"Il faut prendre les bonnes décisions"

Nichée dans le parc naturel régional des Caps et Marais d'Opale, à la marge nord-est de la boutonnière du Boulonnais, la bourgade d'Hermelinghen abrite de jeunes chefs d'entreprise, agriculteurs et éleveurs de vaches laitières, déterminés à ne pas se laisser manger par les directives européennes successives. L'un d'entre eux, Guillaume Fouble, a accepté de nous ouvrir les portes de la Ferme du Bout du Breuil. Portrait.

Les veaux s'émancipent dans des patûres bien gérées
Les veaux s'émancipent dans des patûres bien gérées

 

Guillaume Fouble dans l’étable des veaux.
Guillaume Fouble dans l’étable des veaux.

On quitte la route départementale et on longe un chemin de terre pendant quelques dizaines de mètres. Un grand panneau bleu indique que la Ferme du Bout du Breuil est une étape de la Route du lait, vitrine de la démarche de développement durable du groupe Sodiaal qui regroupe les marques Candia, Entremont, Le Rustique, Cœur de Lion, RichesMonts, Régilait et Yoplait, première démarche de management qualité du secteur laitier français mise en place en 1997. Elle prend en compte les garanties sanitaires, l’hygiène, le bien-être des animaux, le respect de l’environnement, le professionnalisme des producteurs et l’implication des services donnés par les coopératives du groupe. Une maison coquette, fraîchement repeinte, précède le grand corps de ferme qui abrite le matériel agricole, les veaux, les vaches, les céréales : une organisation mise en place par les aïeux de Guillaume dès 1917. Lors de cette période confuse, les hommes étaient au front. C’étaient les femmes qui géraient l’exploitation. Depuis, les générations se sont succédées, préservant toujours ces spécificités que sont l’élevage laitier et les cultures céréalières, avec quelques variantes comme la vente directe de beurre, lait, volailles, légumes, stoppées par le papa de Guillaume dans les années 80. Autant dire que l’attachement du jeune chef d’entreprise à ce patrimoine familial est grand. Dès l’âge de trois ans, il affichait déjà sa volonté de travailler avec papa. J’ai toujours voulu faire ça, ajoute-t-il. Je veux être indépendant et travailler au contact de la nature.En 2003, le décès brutal du père de Guillaume Fouble accélère les choses.

Le lait, c’est la jungle depuis 2007Son BTS agricole et sa licence professionnelle agricole en poche, il commence à travailler à mi-temps aux côtés de sa mère. Il s’occupe notamment de l’alimentation des bovins et de la culture des céréales, pendant que sa mère gère les traites de la quarantaine de vaches matin et soir. En septembre 2014, il prend les rênes à part entière de l’exploitation familiale et le voilà lâché dans la nébuleuse des circulaires et autres directives européennes auxquelles il doit s’adapter. Le lait ? Depuis 2007 c’est la jungle, dit-il. En 2006, on acte les fin des quotas pour 2015, puis on redistribue les quotas. Comme chaque pays fait un peu ce qu’il veut, c’est compliqué. En juillet 2014, Guillaume vendait son lait à 38 cents le litre et au mois de juillet de cette année à 32 cents le litre, soit un manque à gagner de 20 000 euros dans son chiffre d’affaires de 160 000 euros. Aujourd’hui, il n’a aucune visibilité sur le prix du lait au-delà de deux mois. Le groupe Sodiaal signe un contrat annuel avec lui qui lui garantit la prise en charge des 320 000 litres de lait qu’il produit, mais ne lui donne aucune garantie sur le prix du lait. C’est une production que j’aime bien, assure-t-il néanmoins, mais on ne peut pas tout miser là-dessus.

Les veaux s'émancipent dans des patûres bien gérées.

Les veaux s'émancipent dans des patûres bien gérées.

Le lait oui, mais pas seulement. Le jeune homme réfléchit à la meilleure stratégie à venir. “Je préfère raisonner en revenu plutôt qu’en productivité, argue-t-il. Et les contours se dessinent peu à peu. S’il ne peut encore s’inscrire dans un processus global Bio car trop contraignant et coûteux, il s’en inspire grandement. “Mon but est de revenir le plus possible au naturel. L’hyperproductivisme a ses limites. Il refait les étables des veaux pour mécaniser l’enlèvement du fumier, réaménage les étables à vaches pour améliorer le confort des animaux et gagner du temps. Il replante des haies en rappelant que lors du remembrement des années 60, l’État avait subventionné l’arrachage des haies et que maintenant il subventionne pour les replanter… Il aménage également les berges en installant des fascines, poteaux de saule et branchages qui permettent de retenir la terre. Le jeune agriculteur décide d’arrêter de donner du maïs à ses vaches qui sont aujourd’hui au nombre de 45. Lorsque l’on donne du maïs aux vaches, explique-t-il, il faut également leur donner du soja pour les protéines. Mais on ne sait pas d’où il vient, si ce sont des OGM ou pas. Guillaume Fouble est entré dans le processus de rotation des herbages, qui garantit aux bovins de la bonne herbe constante. Ses 42 hectares le lui permettent. Ses vaches ne se nourriront bientôt plus que d’herbe et de betteraves fourragères. Comme avant… Depuis un an, il développe la vente directe aux particuliers de bœuf et de veau. Cinq bœufs et huit veaux ont suivi le chemin de l’abattoir de Fruges cette année, il espère arriver à neuf bœufs l’an prochain. Le fichier, géré par sa femme Hélène, compte aujourd’hui une cinquantaine de clients. Si bien qu’il envisage de produire du porc. Il leur faut un hectare de pâture et un bâtiment, et tout cela à l’échelle artisanale, un modèle qui lui convient bien ainsi qu’à son épouse qui étudie aujourd’hui l’hypothèse de travailler à mi-temps avec son mari pour s’occuper de l’exploitation et des enfants, Tom treize ans et Louise deux ans et demi. Quand on vous dit que le bonheur est dans le pré !

Sophie LEMAIRE