Hauts-de-France : Pôlénergie se penche sur les besoins en hydrogène des entreprises
En partenariat avec les chambres de commerce et d’industrie de la région, Pôlénergie* a mené une étude sur les besoins en hydrogène des entreprises des Hauts-de-France, dont les résultats ont été dévoilés ce mois d’avril.
Comme l’a expliqué en préambule Didier Cousin, président de la Commission rev3 de la CCI Hauts-de-France, «l’hydrogène est un sujet fondamental de la transition énergétique et un pilier de la démarche rev3 et de sa feuille de route, élaborée en partenariat avec la Région. Feuille de route qui sera finalisée en juin prochain et mettra l’accent sur l’urgence des projets, la massification des actions, pour générer de la valeur et de l’emploi».
Depuis sa mise en place en 2013, rev3 s’attache notamment à réduire la consommation énergétique et s’appuie sur un mix énergétique qui permet de développer les énergies décarbonées et renouvelables. «Pour atteindre nos objectifs à l’horizon 2050, nous allons devoir passer à la vitesse supérieure en ce qui concerne la sobriété et l’efficacité énergétique», relève Didier Cousin.
Dès les débuts de la troisième révolution industrielle ont été mis en place des collectifs régionaux, dont un portant sur le biométhane injecté, avec des projets autour de la production de gaz vert (essentiellement agricole). Ils ont progressivement essaimé dans toute la région, qui compte aujourd’hui 58 unités de production de biométhane avec injection dans les réseaux de transport et de distribution de gaz.
«Le réseau va continuer de se développer pour atteindre en 2030 une production de consommation en gaz vert de 20% - objectif minimal affiché par la Région et ses partenaires, que certaines parties du territoire, comme l’Aisne, ont déjà atteint -, observe Didier Cousin. Potentiellement, ces unités sont productrices de méthanation, c'est-à-dire de gaz de synthèse élaboré à partir de CO2 et d’hydrogène récupéré.»
L’industrie chimique, plus grosse consommatrice d’hydrogène en Hauts-de-France
«Les principaux usages de l’hydrogène en région concernent la production de certains produits chimiques comme le polystyrène, du verre – notamment le verre plat – et la sidérurgie. Nous avons également repéré de nouveaux usages : stockage des EnR et méthanation, l’interconnexion électricité/gaz, la réduction directe de l’acier, fours à flamme oxyhydrique, la mobilité et le fret, ainsi que les carburants de synthèse», explique Damien Grosseau, directeur du développement Pôlénergie, en introduction de la présentation de l’étude menée auprès de 399 entreprises de la région, entre mai et août 2021, sur leurs besoins en hydrogène décarboné.
Ce qui ressort de cette enquête : 47% de l’hydrogène consommé en région est vaporéformé [ndlr, le vaporeformage est un procédé de production de gaz de synthèse riche en hydrogène], 52% est d’origine fatale et moins de 1% produit par électrolyse. Avec 60%, l’industrie chimique est la plus grosse consommatrice d’hydrogène en Hauts-de-France, suivie par les entreprises spécialisées dans la production de façonnage du verre (18%) dans la production de gaz industriels et combustibles (16%) et l’industrie métallurgique (6%).
«Aujourd’hui, la production d’hydrogène en région est principalement d’origine fatale, à 98%, issue à 87% de l’industrie métallurgique, et à 13% par l’industrie chimique, en deuxième position», note Damien Grosseau. À noter qu’une grande partie de l’hydrogène consommé en Hauts-de-France est issu du vaporeformage, non réalisé dans la région.
Trente-sept projets identifiés
Côté projets, ils se répartissent entre les procédés (à 51%), la mobilité (41%) et l’usage externe à 8%. «La répartition de ces projets par secteurs d’activité est assez significative, on s’aperçoit que l’ensemble des industriels est concerné, il n’y a pas de branche qui ressort en particulier», analyse le directeur du développement Pôlénergie.
Si le secteur du transport et de la logistique se démarque avec 30%, les autres secteurs sont sensiblement au même niveau pour le nombre de projets : 19% pour l’industrie métallurgique, 16% pour l’industrie chimique, 14% pour le façonnage du verre et 11% pour la production de gaz industriels et combustibles.
Trente-sept projets ont au total été identifiés en Hauts-de-France, «qui, pour la plupart, notamment pour ceux concernant la mobilité, sont assez peu matures. Les secteurs du transport et de la logistique hésitent encore sur la façon de mener leur reconversion», note Damien Grosseau. Ce sont les industriels de la métallurgie, chimie et verrerie qui représentent les «futurs grands consommateurs d’hydrogène à court terme», avec un positionnement régional qui structure la filière et le développement des projets hydrogène.
«L’hydrogène vert constitue un important levier de décabornation»
«Les acteurs de la région sont globalement informés et intéressés par le développement de la filière hydrogène. La volatilité des coûts de l’énergie pousse, elle, les entreprises à initier des actions de transition énergétique. Pour les industries très présentes en région, l’hydrogène vert constitue un important levier de décarbonation, d’où l’émergence de nombreux projets», conclut Damien Grosseau.
