Johnson, l'allié improbable de l'Ukraine au Congrès américain

Le républicain Mike Johnson a été propulsé au perchoir de la Chambre américaine des représentants, il y a six mois, presque par accident. Avant de devenir l'un des défenseurs les plus ardents de l'aide américaine...

Le chef républicain Mike Johonson lors d'une conférence de presse, à Washington, le 16 avril 2024 © Julia Nikhinson
Le chef républicain Mike Johonson lors d'une conférence de presse, à Washington, le 16 avril 2024 © Julia Nikhinson

Le républicain Mike Johnson a été propulsé au perchoir de la Chambre américaine des représentants, il y a six mois, presque par accident. Avant de devenir l'un des défenseurs les plus ardents de l'aide américaine à l'Ukraine, adoptée samedi dans son hémicycle.

La mue sur cette question du quinquagénaire, visage poupin, à la chevelure poivre et sel soigneusement peignée, est désarçonnante. 

L'ancien avocat ultra-conservateur, apôtre des valeurs du "Sud profond", a été catapulté à la tête de la Chambre des représentants après la destitution surprise de Kevin McCarthy, en octobre. 

Après un, deux, trois candidats, le nom de Mike Johnson, inconnu du grand public, a été avancé avec la bénédiction de Donald Trump, pour présider ce groupe parlementaire, plongé en pleine guerre fratricide.

Rencontre avec Zelensky en décembre

Sous la présidence de Mike Johnson, autant dire que l'aide américaine à l'Ukraine est d'abord mal embarquée.

Le "speaker", partisan d'une certaine orthodoxie budgétaire, se montre très sceptique sur ces milliards envoyés par les Etats-Unis, face à un conflit qui s'enlise.

En décembre, Voldymyr Zelensky se rend à Washington pour tenter de convaincre les parlementaires d'adopter une enveloppe de 60 milliards de dollars, qu'il assure être cruciale pour l'emporter face à la Russie. 

Le président ukrainien déambule dans les couloirs du Congrès entouré des chefs démocrates et républicains du Sénat -- tous les deux très favorables à cette assistance militaire et économique. 

Mais sa rencontre avec Mike Johnson se fait à l'abri des caméras.

Après son échange avec M. Zelensky, le "speaker" se montre sec, presque cassant.

Il dénonce les "milliards de dollars" réclamés par l'administration Biden "sans supervision adéquate, sans réelle stratégie de victoire". Et bloque durant des mois la validation de ces fonds.

Churchill ou Chamberlain

Lundi, en début de soirée, volte-face du chef républicain.

Contre toute attente, l'élu de Louisiane annonce que sa chambre examinera bien un plan d'aide pour l'Ukraine, Israël et Taïwan, auquel il apporte tout son soutien.

Certes, le républicain a fait une concession à Donald Trump, qui réclamait qu'une partie de ces fonds soient sous la forme d'un prêt -- le candidat à la Maison Blanche estime que les Etats-Unis devaient "arrêter de donner de l'argent sans espérer être remboursés".

Mais cette dette est effaçable et l'enveloppe correspond quasiment aux fonds réclamés des mois plus tôt par le président Biden.

Comment comprendre la mue de Mike Johnson sur le dossier?

"L'explication n'est pas évidente", souligne le politologue Larry Sabato. "Mais je crois que M. Johnson a été progressivement convaincu qu'il était dans l'intérêt de l'Amérique de soutenir l'Ukraine", affirme-t-il à l'AFP.

Interrogé mercredi lors d'une conférence de presse, le républicain a lui-même apporté quelques éléments de réponse. 

"Pour le dire franchement: je préfère envoyer des munitions à l'Ukraine qu'envoyer nos garçons se battre", a-t-il plaidé, devant les journalistes. 

Avant de mentionner, non sans une certaine émotion, le cas de son fils, qui s'apprête à entrer à l'Académie navale. "C'est un test grandeur nature pour moi, comme pour tant de familles américaines", a-t-il confié.

L'adoption de cette enveloppe risque pourtant de coûter cher au chef républicain: une poignée d'élus conservateurs, farouchement anti-aide à l'Ukraine, ont promis de tout faire pour destituer le "speaker".

Evoquant le cas de son collègue républicain, le chef démocrate Hakeem Jeffries s'est voulu philosophe, assurant qu'il faisait face à une situation "où l'on peut être soit un Churchill, soit un Chamberlain".

Sans filer lui-même la métaphore sur les deux Premiers ministres britanniques -- l'un partisan des accords de Munich, l'autre artisan de la victoire des alliés durant la Seconde Guerre mondiale -- Mike Johnson a assuré qu'il se voyait bien comme un "speaker de temps de guerre".

Et de plaider, l'air grave: "L'Histoire nous juge sur nos actes." 

A la suite du vote, Volodymyr Zelensky s'est dit "reconnaissant", envers les élus américains et "personnellement" envers Mike Johnson pour avoir "pris une décision maintenant l'Histoire sur la bonne voie". 

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