«Il faut adapter le plan de relance à l'aggravation de la situation»
Fermeture des petits commerces «non essentiels», désactivation du couple maire préfet... Pour l'APVF, le gouvernement doit revoir la gouvernance de la crise et la nature du plan de relance. Car au delà de la crise économique et sociale, c'est un risque de dérive extrémiste politique qui se profile.
Comment jugez-vous les décisions du gouvernement concernant les fermetures dans le commerce, et, plus globalement, la manière dont est géré ce deuxième confinement ?
J’ai une pointe de regret : le couple maire-préfet avait été très associé à la préparation du déconfinement. Cela n’a pas été le cas pour le reconfinement, alors que nous savions qu’une deuxième vague allait arriver, même si on en ignorait l’ampleur. J’ai écrit au Premier ministre pour lui dire que nous n’appelons pas à la désobéissance, car ce n’est pas le rôle du maire, mais nous alertons le gouvernement sur une situation incomprise, car injuste. Il n’existe pas d’argument scientifique pour dire qu’il n’y a pas plus de risques à acheter son pain chez le boulanger, que d’être caddy contre caddy dans une grande surface. On dit qu’on veut limiter les déplacements, mais ce sont les brassages et les croisements qui sont en cause. Durant le premier confinement, j’ai pu observer que chez de nombreux petits commerçants, les gens faisaient la queue sur le trottoir… Les gens se sont autodisciplinés. La décision du Premier ministre ne va pas dans le bon sens. Elle pénalise la grande-distribution et le petit commerce et va profiter à la vente en ligne, à des acteurs comme Amazon.
Quels effets de la crise constatez-vous sur les territoires, et les aides du gouvernement sont-elles de nature à les contrer ?
Les mesures d’aide prises par le gouvernement ont le mérite d’exister. Elles ont été utiles durant le premier confinement. Grâce aux aides, les commerçants maintiennent la tête légèrement hors de l’eau, mais aujourd’hui, leur crainte est de ne plus être là, au moment de la reprise. Par ailleurs, ces aides ne règlent pas la question de la fidélisation de la clientèle, qui risque de s’habituer à acheter en ligne, ni celle de la valeur vénale des entreprises. Déjà, dans 800 centres-bourgs, les taux de vacances sont plus élevés qu’ailleurs, et atteignent parfois des taux énormes, supérieurs à 20%. Les difficultés actuelles vont encore aggraver la situation. Dans un village où les commerces disparaissent, la valeur de ceux qui reste baisse, car elle dépend des flux. Les dispositifs gouvernementaux «Action Cœur de ville» et «Petites villes de demain» cherchent à pallier ces difficultés. Il faut aller vite.
Le numérique pourra-t-il réellement changer la donne pour ces commerçants ?
Le numérique n’est pas un gadget, mais ce n’est pas non plus la panacée. Le premier confinement a joué le rôle d’accélérateur, pour des commerçants qui hésitaient. Aujourd’hui les CCI continuent de proposer des accompagnements, des financements, les villes s’y mettent… Il existe aussi des sites participatifs, sans commission. Il reste nécessaire d’accompagner plus fortement les commerçants en fin de carrière, mais le deuxième confinement devrait finir par convaincre les plus réticents. Cela va dans le bon sens, d’autant que nous avons assisté à une réaction des consommateurs, qui ont voulu faire de leurs actes d’achat un acte citoyen, en soutenant leurs commerces de proximité. Toutefois, il faudra faire attention à ce que cet élan ne retombe pas… De plus, il existe des dimensions de la relation client qui ne passent pas par le numérique. Et tous les commerçants ne sont pas concernés. La liste de ceux qui peuvent faire du clic and collect n’est pas exhaustive, comme les coiffeurs, par exemple. A lui seul, le numérique ne peut pas répondre à la colère et à l’amertume des commerçants.
Voyez-vous émerger un risque politique ?
La colère est mauvaise conseillère, une réaction politique est à craindre. Or, il y a une aujourd’hui une détresse qui alimente la colère. L’impact psychologique du deuxième confinement est très fort. Les CCI ont mis en place des cellules d’aide psychologique, mais beaucoup de commerçants n’ont pas le réflexe de se tourner vers elles. La perception de la gestion de la crise, qui peut paraître chaotique, même si l’on sait que les arbitrages entre priorités de santé et économiques sont complexes à gérer, peut mener à des comportements ou des votes extrêmes. Pour l’instant, il s’agit de signaux faibles : nous ne sommes pas dans la violence, mais on voit des commerçants qui n’ont pas voulu baisser leur rideaux et ont attendu les gendarmes. Et ce ne sont pas les plus revendicatifs… Un mouvement comparable à celui des gilets jaunes est à craindre. Au début de celui-ci, il y avait parmi eux des artisans, des personnes qui estimaient simplement qu’on les empêchait de travailler, alors que c’est leur raison de vivre. «Nous ne voulons pas d’aides, nous voulons travailler…» : c’est un message que l’on entend déjà beaucoup.
Que préconisez-vous, pour tenter de concilier ces priorités sanitaires, économiques, sociales…
Nous appelons à réactiver le couple maire-préfet. Il est important qu’il soit à la manœuvre, car il est garant de l’adaptation des mesures prises aux tissus locaux. C’est ce que disent toutes les associations d’élus. Aujourd’hui, nous comprenons très bien que nous sommes en attente du pic épidémique, et de ce qui va se passer en terme de capacités de réanimation. Mais cela ne devrait pas empêcher la concertation. Nous regrettons qu’il n’y ait pas plusieurs scénarios envisagés, que les associations d’élus ne soient pas consultées pour affiner les réponses à apporter. Nous restons dans une attente anxiogène de décisions prises d’en haut, qui ne participe pas au succès de la mise en œuvre des mesures. Par ailleurs, j’insiste sur le fait qu’il faut revoir la copie du plan de relance, pour l’adapter à l’aggravation de la situation. Il faut le réorienter davantage vers les territoires, la commande publique. Les collectivités peuvent engager des dépenses.