L’étude a également permis de lister quelques perspectives d’avenir : des unités de production décentralisées sur site, le développement d’un hydrogène se structurant autour des industriels de la métallurgie, de la chimie et du verre, l’émergence d’une production d’hydrogène décarboné par SMR/CCS et électrolyse, et la stimulation du secteur du transport par des aides, financements et mesures légales.
Des premiers bassins de développement, autour des usages existants, ont été identifiés – ceux du Dunkerquois, de l’Audomarois, du Valenciennois, de la Métropole européenne de Lille et du Compiégnois.
Des scénarios plus ou moins optimistes
En se basant sur des données de l’Ademe, Pôlénergie a ressorti les grandes lignes des différents scénarios envisagés : sur la consommation future de la part d’hydrogène vert en 2030 et 2050, le scénario bas table sur 23% de conversion en 2030 et 74% en 2050, le haut sur 75% de conversion en 2030 et 100% en 2050.
Concernant le transport de matière par camions, influencé par la part modale du transport routier et par le taux de conversion à l’hydrogène, le scénario bas prévoit un taux de conversion nul, que ce soit en 2030 ou 20 ans plus tard, le scénario le plus optimiste tablant sur une conversion de 3% en 2030 et de 14% en 2050.
Le transport de voyageurs par car est, lui, influencé par la part modale du transport par bus et par le taux de conversion à l’hydrogène ; scénario bas : 0% de conversion à l’horizon 2030 et 2050, scénario haut : 5,5% en 2030 et 26% en 2050.
«Lorsqu’on examine les projets futurs, si l’on envisage les scénarios bas, on s’aperçoit qu’ils ne concernent que ceux des industriels et gravitent autour de la décarbonation. Pour les scénariosi optimistes, qui à notre sens ne le sont pas tant que ça, la question de la mobilité est plus forte», commente Damien Grosseau, qui imagine un axe de développement du réseau Nord-Sud, avec des ramifications à l’Est et à l’Ouest, notamment à Amiens pour l’industrie et la mobilité, dans la zone de l’aéroport de Beauvais pour la mobilité et dans la Vallée de la Bresle (verrerie).
«Si l’hydrogène n’est pas la seule réponse à la décarbonation, dans les process industriels qui sont les nôtres, c’est en tout cas une première réponse face au tout-électrique», observe Jean-Michel Dupuis, conseiller technique CCI Grand Hainaut et dirigeant d’AGC Glass France à Boussois (Nord), spécialisée dans les emballages verre et qui s’est dotée d’une unité de technologie disruptive, dite à oxycombustion, dès 2008. «Cette technologie a malheureusement fait les frais de cette anticipation sur la décarbonation», confesse le dirigeant, avec comme résultat un arrêt en 2012/2013, puis de nouveau en 2017, en raison des niveaux de prix du baril de pétrole et du coût de la tonne de CO2.
L’usine de Boussois s’est donc tournée vers l’hydrogène, «un challenge pour le site, auquel l’ensemble du personnel est associé». «Le bilan économique de cette démarche devra nécessairement être positif», note Jean-Michel Dupuis. Pour y parvenir, plusieurs éléments ont été identifiés, dont la récupération de l’hydrogène, le faible prix de l’électricité verte dans notre pays, le plan de relance (et notamment le plan H2) et la mise en place de synergies au plan local par l’utilisation de sous-produits.
Avec comme ambition pour le dirigeant «d’inscrire ce projet industriel dans un projet de territoire», sous réserve de lever certains freins : la réduction des délais de disponibilité et de quantités d’électricité nécessaires à la mise en œuvre de ces procédés techniques, ou encore la réactivité dans les délivrances d’autorisations.
*Pôlénergie est le délégué régional de l’association France Hydrogène (ex-Afhypac), qui contribue à la transition énergétique et à la décarbonation des Hauts-de-France en accompagnant les entreprises et collectivités.
Évolutions de la réglementation
- Taxe incitative à l’incorporation des énergies renouvelables dans les raffineries, en vigueur en 2023, mais qui ne devrait pas concerner les Hauts-de-France.
- Garanties d’origine permettant de valider l’origine de l’hydrogène utilisé (carbone, bas carbone, décarboné).
- Paquet climat "Fit for 55" : obligation d’intégrer de l’H2 vert dans les process industriels, de décarboner la mobilité et de refondre le marché des quotas d’émission.
- Directive RED : les EnR doivent représenter 32% de la consommation finale brute d’énergie en 2030. Une directive propre aux filières de production de gaz, de chaleur et de froid, à partir de combustibles solides ou gazeux.
- Soutien au financement via les appels à projets, un mécanisme de tarif d’achat et de soutien à l’achat des véhicules par le biais d'un bonus écologique.