Gérard de Poorter, président de l'Umih Hauts-de-France : «Nous devons nous réinventer sinon nous sommes morts !»
La pénurie de main-d'oeuvre dont souffrent actuellement les cafés-hôtels-restaurants (CHR) met un coup de frein à la reprise économique du secteur. Parfois considérés pénibles et exigeants, ces métiers sont de plus en plus désertés. Gérard de Poorter, président de l'Umih Hauts-de-France et de l'Umih Lille Métropole, tire la sonnette d'alarme : «Nous devons absolument réagir !»
La Gazette : Comment la profession a-t-elle traversé la crise sanitaire et les fermetures successives qui lui ont été imposées ?
Gérard de Poorter : Une chose est certaine, nous avons été bien aidés et soutenus par l'État durant cette période. Et c'est d'ailleurs toujours le cas. Mais nous souhaitons des délais supplémentaires concernant le prêt garanti par l'État (PGE), et c'est ce que nous avons demandé à notre ministre de l'Économie lors de notre dernier congrès à Strasbourg qui avait comme fil rouge la reprise responsable.
La reprise est bien là, mais elle est encore fragile. Et surtout, elle est inégale. Sur la côte, les professionnels s'en sortent mieux qu'à Abbeville par exemple, et la situation à Lille est meilleure qu'à Maubeuge. Des disparités se font aussi sentir en fonction de la taille de l'établissement : les grandes brasseries s'en sortent mieux que les petits restaurants de six ou huit tables, qui ont beaucoup souffert au moment où des jauges étaient encore imposées.
Dans quel état d'esprit se trouvent vos adhérents aujourd'hui ?
Ils sont très heureux de pouvoir travailler. Nous sommes des professionnels qui exerçons un métier de passion. Notre place est donc sur le terrain, dans nos établissements et au contact de nos clients.
Et cela tombe bien car ces clients étaient au rendez-vous à la réouverture. L'activité redémarre, les trésoreries repartent aussi... Le hic désormais, ce sont les problèmes de recrutement auxquels nous sommes confrontés. Il y a actuellement 6 000 postes à pourvoir dans la région Hauts-de-France. Nous travaillons d'arrache-pied avec nos partenaires que sont Pôle emploi, le Conseil régional, la préfecture et les chambres consulaires, pour résoudre ce problème et trouver des candidats. Il y a urgence car certains établissements sont déjà contraints de réduire leur activité faute de personnel. J'ai vu un hôtel de la côte devoir fermer un étage complet cet été, en pleine saison, à cause d'un manque de femmes de chambre... C'est vraiment désolant.
Comment expliquez-vous cette situation ?
Avec la crise sanitaire, les Français ont pris de nouvelles habitudes, y compris nos salariés : rester chez soi, passer plus de temps en famille ou à pratiquer ses loisirs... Et ils y ont pris goût. Or, nos métiers ne sont pour le moment pas vraiment compatibles avec tout ça. On demande à nos employés de faire des heures supplémentaires, de travailler les week-ends, les jours fériés, de rentrer chez eux pour une coupure l'après-midi et de revenir pour le service du soir... Tout cela pour des salaires peu élevés. La situation actuelle n'a donc rien de surprenant et nous en sommes les premiers responsables.
En parallèle, à cause de la Covid, les jeunes que nous formons normalement en apprentissage n'ont pas été à l'école durant des mois. Nous n'avons donc pas pu compter sur ce vivier de candidats qui est pourtant très riche.
Que proposez-vous pour y remédier ?
Nous devons absolument changer nos habitudes, nous réinventer et faire des efforts. On ne peut plus continuer à faire travailler nos jeunes 45 ou 50 heures par semaine sans les valoriser et leur offrir un peu de confort en contrepartie. Les jeunes n'ont plus envie de ça aujourd'hui. Je ne dis pas qu'ils ne veulent plus travailler car ce n'est pas vrai. C'est simplement que leur façon de travailler a changé et nous devons en tenir compte, nous adapter, de la même façon que nous nous sommes adaptés à nos clients pendant la crise, avec le click and collect ou la livraison notamment.
Il y a plusieurs pistes à envisager : augmenter les salaires - pour cela nous avons demandé au Gouvernement d'exonérer ou de diminuer les charges sociales-, rémunérer les heures supplémentaires, supprimer les coupures et laisser quelques week-ends de libres.
À côté de cela nous devons aussi travailler à redorer notre image, qui souffre de nombreux préjugés. Nous devons aller à la rencontre des jeunes au sein des écoles, des centres de formation, et leur ouvrir nos portes pour leur montrer à quel point nos métiers sont beaux et nos patrons, passionnés. Nous devons aussi les informer des avantages dont ils peuvent bénéficier en tant qu'apprentis, comme les aides de la Région pour financer le permis de conduire. La restauration, ce n'est pas que des inconvénients ! S'il y a du courage il y aura de la promotion. On peut très bien rentrer dans la profession en tant qu'apprenti et finir directeur de palace. Nous faisons le plus beau métier du monde, c'est ça que nous devons dire aux jeunes.