant fournis par des entreprises. Mais « à qui profite l’économie collaborative ? » Organisé par Netscouade, agence digitale, le 28 octobre à Paris, un débat a réuni plusieurs représentants de ce nouveau secteur, venus témoigner et expliquer leur démarche. « Cette nouvelle économie recouvre quatre grands pans » présente Flore Berlingen, cofondatrice de la plateforme Ouishare, où se retrouve cette nouvelle génération d’entrepreneurs. « La consommation collaborative est la plus visible, depuis deux ans. Elle repose sur une mutualisation de biens et services entre particuliers », poursuit-elle. Exemples : le co-voiturage, l’hébergement dans les appartements de particuliers, la location de perceuses… D’autres pratiques se développent aussi, comme « la finance participative. Il y a des prêts, des dons, des investissements dans des projets de tous types. On a dépassé le stade anecdotique », estime Flore Berlingen. Deux tendances sont moins visibles : la production contributive, avec, par exemple, un projet de voiture open source, et la dissémination du savoir, avec l’open science. En tout cas, « la vision commune derrière ces différents pans, c’est celle d’une vision en peer to peer, en réseau. On parle d’économie distribuée », synthétise Flore Berlingen.
Montée en puissance
Des signes montrent que cette économie gagne du terrain. Certaines entreprises connaissent une expansion importante au niveau international. Aujourd’hui, par exemple, la carte de Paris est recouverte de points qui symbolisent les appartements dont les propriétaires ont adhéré à Airbnb, plateforme de location d’appartements de particulier à particulier. Quant au covoiturage, « on est sur une pratique de masse », estime Flore Berlingen. Autre signe, le succès du Bon Coin. « Il compte 22 millions d’annonces et c’est le deuxième site visité en France », rappelle Flore Berlingen. Autre exemple, dans l’alimentaire, la croissance régulière de la plateforme « La ruche qui dit oui », qui met en relation groupes de consommateurs et producteurs locaux. « Il y a des ouvertures de ruches chaque jour », commente Flore Berlingen. Reste à savoir comment ces nouveaux acteurs économiques vont s’articuler avec ceux qui sont déjà sur la place. « Ce n’est pas simple », admet Flore Berlingen qui remarque plusieurs phénomènes. « Certains acteurs s’adaptent, surfent sur cette tendance, notamment dans la distribution », explique-t-elle. Exemples : le trocatlhon de Decathlon, ou Auchan qui associe ses clients à la conception de produits, pratiquant ainsi le crowdsourcing, l’appel à la foule. Par ailleurs, s’il existe des impacts négatifs sur un secteur d’activité précis, par un effet de concurrence, « pour l’instant, on n’a pas de chiffres. Mais, s’ils existent, il faut les mettre en balance avec les impacts locaux », plaide Flore Berlingen. Airbnb explique ainsi que les appartements étant situés sur un territoire plus large que les zones strictement touristiques, des commerces locaux nouveaux bénéficient de cette tendance.
Phénomène de crise ou mutation durable ?
D’après les entrepreneurs réunis par la Netscouade, le succès rencontré trouve son origine dans différentes motivations chez les consommateurs. « La crise est un catalyseur », estime Marion Carrette, présidente et fondatrice de Zilok , site de location d’objets entre particuliers qui compte 200 000 objets à louer et autant de membres. Elle a également créé Ouicar.fr, plateforme de location de voitures entre particuliers. Pour Marion Carrette, c’est « monsieur tout le monde » qui vient chercher une perceuse ou une voiture. Et, « la motivation est avant tout financière pour les offreurs. Le développement durable… c’est la cerise sur le gâteau », ajoute l’entrepreneuse. Quant aux voitures, « c’est 30 à 50% moins cher qu’un loueur classique. Il y a une prédominance du critère économique. Et en plus, on a un maillage plus dense que n’importe quel loueur professionnel », complète la fondatrice de Ouicar.fr. Bref, cette nouvelle formule pourrait inquiéter Avis et Hertz. Dans le domaine financier, en revanche, « dès qu’un projet a de fortes ambitions, il y a aussi du financement bancaire, des business angels. Le financement participatif est un moyen parmi d’autres, une couche dans un financement multiple », estime Mathieu Maire du Poset, directeur projet et communication chez Ulule. Sur cette plateforme, 280 000 internautes viennent soutenir financièrement des projets, avec une contrepartie physique, et non en revenus. Jusqu’à présent quelque 3 000 projets ont été soutenus, dans le domaine de la bande-dessinée, de la mode ou encore de la solidarité, pour des montants qui vont de 500 à 700 000 euros. « Les motivations sont très différentes selon les utilisateurs. Certains sont très proches du porteur de projet. C’est le frère, l’ami… On le soutient sans s’intéresser beaucoup au projet lui même. Plus on s’éloigne, plus les gens s’intéressent au projet, aux contreparties », explique Mathieu Maire du Poset. Et l’intérêt se poursuit, même une fois le projet lancé. Par exemple, la Brasserie la Goutte d’or est parvenue à trouver des soutiens et des clients qui continuent de suivre le projet. « La communauté s’est attachée au projet, car ils l’ont aidé à démarrer. Cela crée un lien », commente Mathieu Maire du Poset. Mais l’une des entreprises les plus emblématiques de cette nouvelle économie est sans doute Bla- BlaCar. Le site de covoiturage compte 5 millions d’inscrits et 700 000 passagers par mois. Ici aussi, « le critère économique constitue le déclencheur. Mais après, les gens continuent pour l’aspect social. Non seulement le chauffeur peut économiser 180 euros tout les week-ends sur un aller et retour Paris- Lyon, mais en plus, il n’est plus obligé de faire la route tout seul », explique Frédéric Mazzella, président et fondateur de BlaBlaCar.