L'art de conjuguer rationalité économique et passion des savoir-faire

Certains choisissent de stopper une carrière dans le marketing pour devenir potier. D'autres préfèrent reprendre une entreprise à l'activité artisanale, au savoir-faire d'excellence. Une aventure qui peut concilier rentabilité et amour du beau.

MontCapel sur le stand du salon Made in France Première vision, à Paris, le 27 mars dernier. © Anne Daubrée
MontCapel sur le stand du salon Made in France Première vision, à Paris, le 27 mars dernier. © Anne Daubrée

Que représente vraiment la vague des «néo-artisans», ces cadres qui, pour changer de vie après la pandémie, ont troqué attaché-case et présentations powerpoint pour un atelier et un tour de potier ? Dans le domaine des 281 métiers d'art, et plus largement, ceux artisanaux d'excellence, «il existe un autre phénomène qui passe un peu sous les radars. Il s'agit de ces personnes qui souhaitent changer d'activité et reprennent des petites entreprises, à partir de 10 à 15 salariés. Leur démarche associe rationalité économique et passion, envie de contribuer au développement des métiers du patrimoine», observe Philippe Huppé, président de l'association Villes et métiers d'art qui regroupe des élus mobilisés sur ce thème. Les professionnels de la reprise d'entreprise font ce même constat. Par exemple, depuis deux ans, l'association CRA, Cédants et repreneurs d'affaires, a créé un groupe spécifiquement consacré à ceux qui recherchent des «entreprises d'excellence.» À son actif, il a cinq reprises de ce type. «Les repreneurs proviennent de différents secteurs. Certains viennent du trading ou de l'agroalimentaire. D'autres travaillaient dans des groupes. Tous estiment que faire le choix de ces entreprises d'excellence donne du sens à leur démarche», témoigne Marie‑Pascale Guiraud, déléguée CRA, chargée de ce groupe. La passementerie Verrier, la chapellerie MontCapel, le vinaigrier historique Martin-Pouret... Ponctuellement, les reprises de ces entreprises artisanales par des personnes extérieures au secteur font l'objet d'articles dans la presse locale, voire nationale. Toutefois, l'évaluation de l'ampleur du phénomène s'avère très complexe. «Il existe peu d'informations à ce sujet car il s'agit d'un marché caché. Au secret d'affaires s'ajoute le fait qu'il s'agit souvent d'entreprises familiales, peu visibles des acteurs financiers», complète Xavier Long, directeur général délégué de l'Institut pour les savoir-faire français (ex Institut des métiers d'art), chargé de la politique de soutien aux professionnels des métiers d'arts et du patrimoine vivant.


Kaléidoscope

Des exemples illustrent la variété des trajectoires et motivations, ainsi que le dynamisme qu'apportent ces repreneurs (comblés) à ces entreprises. Béatrice Pommeret, ingénieure de formation, a repris Bobin Tradition, créée en 1906, un spécialiste du nettoyage et de la restauration de tapis, tapisseries ...qui travaille pour le Musée du Louvre, l’Élysée... «Depuis toute petite, je suis passionnée par le fil. Je rêvais d'ouvrir une mercerie», raconte-t-elle. En 2020, elle décide de changer, après une carrière dans des organisations professionnelles. Suivie par le CRA, elle renoue avec sa passion d'enfance en reprenant la TPE de sept salariés (CA entre 650 et 700 000 euros, Val-de-Marne ). Au programme : moderniser la gestion, booster la communication, développer une nouvelle activité de restauration de textiles, par exemple, des vêtements liturgiques... Même multitude de projets pour Sophie Monteil, repreneuse de MSTC (Maîtrise des services et techniques du cartonnage, 25 salariés, CA de 2 millions d'euros, dans la Sarthe), qui réalise boîtes, classeurs, coffrets, à la main en petites séries (pour présenter un parfum, un livre prestigieux, les rapports publics...). Elle entend remettre à niveau machines et locaux, moderniser l'image de l'entreprise, booster des marchés un peu dormants... Il y a cinq ans, quand l'ingénieure de formation a décidé de quitter le grand groupe dont elle était salariée pour créer son entreprise, elle a été séduite par le témoignage d'un repreneur d'une fabrique des comptoirs en zinc. J'ai cherché «des finances saines, un savoir-faire d'excellence et un effectif d'au moins dix salariés. J'ai beaucoup de plaisir à regarder le travail, mais je ne suis pas artisan», explique-t-elle. Sonia Mielke non plus, elle travaille dans les telecoms, mais en 2018, elle s'est émue et mobilisée, lorsqu'à l'occasion de vacances en famille, elle a assisté à la fermeture de la chapellerie MontCapel, dernière survivante de la quinzaine que comptait la Haute Vallée de l’Aude dans les années 1960. Dès 2019, Sonia Miekel a fondé la Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC) MontCapel qui compte à présent 300 coopérants et 11 salariés, certains provenant de l'ancienne entreprise. Le savoir-faire de la chapellerie lui ouvre de nombreux débouchés : prêt-à-porter, luxe, sous-traitance pour l'armée, cinéma, les confréries... Dans le département du Loiret, l'histoire du vinaigrier Martin-Pouret, fondé en 1797, est très différente. En 2019, ses deux associés actuels - cadres désireux de changer de vie, de développer une activité ancrée dans un territoire - ont repris la société. Depuis, son CA initial (1,8 M€) a plus que doublé et 7,5 M€ d'investissements sont prévus pour doubler la production....