Huis clos refusé au procès d'un mari qui droguait son épouse pour la faire violer

"La honte doit changer de camp": conformément au souhait de la victime, le huis clos a été refusé lundi au procès de Dominique P., retraité jugé à Avignon pour avoir drogué son épouse et recruté des dizaines...

Le palais de justice à Avignon, le 2 septembre 2024 © Christophe SIMON
Le palais de justice à Avignon, le 2 septembre 2024 © Christophe SIMON

"La honte doit changer de camp": conformément au souhait de la victime, le huis clos a été refusé lundi au procès de Dominique P., retraité jugé à Avignon pour avoir drogué son épouse et recruté des dizaines d'inconnus sur internet pour la violer, pendant dix ans.

"Les débats seront publics", a tranché Roger Arata, président de la cour criminelle de Vaucluse, composée de cinq magistrats professionnels, après une courte suspension de séance lundi matin.

Même s'il y aura "des moments extrêmement difficiles", Gisèle P. , 72 ans, "estime qu'elle n'a pas à se cacher", qu'elle "n'a pas à avoir honte": "il faut que la honte change de camp", a réagi Me Stéphane Babonneau, un des deux avocats de l'épouse, désormais en instance de divorce, du principal accusé.

Le ministère public avait défendu sa demande de huis clos en rappelant que des vidéos des faits, filmées par le mari, seraient "nécessairement visionnées" et que "non seulement la publicité des débats serait dangereuse mais (elle) porterait aussi atteinte à la dignité des personnes".

"Il ne faut pas que ce soit un spectacle", avaient également demandé certains avocats des coaccusés, au nombre de 50. 

Avant même la décision de la cour, Gisèle P., très digne à son arrivée et durant toute cette première journée d'audience, avait fait savoir qu'elle souhaitait "une publicité complète" de ce dossier, une publicité "totale, jusqu'au bout". Une position partagée par les trois enfants du couple, tous parties civiles, dont l'AFP a décidé de préserver l'anonymat, afin de protéger leur vie privée et celle de leurs six enfants respectifs.

Débutée lundi vers 09h40, en retard, en raison notamment de la pression médiatique autour de ce dossier mais aussi du nombre conséquent d'accusés, l'audience a été suspendue peu avant 15h00.

Les débats reprendront mardi matin avec la lecture du long et très cru rapport d'enquête par le président de la cour. Lundi matin déjà, Caroline, la fille de la victime, a dû quitter l'audience, en pleurs.

Un procès hors norme

Ce procès, rarissime par le nombre total d'accusés, 51 - dont un, en fuite, sera jugé par défaut -, va se dérouler jusqu'au 20 décembre. Des accusés, âgés de 26 à 74 ans, qui ont un à un décliné leur identité, profession et lieu de résidence face à la cour.

"Mon domicile, vous le connaissez, c'est la prison", a ainsi répondu Dominique P., 71 ans, le mari et principal accusé, un brin provocateur. Homme de belle carrure, cheveux blancs et rasé de près, vêtu d'un t-shirt noir, il comparaît dans le box des détenus, avec 17 autres accusés, les autres comparaissant libres.

Emblématique de la question de la soumission chimique, ce procès a donné lieu avant même son ouverture à la manifestation lundi matin d'une quinzaine de membres de deux collectifs féministes, devant le palais de justice d'Avignon. "Violeurs, on vous voit, victimes, on vous croit", ont-elles scandé, habillées de noir.

"C'est un procès hors norme", a affirmé de son côté à l'AFP l'avocat de deux accusés, Roland Marmillot, estimant que ces faits "s'inscrivent dans une anormalité mentale" du mari, qui voudrait "emmener avec lui dans sa folie 50 accusés".

Lors de l'instruction, le mari avait reconnu qu'il administrait de puissants anxiolytiques à sa femme, à son insu. Du Temesta le plus souvent. Pour ensuite la faire violer par des hommes contactés sur internet. 92 faits ont été comptabilisés, dont les premiers remontent à 2011, en région parisienne, avant le déménagement du couple à Mazan (Vaucluse) en 2013, et qui se sont ensuite poursuivis jusqu'à l'automne 2020.

"Il a honte de ce qu'il a fait, c'est impardonnable", a plaidé auprès de la presse lundi matin son avocate, Me Béatrice Zavarro, estimant qu'on est dans ce dossier "dans une forme d'addiction": "Il reconnaît ce qu'il a fait, il n'y a pas eu une once de contestation depuis le début".

Pompier, artisan, infirmier, gardien de prison ou encore journaliste ; célibataires, mariés et pères de famille ou divorcés: la majorité des accusés sont venus une fois, dix plusieurs fois, jusqu'à six fois pour certains. Mais ils ne souffrent d'aucune pathologie psychique notable, ont insisté les experts, pointant toutefois leur sentiment de "toute-puissance" sur le corps féminin.

Beaucoup maintiennent qu'ils pensaient seulement participer aux fantasmes d'un couple libertin. Mais "tous savaient" que Gisèle P. était droguée et inconsciente, a toujours affirmé le mari.

Pour les hommes, recrutés sur coco.gg, un site de rencontres accusé d'être un "repaire de prédateurs sexuels" et fermé depuis juin, les consignes étaient strictes, pour ne pas réveiller la victime: ni parfum ni odeur de cigarette, et se réchauffer les mains en les passant sur un radiateur.

Aucun souvenir

Et Gisèle P. ne s'est rendue compte de rien, jusqu'à tout découvrir, à 68 ans, lorsque l'enquête a débuté à l'automne 2020, après presque 50 ans de vie commune: son mari venait d'être surpris dans un centre commercial en train de filmer sous les jupes de clientes.

Elle "va vivre pour la première fois, en différé, les viols qu'elle a subis pendant dix ans", car elle n'en a "aucun souvenir", a insisté Me Antoine Camus, son second avocat, à l'AFP.

Dominique P., qui participait aux viols et les filmait, sans réclamer aucune contrepartie financière, est également mis en cause dans deux autres dossiers par le pôle "cold cases" de Nanterre, en région parisienne: un meurtre avec viol à Paris en 1991, qu'il nie, et une tentative de viol en Seine-et-Marne en 1999, qu'il reconnaît, après avoir été confondu par son ADN.

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