Grâce à un agrément fiscal, les Grands Moulins enfin sortis du pétrin

Une perspective de cet immeuble monumental, exemple exptionnel de l'architecture industrielle. L'intervention contemporaine sera limitée.
Une perspective de cet immeuble monumental, exemple exptionnel de l'architecture industrielle. L'intervention contemporaine sera limitée.

Leur silhouette décharnée dressée sur le canal interpelle le passant. Qu’est donc cet énorme bâtiment abandonné à la toiture éventrée par un incendie ? Il s’agit du dossier le plus emblématique de la Métropole, illustration de l’obstination d’un propriétaire à faire grimper aux rideaux les acheteurs potentiels, de la ténacité d’un maire acharné à le sauver, de la clairvoyance des Monuments historiques attentifs à sa valeur architecturale, de la lenteur ubuesque de l’administration des Impôts, de la foi inébranlable d’un architecte et de la volonté infatigable d’un promoteur. Construits en 1920 par l’architecte Vuagnaux et désaffectés en 1996, les Grands Moulins de Paris à Marquette sont un splendide exemple de l’architecture industrielle de la métropole lilloise, un des plus grandioses, un des plus beaux, avec ses monumentaux pignons flamands à pas de moineau, ce qui lui a valu d’être inscrit à l’inventaire supplémentaire des Monuments historiques en 2001.

Péripéties multiples. À la cessation de l’activité en 1996, ils ont été achetés (pour 1,3 MF) à Bouyghes par Jean-Pierre Morice qui, après les avoir vidés et dépecés, a fait inlassablement monter les enchères. Entretemps, l’usine Rhône-Poullenc avait engendré un périmètre Seveso bloquant toute reconversion. Le projet est reparti lors de la fermeture de l’usine chimique. Cependant, dès les premiers jours, Jean Delebarre, maire de Marquette, n’a eu de cesse que de sauver les Moulins. Il a été puissamment aidé par l’architecte Hubert Maes qui, depuis plus de quinze ans, a élaboré un projet de reconversion en logements, pariant sur le réaménagement à terme de toute la ZAC de Marquette-Saint-André, autrement dit la reconquête des friches industrielles et des berges de la Deûle, confiée à la SEM Ville renouvelée.

Plusieurs investisseurs ont renoncé devant les difficultés du dossier et l’obstination du propriétaire à demander un prix très élevé. Les derniers déboires sont venus d’une modification de la loi permettant une défiscalisation sur les édifices protégés au titre des Monuments historiques. En décembre 2013, un amendement (de nuit…) a exclu les édifices inscrits du camp de la défiscalisation, réservant ce privilège aux classés. Le Sénat a réintroduit cette défiscalisation, mais au coup par coup, la soumettant à un agrément de Bercy. Il a donc fallu beaucoup de tenacité à Jean Delebarre, maire de Marquette, à Xavier Lucas, promoteur spécialisé dans la reconversion d’édifices complexes.

Enfin en décembre. Le projet de reconversion en logements dessiné par Hubert Maes et porté par Xavier Lucas était suspendu à cette  autorisation de défiscalisation soumise à Bercy. Celle-ci, dispensée au compte-gouttes, a tardé pendant des mois malgré le soutien de toutes les autorités locales, préfecture et DRAC. Elle est enfin arrivée le 27 décembre dernier. Il n’y a donc plus d’obstacles maintenant au démarrage d’un chantier attendu avec impatience. La reconversion  des Grands Moulins de Paris est, à plus d’un titre, emblématique d’une ville qui veut radicalement changer son image et son destin. Marquée profondément par l’épopée industrielle, Marquette souffrait d’une mauvaise réputation de triste cité de banlieue. Et ce n’est pas une célèbre chanson grivoise, immortalisée par les Capenoules, qui pouvait y changer grand-chose.

Il fallait des gestes d’urbanisme forts pour faire entrer Marquette dans le camp des villes de la banlieue lilloise où on aurait envie de vivre. C’est tout le pari de Jean Delebarre qui a assis la reconversion de sa ville sur la reconnaissance de son passé, sur l’archéologie et le patrimoine industriel. Ainsi a-t-il profité de la friche Rhône-Poullenc pour organiser des fouilles archéologiques programmées à la recherche de l’abbaye cistercienne disparue. Ainsi a-t-il voulu à toute force sauver les Grands Moulins de Paris. On peut dire qu’aujourd’hui, il y est enfin parvenu, car, sitôt connu l’accord de Bercy, Xavier Lucas va lancer la demande de permis de construire et la commercialisation.

