"Il faut mettre en place un écosystème favorable au développement économique"
La Gazette. Cap Calaisis a décidé, il y a quelques mois, d’augmenter le versement transport à 2% du chiffre d’affaires des entreprises, taux maximum, afin de créer un transport en commun en site propre. Le Medef n’avait pas été consulté au préalable et s’est opposé à cette augmentation du versement transport. Y a-t-il des nouvelles par rapport à ce dossier du versement transport ?
Patrick Gheerardyn. Aucune. C’est inquiétant, puisqu’on n’a aucune nouvelle de la commission d’enquête qui est supposée avoir rendu son avis depuis quelques semaines déjà. Le site de la SITAC est encore vierge à ce sujet, alors que celle-ci est censée avoir mis en ligne le rapport de la commission d’enquête depuis le 8 mai ! À Dunkerque, la transparence est totale, et le budget pour le transport en commun en site propre est comparable − près de 70 millions d’euros pour Calais et 65 millions pour Dunkerque −, pour un nombre d’habitants beaucoup plus élevé dans son agglomération (près de 260 000 pour Dunkerque, le Calaisis comptant 126 000 habitants environ, NDLR). Avis de la commission : attention, c’est un trop cher. C’est dire si le budget pour le Calaisis est pharaonique !
L’entente entre le Medef Côte d’Opale et le Calaisis ne semble pas au meilleur…
C’est simple : nous avions de meilleures relations de travail, non pas avec les élus communistes, mais avec les services. Ce ne sont pas les services qui sont en cause. Quand certains directeurs de l’agglomération ont interdiction de parler au Medef, c’est qu’il y a un problème. À Boulogne, je travaille régulièrement avec le directeur général de Boulogne développement sur des dossiers d’entreprise. Ça fait deux ans que nous travaillons sur le problème d’ordre foncier que rencontre Outreau technologies, l’objectif étant de le conserver sur le territoire. La question est la suivante : Calais veut-elle de l’industrie ? Je me souviens de la façon dont a été accueilli Eras Metal. Natacha Bouchart était passée par voie de presse pour régler ses comptes avec quelqu’un qui arrivait avec une enveloppe de 80 millions d’euros… Si on a quelque chose à dire à un investisseur, que ça se dise dans le secret des bureaux !
Par ailleurs, le contexte est compliqué, entre Myferrylink, Tioxide… 300 emplois ont pourtant été créés. Le territoire réagit de façon assez forte, même si ça paraît compliqué de créer de l’emploi ici. On est à plus de 15 % de chômage.
On ne va pas bouder son plaisir face aux bonnes nouvelles. Je n’ai pas vu le détail, il faudrait regarder à quoi correspondent ces emplois. Est-ce que c’est du tertiaire aidé, de l’emploi subventionné… ? Bon, si la situation s’améliore, on ne peut que s’en réjouir. Est-ce qu’il y a des problèmes propres à Calais ? Il n’y a pas de recette miracle. Il peut tout de même y avoir des éléments à mettre en œuvre pour favoriser cette création d’emploi. Il faut créer un écosystème favorable au développement économique et social. C’est un rôle important. Il y a les équipements, l’infrastructure, l’offre foncière… Sans offre foncière, c’est compliqué d’avancer. D’autre part, il faut une offre de services des collectivités pour le monde économique. Mais ce n’est pas que ça : un écosystème, c’est aussi la qualité des relations de travail entre les différents acteurs qui contribuent au développement économique et social. En particulier, les relations entre les décideurs politiques et les décideurs économiques. C’est la grande différence entre Calais et les deux autres agglomérations qui l’entourent, à savoir Boulogne-sur-Mer et Dunkerque. Par exemple, lorsque Dunkerque promotion invite une trentaine de chefs d’entreprises belges de la région de Courtrai, Dunkerque promotion met autour de la table la Communauté urbaine, la Chambre de commerce et d’industrie et le Medef Côte d’Opale. Ensemble, nous recevons ces chefs d’entreprise qui veulent investir dans le foncier, dans la main d’œuvre qualifiée… Toute la journée, nous échangeons et, ensuite, les réunions continuent. C’est comme ça qu’on avance.
