Japon : la bombe atomique des «Abenomics»
Les vieilles recettes de gestion publique sont un peu partout en déroute. Ce qui encourage les initiatives. Comme celle du Premier ministre japonais, qui expérimente l’hybridation de théories contradictoires. Il pourrait en résulter un monstre plus effrayant que le ryū, ce dragon de la mythologie nipponne.
Le Japon vient-il d’entrer dans une nouvelle ère, susceptible de mettre un terme à la quinzaine d’années de déflation rampante que le pays a traversées ? C’est semble-t-il l’espoir que nourrissent les Japonais, si l’on en juge au beau succès électoral de la coalition menée par le Premier ministre Shinzo Abe, qui dispose désormais d’une confortable majorité parlementaire pour expérimenter ses «Abenomics», une synthèse déroutante de la «Stratégie du choc» de Milton Friedmann et de l’interventionnisme keynésien. Par certaines de ses positions, Abe se situe, sur l’échiquier politique, quelque part à la droite de Gengis Khan ; par d’autres, ses intentions relèguent la planification soviétique au rang de fantaisie libérale. Du reste, avant même d’avoir reçu confirmation de l’affection de ses concitoyens, le Premier ministre avait décidé de prendre le contrôle de la politique monétaire, en remplaçant le Gouverneur de la Banque centrale (BoJ) par l’un de ses fidèles. Et de lancer les rotatives de la création monétaire avec plus d’entrain encore que la Banque fédérale américaine, qui pourtant n’y va pas avec le dos de la cuillère. Après quelques mois d’arrosage intensif, des signaux encourageants sont apparus : la croissance a bondi à près de 5 % (en rythme annuel).
Dérégulation au forceps
Pour renforcer encore les risques qui pèsent sur la solvabilité du Japon, et donc sur la solidité de sa devise, Abe entend également jouer du levier budgétaire pour relancer l’activité, notamment par une politique de grands travaux. Le déficit budgétaire devrait se situer autour de 12 % du PIB. Jusqu’à une date récente, le Japon a pu maintenir la dette hors de l’eau en dépit de comptes publics désastreux. Grâce notamment aux importants excédents de sa balance extérieure et à la solidité de l’épargne autochtone. Mais les excédents commerciaux ont été mis à mal par l’accident de Fukushima, qui a conduit à l’arrêt des centrales nucléaires (48 sur 50). Pour activer les centrales au gaz, au pétrole et au charbon, il a fallu importer les combustibles appropriés. Et ainsi sacrifier les gains à l’export. Il en résulte que le pays ne peut «absolument pas» renoncer au nucléaire. Les centrales reprendront du service, après quelques travaux plus ou moins cosmétiques destinés à «garantir leur sécurité». Mais les Japonais vont devoir cohabiter avec une autre bombe atomique : celle qui va déréguler les investissements et déréglementer le marché du travail. L’économie nipponne a la réputation (justifiée) d’être plutôt fermée et de freiner les investissements étrangers. Seraient donc mises en place des zones franches qui vont asticoter les entreprises nationales et les contraindre à améliorer leur compétitivité. Parallèlement, le droit du travail est jugé exagérément protecteur pour les salariés en poste, ce pourquoi nombre d’entre eux passent l’intégralité de leur carrière dans la même firme. Mais selon la thèse dominante, adoptée par Abe, ce manque de flexibilité a pour effet de freiner l’augmentation des salaires. Mais les dégraissages ont une vertu irremplaçable : ils permettent de mieux valoriser la cote des entreprises. La Bourse ne s’y est pas trompée : le Nikkei a progressé de 50 % depuis qu’Abe a annoncé son programme. Et il y a sans doute encore de l’argent à gagner. Avant que le pays ne soit complètement étrillé.