Gérer dettes et argent en prison, une gageure

Maîtriser son budget ne déplairait pas à Joël (prénom d'emprunt) pour sortir de sa galère financière. Alors ce matin de février, dans la prison de Villepinte en Seine-Saint-Denis, avec d'autres détenus, il se prête à...

 © Quentin TYBERGHIEN
© Quentin TYBERGHIEN

Maîtriser son budget ne déplairait pas à Joël (prénom d'emprunt) pour sortir de sa galère financière. Alors ce matin de février, dans la prison de Villepinte en Seine-Saint-Denis, avec d'autres détenus, il se prête à un jeu de l'oie version "gérer ses deniers".

Un plateau, un dé et 14 jeunes majeurs en jogging, condamnés comme lui à moins de deux ans d'emprisonnement.

Case charges fixes, 350 euros à débourser. Cases bleues, questions crédit. 

"Comment faire pour améliorer mon budget ?", demande Farid Zahoui de la Banque de France qui anime l'atelier. "Y a les aides", "en mettant de côté chaque mois", "des crédits", les réponses fusent. 

Au bout d'une heure, fin de la partie et retour dans les coursives. "Quand t'as zéro et que tu sors" de prison, "c'est mort pour toi", commente pragmatique Fouad (prénom d'emprunt), 20 ans. Il dit être "bien organisé", "plein de projets pour après" et avoir le soutien financier de ses proches.  

A l'opposé, Joël n'a "pas de la famille qui envoie de l'argent", "ne cantine pas", "ne travaille pas". "C'est bien d'apprendre à pas trop dépenser" mais "comment apprendre à gérer la vie ?", s'interroge ce Guyanais de 22 ans. "Petit, je volais (...), je ne sais pas comment ça va se passer à la sortie", mais "si je reste là à rien faire, je vais continuer à faire de la merde". 

Il est l'un des plus de 15.000 détenus sans ressource à avoir reçu en 2023 les 30 euros d'aide mensuelle versés par l'administration pénitentiaire, soit environ 20% de la population incarcérée sur l’année. 

En prison, tout a un prix, des plaques de cuisson jusqu'au numéro vert d'une association d'aide. A Villepinte par exemple, un paquet de tabac se vend 17,40 euros, une heure de communication vers un portable depuis la cabine 10 euros. 

"La question de l'appréhension de l'argent, sa gestion, surtout pour des personnes coutumières des flux d'argent qui émanent du trafic, a tout son sens", relève Michaël Merci, chef de la maison d'arrêt.

Or en prison, gérer ses finances est une gageure. 

- "Stratosphériques"

En prison, la question du "droit économique" est, entre autres droits, considérée comme "annexe", déplore Aurélie El Hassak-Marzorati, directrice générale du CASP, une association qui accompagne les détenus

Pourtant les dettes peuvent s'accumuler très vite, du loyer impayé à l'abonnement internet non résilié. 

Ce type de démarches n'est souvent pas la priorité pour les personnes condamnées qui doivent en premier lieu accepter la peine, ou, pour celles en attente de procès qui s'accrochent à l'espoir de sortir bientôt, résume Hélène Ducourant, sociologue à l'université Gustave Eiffel.

"Tout est un peu compliqué, (...) il faut savoir à qui écrire", connaître ses numéros de compte ou d'adhérent, explique-t-elle. 

"Parce qu’ils relèvent des catégories sociales les plus populaires et précaires, les détenus disposent fréquemment de crédits revolving" qu'ils "ne parviennent plus toujours à rembourser une fois en détention", pas plus que les crédits automatisés difficiles à suspendre, relevait-elle dans un article publié en 2022. 

A cela s’ajoutent les sanctions financières liées au jugement. 

Les amendes douanières "sont notamment stratosphériques" et les amendes judiciaires sont souvent "peu réalistes (...) et peuvent pousser à la réitération", en particulier dans les affaires de stupéfiants, relève l'avocate May Sarah Vogelhut, habituée de ce genre de dossiers.

Une étude parue fin 2021 par Emmaüs et le Secours catholique révélait que les deux tiers des détenus indiquaient être en surendettement, alors que le coût de la vie en prison était de 200 euros par mois.

La Banque de France dit comptabiliser seulement une centaine de dossiers de surendettement déposés chaque année par des personnes détenues.

Pourquoi cette paupérisation ? Il existe des "freins presque physiques", les démarches, lentes, se faisant par courrier, note Hélène Ducourant. Dans cet univers carcéral sans internet, argent ou moyen de paiement, la temporalité n'est donc pas celle des banques ni des créanciers.

Pour les aider, les détenus peuvent solliciter les services probatoires, avec qui les relations sont essentiellement épistolaires. 

Avec une densité carcérale globale de 123,5% au 1er février cependant, les "moyens sont insuffisants" pour le "travail d'orfèvre" que nécessite un accompagnement individuel, relève Mme El Hassak-Marzorati. Or, les dettes qui s'amoncellent sont "un blocage sérieux à la réinsertion".

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