Calais pâtit un peu de son image auprès de ces investisseurs potentiels…
Il y a eu la mairie communiste, maintenant ce sont les migrants. Ce sont des problèmes qui sont réels, mais ils n’empêchent pas d’installer cet écosystème non plus. Les relations entre Calais et le port sont-elles bonnes ? Les relations entre Calais et Eurotunnel sont-elles bonnes ? Non. Il faut instaurer de bonnes relations entre les différents acteurs. Je peux vous dire que le maire de Dunkerque entretient de très bonnes relations avec EDF (pour la centrale de Gravelines), avec les dirigeants d’ArcelorMittal, avec Versalis, avec le Grand Port maritime… Ça ne veut pas dire qu’on est toujours d’accord. À Dunkerque, il y a des projets de développement. Je ne sais pas ce qui se passe à Calais, il y a quelque chose qui empêche cet écosystème de se créer. Et ce n’est pas parce qu’on fait une photo dans le journal parce qu’on a remis un prix à quelqu’un que ça va marcher. Ça, c’est de la communication. Au dernier comité socioprofessionnel de Calais promotion, Madame la présidente (Natacha Bouchart, aussi maire de Calais, NDLR) a tout fait pour m’empêcher de parler…
Parlons de la loi El Khomri. On connaît la frilosité des syndicats, on sait que le Medef était plutôt favorable à cette loi…
Cette loi avait une triple ambition : fluidifier le marché du travail, amener une certaine flexibilité dans la loi du travail − ce qui n’empêche pas une certaine sécurité, et enfin dynamiser le dialogue social. Nous devrions bénéficier plus de ce qu’on appelle “l’alignement des planètes” : des taux d’intérêt bas, une croissance mondiale même si elle est plutôt faible, mais qui reste une croissance mondiale, un prix de l’énergie bas… La France n’a pas fait les réformes structurelles nécessaires qu’avaient faites l’Allemagne, la Suède… Il y a un certain nombre de réformes toutes simples à mettre en œuvre, à condition de bien les expliquer aux Français. Il faut que nous nous adaptions. D’autant plus si nous voulons préserver notre modèle social. Pour le Medef, il ne s’agit absolument pas de mettre par terre notre modèle social : il faut changer les réglages pour le préserver.
Ce qui complique les choses, c’est que derrière toutes ces modifications, les crédits bancaires, par exemple, et les démarches de la vie quotidienne demandent certaines garanties. C’est probablement cela qui fait peur aux Français. Ces choses-là n’ont-elles pas aussi à évoluer de leur côté ?
Vous avez raison. C’est la raison pour laquelle il nous faut une grande réforme du travail avec un CDI agile. Un contrat à durée indéterminée au cours duquel le titulaire du contrat va acquérir des droits en fonction de son ancienneté. Les choses ne sont pas encore mûres, mais il va falloir y venir un jour. Pour les jeunes, enchaîner les CDD, ce n’est pas sécurisant. Il faut fonder une famille, s’équiper… Cela aurait pu faire l’objet d’une mesure de sécurisation, mais les choses ne sont pas suffisamment mûres. Malheureusement, au point où on en est aujourd’hui, le texte a été vidé de ses ambitions de départ.
Quelles mesures étaient les plus attendues par le Medef ?
Le gouvernement a raison de dire que le cœur de la loi est l’article 2, qui concerne ce qu’on appelle l’inversion de la hiérarchie des normes. Il y a des dispositions d’ordre public auxquelles on ne peut pas déroger, en grande partie pour des raisons de sécurité au travail, ce qui est normal. Et puis il y a des négociations. La négociation ne peut pas contrecarrer les dispositions d’ordre public. Quand ce sont les organisations patronales et les organisations syndicales qui négocient, on est souvent dans la posture. Ce sont ces situations qui prennent le dessus sur les intérêts des entreprises et sur les intérêts des salariés.Il faut rapprocher le dialogue social de la vie réelle, c’est-à-dire des entreprises elles-mêmes. Selon la taille des entreprises, le texte d’origine offrait la possibilité de négocier entre le dirigeant d’entreprise et les salariés. En contrepartie, le Medef avait accepté de créer des commissions paritaires interprofessionnelles à l’échelle régionale, pour introduire une régulation à l’échelle des petites entreprises et éviter les abus.
Parlons du Brexit. C’est un véritable séisme à l’échelle européenne. Qu’en est-il pour la Côte d’Opale ?
À court terme, ça ne change strictement rien. Les échanges se font de la même façon, et tant que l’article 50 du traité européen n’a pas été négocié, ils continueront ainsi. Après, si on veut se projeter dans l’avenir, on devra être vigilants en cas de Brexit effectif. Les entreprises anglaises, si elles veulent garder un pied dans l’Europe, vont devoir implanter des succursales de ce côté de la Manche. On ne parle pas de boîte aux lettres, mais de réelles activités. Des investissements massifs, au plus près des côtes anglaises… Il faudra être attentifs aux avancées de ces négociations.