«Il faut aller très vite et être réactif»

Jeudi 28 février, en fin de journée, sur une initiative du club Lille place juridique présidé par Bruno Contestin, la CCI Grand Lille a accueilli le prospectiviste Philippe Cahen. Pendant deux heures, près de 100 privilégiés, dirigeants et professionnels du marketing, ont pu écouter ce spécialiste des scénarios dynamiques, évoquer l’entreprise de demain.

Philippe Cahen.
Philippe Cahen.

La Gazette : «Prospectiviste», en quoi consiste votre activité ?

Philippe Cahen : C’est travailler sur les futurs. Tous les jours, je lis entre quatre et six heures, plutôt six, et à partir de mes lectures, je capte des signaux faibles, c’est-à-dire des petits faits qui nous interpellent, et qui nous font nous interroger sur ce que demain peut devenir. Avec tous ces signaux faibles, on trace des lignes de futur. 

Quels sont les outils que vous
utilisez ?

Mon outil principal reste mes yeux et mon nez ! J’observe beaucoup. Quand je visite une exposition d’art moderne, j’apprends plein de choses sur l’évolution de l’art. Quand j’assiste à un spectacle, j’apprends plein de choses sur la mise en scène. Tout cela traduit ce qui bouge dans la société. C’est pareil lorsque je lis, car les écrivains sont porteurs de ce qui est en train de se faire. 

Quels sont, ces dernières années, les
changements les plus significatifs observés dans le monde de l’entreprise ?

Depuis 2007, les jeunes arrivent dans les entreprises avec leur smartphone, puis, dès 2010, avec leur tablette. C’est une révolution incroyable ! En 2007 et 2010, tout a basculé.

D’autres changements importants ?

Oui ! Le fait qu’on communique dans le monde entier, le fait qu’une entreprise se crée sans argent, excepté l’achat de l’ordinateur et l’abonnement Internet. J’ai découvert une entreprise française qui crée des logiciels de place de marché, 200 salariés, croissance 80%. Cette entreprise fait plus de 40% de son chiffre d’affaires aux Etats-Unis, mais elle n’a personne de l’autre côté de l’Atlantique, tout est fait en France. Comment vous pouviez imaginer ça il y a 20 ans ?

Quels sont les changements à prendre en
compte ces prochaines années ?

Il y a trois mots clés, que j’ai mis dans mon dernier livre1 : curiosité, intuition et audace ! C’est-à-dire qu’il faut sortir de la pensée en silo, essayer d’avoir une pensée transversale. Si vous créez une entreprise, au bout d’un an, elle ne sera plus celle que vous aviez imaginée. Vos propres clients vont vous dire ce qui les intéresse. Bossez, écoutez-les, et vous verrez de nouveaux marchés se développer. Les clients sont les premières sources d’information. 

Les clients sont les premières sources d’information.

Dans 20 ans, à quoi ressemblera
l’entreprise ?

Ça dépend des métiers. D’abord, beaucoup d’entreprises n’existent pas encore. On parle aujourd’hui de Google qui a 20 ans. Mais en ce moment, il y a un nouveau Google en train de se développer, qu’on ne connaît pas, et qui, dans 20 ans, sera leader sur son marché. Et ce ne sera peut-être pas une entreprise américaine. 

Et dans vos projections ?

J’ai quatre hypothèses possibles. D’abord le tout-numérique. Je vais encore plus loin avec le tout-virtuel. Ma troisième hypothèse, c’est le tout-local. Pourquoi ? Parce que la ville explose et qu’il y a des gens qui refusent la ville. Et puis la quatrième hypothèse, c’est le pessimisme, le tout-effritement, c’est-à-dire qu’on est dans un système qui ne va plus. L’impact sur le climat est trop puissant, il faut vivre différemment. Ce sont quatre scénarios futurs. Il y a 60 ans, on pouvait prendre son temps, réfléchir à son marketing qui se faisait sur 15 ans. Maintenant, le marketing se fait sur quinze mois, quinze jours. Donc il faut aller très vite, et être réactif.

1. Méthode et Pratiques de la prospective par les signaux faibles (novembre 2018), édité chez Kawa éditions.