Entretien avec Luc Charmasson, président du Comité stratégique filière bois
«Il nous faut relocaliser certaines productions»
Conséquence de la crise, la France connaît aujourd'hui une pénurie de bois et une forte hausse des prix. Mais ces phénomènes devraient être temporaires. La filière, qui devrait bénéficier d’une enveloppe de 500 millions d’euros dans le cadre du plan "France 2030", se réorganise.
Que représente la filière bois en France ?
Elle représente 60 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2019. Ses débouchés sont multiples : la construction, l'emballage, léger ou lourd, avec par exemple les palettes, la tonnellerie, l'ameublement, la pâte à papier... La particularité de cette filière est d'aller de la ressource forestière jusqu'au marché. Et elle présente l'avantage d'être très bien répartie sur le territoire : la forêt représente 30% du territoire, et scieries, industries se sont créées et se développent à proximité.
Par ailleurs, la filière est composée d'acteurs très divers, avec les propriétaires de forêts, à 70% privés, l'Office national des forêts (ONF), les exploitants forestiers, les pépiniéristes, les scieries et les industriels, les distributeurs, les constructeurs de maisons individuelles... Au total, cela représente plus de 392 000 emplois et 60 000 entreprises. La majorité d’entre elles sont des PME. Mais une évolution forte se dessine depuis une dizaine d'années, avec la création d'ETI. Par ailleurs, certaines activités, comme l'industrie de la pâte à papier, qui demande de forts investissements, sont plus concentrées.
Comment s'explique la pénurie actuelle de bois, et… va-t-elle durer ?
La pénurie de bois s'inscrit dans la tendance globale qui a touché de nombreux produits, née du dérèglement de la production et des transports au niveau mondial, induits par la pandémie. Elle a été aggravée par le fort rebond de la demande de logements américaine. Là bas, 80% des maisons individuelles sont en bois !
Or, Trump ayant interdit les importations canadiennes, la demande s'est tournée vers l'Europe. À cela se sont ajoutés deux autres phénomènes. En Occident, les ménages, confinés, se sont occupés de leur maison. Ils ont acheté des meubles, aménagé, bricolé... Puis, la reprise des échanges mondiaux a engendré une augmentation de la demande de palettes.
Tout ceci a provoqué une demande hors normes de bois, qui reste aujourd'hui supérieure à celle de 2019. Prix et délais ont augmenté aussi de manière inédite. Mais depuis cet automne, la situation s'améliore. Les délais ont commencé à diminuer. D'ici la fin de l'année, les prix, qui ont déjà cessé d'augmenter, devraient être redescendus.
La filière sort-elle transformée de la crise, et quelles sont ses perspectives ?
Nous avons deux défis à relever. Dans la panique, certains acteurs de la filière ont pratiqué le sur-stockage, ce qui n'a fait qu'ajouter à l'affolement. Pour éviter de reproduire cette situation, nous sommes en train d'élaborer des chartes pour réguler les relations entre producteurs et industriels.
Le principe : en cas de crise, si je dois produire un peu moins, je m'adapte en diminuant les quantités de manière équitable entre mes clients... Au lieu de fournir au plus offrant ! Certains ont profité de la crise. Si la règle du jeu est claire, cela régule le marché. Par ailleurs, la filière du bois a aujourd'hui une autre perspective.
La réglementation environnementale RE2020 dans le bâtiment va stimuler la demande de bois. La filière va devoir faire des efforts pour y répondre. Les échéances de 2027 et 2030 nous laissent le temps de nous organiser. Il nous faut relocaliser certaines productions et augmenter les capacités d'autres industries déjà présentes en France. Nous allons pouvoir accélérer les investissements grâce aux 100 millions d'euros promis cet été par Jean Castex. Et Emmanuel Macron a cité la filière bois parmi ses priorités de "France 2030".