Haut-de-gamme et social. Le projet dessiné par Hubert Maes prévoit la création de 265 logements du type 1 au type 5, dans une reconversion réservant 90% au logement. En pied d’immeuble, on trouvera des commerces et des restaurants, dont l’un dans les silos aura, sans nul doute, un caractère particulier. Un immeuble neuf confié à Villogia permettra d’accueillir du logement social essentiellement en accession. Pour Xavier Lucas, «la défiscalisation permet de viser la haute qualité en restant dans une épure financière tenable». En effet, reconvertir un immeuble aussi monumental est complexe, avec un coût estimé dans une fourchette de 50 à 70 M€. La défiscalisation permet de réaliser du haut-de-gamme, compatible avec la haute qualité architecturale de l’immeuble. On voisinera sans doute les 6 500 €/m², ce qui est la norme dans la Métropole pour le haut-de-gamme, la défiscalisation permettant que cela reste un bon placement.

Si Xavier Lucas, avec la Financière Vauban, est rodé à ce genre d’opération, il construit aussi beaucoup plus classiquement et affirme que sa grande fierté à travers tous les programmes en cours est de donner du travail à 400 personnes dans tous les chantiers. On le trouve actuellement à Valenciennes, Douai et Seclin pour des monuments historiques, mais un peu partout dans la région, comme à l’EPSM de Bailleul avec un programme de 300 logements. Un groupe de quinze personnes travaillent en permanence dans ses structures.

Au cœur d’un projet urbain. Sur le terrain, le travail préparatoire a été mené avec, par exemple, des géomètres travaillant comme des alpinistes en cordée pour effectuer les relevés. Tant et si bien que tout est prêt pour que le chantier démarre sitôt le permis purgé de tous les recours. On devrait voir très rapidement des grues autour des Grands Moulins, au grand soulagement de Jean Delebarre qui se souvient avec gravité de l’accident qui a coûté la vie à une jeune fille de 16 ans en juin dernier. La livraison des appartements pourrait avoir lieu dans deux à trois ans, avec des produits tout à fait exceptionnels dans la Métropole, comme des appartements panoramiques en sommet. Un grand parking silo enterré dissimulera les automobiles, car le projet est aussi un projet urbain.

La restauration des Grands Moulins s’accompagnera de la reconquête du bord à canal, encore occupé par des activités industrielles qui doivent déménager. La renaissance des Grands Moulins de Paris est un élément important d’un immense projet urbain de reconquête de la Deûle, engagée un peu plus loin sur La Madeleine avec l’opération des friches Rhône-Poullenc et le projet que beaucoup veulent relancer de remise en eau de l’avenue du Peuple-Belge qui ferait pénétrer la rivière jusqu’au centre-ville de Lille, revivifiant au passage Saint-André et La Madeleine dans l’opération dite “Cœur de Deûle”. L’eau est ici la logique d’un grand projet métropolitain et le déblocage des Moulins va sans doute sonner l’heure d’une renaissance d’un patrimoine architectural exceptionnel, mais aussi de tout un grand morceau d’une ville qui veut regarder à nouveau vers sa rivière.

 

Encadré

Embrouillamini législatif

On confond souvent avec la loi Malraux, la loi qui permet la défiscalisation dans la reconversion des monuments historiques que ceux-ci soient classés ou simplement inscrits. Or, une nuit de décembre 2013, deux députés socialistes ont fait passer un amendement restreignant cet agrément aux seuls édifices classés ; 22 projets ont été bloqués sine die. Il a fallu attendre la loi Macron pour que le dispositif réintègre les édifices inscrits, à la condition que préfecture et DRAC signifient par écrit l’intérêt du projet. Ce qui fut fait pour Marquette par Jean-François Cordet, préfet, et Marie-Christiane de la Conté, DRAC.

Sitôt passée la loi, le dossier est parti à Bercy mais s’est retrouvé enfoui dans une pile, jusqu’à ce qu’il soit dépaysé à Lyon. L’agrément est enfin arrivé le 27 décembre dernier, mettant un terme à des années de tergiversations. Tout devrait maintenant aller très vite avec la signature définitive de l’acte de vente, le dépôt du permis, la purge des recours et la commercialisation. On devrait voir rapidement des grues.

 

Encadré 

Le programme

• Surface totale EDD : 17 485 m²

• Surface totale planchers : 15 466 m²

• 70 T1, 85 T2, 90 T3, 19 T4, 1 T5 : soit 265 logements

 

 

D.R.
De dr. à g. : Xavier Lucas, promoteur, Hubert Maes, architecte, et Jean Delebarre, maire de Marquette.

D.R.

Une perspective de cet immeuble monumental, exemple exceptionnel de l'architecture industrielle. L'intervention contemporaine sera limitée.