Dossier spécial

L’artisanat joue la carte de la prudence

Avec 153 000 entreprises, 300 000 emplois pour un chiffre d’affaires de 31 milliards d’euros, l’artisanat pèse inexorablement sur l’économie régionale. Le Pacte régional 2024-2026 signé en septembre dernier entre Franck Leroy, le président de la région Grand Est et Christophe Richard, le président de la Chambre de métiers et de l’artisanat (CMA) Grand Est vise justement à renforcer la compétitivité et la visibilité de ce secteur qui a toujours su se montrer résilient.

© CMA Grand Est
© CMA Grand Est

Un secteur dynamique et créateur d’emplois avec un niveau d’activité des entreprises artisanales du Grand Est qui s’est globalement amélioré en 2024 (par rapport à 2023), sans pour autant retrouver les scores de l’avant-crise Covid. À l’heure où tous les voyants économiques et les perspectives sont dans le rouge et où le pessimisme l’emporte, la dynamique artisanale fait-elle exception ? «On constate avant tout de la résilience, mais aussi de l’inquiétude chez les chefs d’entreprise qui trouve sa source dans les discours actuels et le manque de visibilité du projet de loi de finances», analyse Christophe Richard le président de la Chambre de métiers et de l’artisanat du Grand Est. Loin du catastrophisme annoncé dans certains secteurs, le tissu artisanal dense régional semble plutôt bien résister. La dernière étude conjoncturelle de la CMA parue à la fin de l’été annonce une prospective plutôt favorable avec une activité stable ou en hausse pour 86 % des sondés. La dynamique en matière d’emploi se poursuit même si elle ralentit avec des créations de postes qui restent majoritaires pour 58 % des sondés. Quant à la situation financière, si la tendance globale va vers une légère amélioration avec 69 % des entreprises qui ont une trésorerie stable ou améliorée, près d’une entreprise sur trois rencontre toujours des difficultés avec une dégradation de la situation en raison des charges, du coût des matières premières ou encore de la baisse du chiffre d’affaires.

Des situations contrastées selon l’activité et les territoires

En Meuse, l’ensemble des indicateurs (activité, emploi, investissements, situation financière) sont au vert : «Notre service économique n’a jamais autant été sollicité par des entreprises qui ont des projets d’investissement et qui déposent des demandes de subventions», explique Pierre-Étienne Pichon, le directeur territorial de la chambre meusienne ajoutant que ces entreprises ont toutes le même profil : une taille intermédiaire au-dessus de dix salariés, et surtout des entreprises installées de longue date, qui maîtrisent leur marché et s’appuient sur des clients résidant dans des départements voisins. Autre indicateur positif dans ce contexte, c’est le nombre de créations qui n’a jamais été aussi élevé. «Certes, on y retrouve beaucoup de toutes petites structures voire d’auto-entrepreneurs, mais la tendance est clairement positive.» En tout état de cause, «nous n’observons pour le moment aucune tendance forte de défaillances d’entreprises», renchérit Philippe Tournois, le président meusien. Est-ce que la Meuse est la seule à profiter de ce contexte favorable alors que les indicateurs sont moins bons dans les Vosges ? «Il faut être prudent avec les chiffres et ne pas oublier que le département des Vosges compte la plus grande densité artisanale de la région», indique Christophe Richard. Dans le Grand Est, l’étude conjoncturelle pointe du doigt des résultats contrastés selon les secteurs d’activité et les zones géographiques. Du côté des activités, le bâtiment reste le plus fragile du fait de l’absence de programme de construction dans le neuf. Les plus grosses structures sont les premières impactées avec des conséquences immédiates sur leur carnet de commandes. Les garagistes aussi sont particulièrement inquiets du fait de la dégradation des indicateurs dans le secteur automobile, le tout dans un contexte où le pouvoir d’achat joue forcément un rôle «d’ajusteur» dans les projets des particuliers. Si l’observatoire national des défaillances d’entreprises BPCE sonne l’alarme avec 64 500 entreprises défaillantes sur les douze derniers mois, la Lorraine, moins dynamique, semble moins exposée.

Un Pacte mobilisateur

«Les chambres de métiers et d’artisanat sont des accompagnateurs et des facilitateurs pour les artisans», prévient le président Richard. Cette action de soutien des Chambres permet à de nombreuses entreprises de participer en cette fin d’année aux différents salons comme ce fut le cas en novembre sur le salon à Paris du Made in France où une vingtaine était représentée. Le Pacte régional pour l’Artisanat signé en septembre dernier vise justement à valoriser et dynamiser les savoir-faire du territoire. C’est aussi le rôle du pôle des métiers d’art et d’excellence qui s’emploie à reconnaître tous les savoir-faire qui restent l’ADN, la marque de fabrique des artisans et pas uniquement les métiers d’art. L’enjeu est de détecter, donner de la visibilité, pousser vers la labellisation, la participation à des salons mais aussi à l’exportation. Remise de titre de maître d’artisan, concours, entreprises du patrimoine vivant : autant de pépites à accompagner dans le Grand Est avec la volonté de pérenniser les compétences, les faire connaître et ainsi décrocher de nouveaux marchés.

A.M.

L’apprentissage : la crainte du coup de rabot
«Le recours aux apprentis n’est pas conditionné uniquement aux aides publiques.
Ce qu’il faut, c’est que les entreprises aient un carnet de commandes rempli, du travail, de la visibilité. Nous ignorons encore de combien les aides vont être impactées. Je pense qu’il serait plus utile de ne pas toucher au montant pour les TPE qui font appel à des apprentis de niveaux CAP, BAC pro ou BTS et plutôt de réduire la voilure pour le financement des alternants plus hautement diplômés, comme ceux qui préparent un master
», estime Philippe Tournois, le président territorial Meuse de la CMA Grand Est.

Et pour cause à l’horizon 2025, le Gouvernement envisage de réduire l’aide à l’embauche des apprentis, tout en diminuant les exonérations de charges sur leurs salaires. Cette double peine risque de compliquer leur recrutement. Le président de la CMA France, Joël Fourny a récemment milité pour le maintien du dispositif de prépa-apprentissage qui bénéficie aux jeunes éloignés de l’emploi. La question de l’insertion professionnelle est donc centrale pour le secteur artisanal qui joue un rôle social pour offrir une chance à des jeunes, sans qualification ni diplôme.