Gaz de schiste : un mirage ?
Pas de trêve dans la quête de nouvelles sources d’énergie, de préférence fossiles : c’est le carburant indispensable à la croissance. Les Japonais s’apprêtent à ratisser les fonds marins pour en extraire de précieux hydrates de méthane.
On va finir par croire que les optimistes irréductibles ont raison. Et que les situations les plus désespérées finissent par se résoudre d’elles-mêmes. Tel est, en tout cas, le sentiment qui prévaut aujourd’hui sur l’un des thèmes les plus préoccupants pour l’avenir de la planète : ses ressources énergétiques. Ainsi, le «pic pétrolier» pourrait ne pas avoir été encore atteint, grâce à la découverte de nouveaux gisements et aux technologies permettant désormais l’exploitation des sables bitumineux, très abondants. Sans compter l’amélioration toujours possible de l’extraction traditionnelle : aujourd’hui, on ne parvient à pomper que 35 % environ du contenu d’un puits. Si bien que les réserves prouvées sont considérables, sauf qu’une grosse partie demeure pour l’instant inaccessible. Quant au gaz naturel, le potentiel des réserves s’est remarquablement accru ces dernières années, au point de susciter la multiplication des conflits armés. Enfin, une nouvelle ressource vient à point nommé remonter le moral des Japonais, confrontés à l’hypothèse, dramatique d’un point de vue économique, du renoncement définitif à l’énergie nucléaire. Sans alternative énergétique raisonnable, il est peu probable que le pays puisse s’exonérer du risque nucléaire. Sauf si les récentes explorations des fonds marins, visant à la récolte d’hydrates de méthane, répondaient aux espoirs qui sont investis en eux. Ces hydrates, communément appelés «glace qui brûle» car ils s’enflamment au contact de l’oxygène, sont très abondants à des profondeurs marines suffisantes pour garantir une haute pression et une basse température. Les eaux japonaises, sillonnées de failles profondes, regorgeraient d’hydrates de méthane, au point de pouvoir assurer plus d’un siècle des besoins énergétiques du pays.
Schistes : un eldorado hypothétique
Dans le même temps, la première économie du monde vient de se doter d’espérances à long terme qui tranchent avec la morosité des temps présents. Grâce à l’exploitation des gaz de schiste dont le territoire serait truffé, les États-Unis entendent retrouver à courte échéance leur totale indépendance énergétique, et ainsi maintenir le leadership que d’aucuns ont l’outrecuidance de leur contester. Depuis que ces roches miraculeuses ont fait l’objet d’une intense prospection, de nombreux pays se sont découverts d’authentiques trésors souterrains, susceptibles de modifier radicalement leur avenir économique. Notamment, ceux qui sont dépourvus de ressources pétrolières, comme la France. Sur les dernières années, notre pays a accordé une soixantaine de permis d’exploration concernant les huiles ou gaz de schiste. Trois d’entre eux ont été purement et simplement annulés voilà environ deux ans, avant que le mode d’extraction, la fracturation hydraulique, ne soit purement et simplement prohibé sur notre territoire. Avec tous les débats que soulève la question, on s’en doute. Car les réserves en cause dans notre pays sont, semble-t-il, à ce point considérables qu’il serait masochiste de ne pas les exploiter (plus de 5 000 milliards de m3). En l’état actuel des technologies disponibles, toutes les configurations de sol ne sont pas exploitables. Et la seule technique en vigueur soulève des torrents de critiques. Car la fragmentation hydraulique suppose d’abord la dislocation des roches au moyen d’explosifs : il en résulte des mini-séismes dont les conséquences sont essentiellement imprévisibles. Ensuite, il faut mobiliser des quantités phénoménales d’eau pour faire remonter huiles et gaz en surface. Enfin, une partie des gaz captifs s’évanouit dans l’atmosphère, qu’il s’agisse du méthane lui-même ou du dioxyde de soufre qui l’accompagne le plus souvent (principal responsable des pluies acides). Bref, si le gaz extrait est plus propre que la houille ou le pétrole lorsqu’il fait tourner les centrales, il l’est moins, voire beaucoup moins au stade de la production. Sans que l’on puisse, ou que l’on veuille, évaluer avec précision les dommages collatéraux. Enfin, un aléa de taille pourrait briser l’élan d’une exploitation intensive de cette source d’énergie : à ce jour, seuls 20 % des gaz captifs d’un gisement sont exploitables. Laissant ainsi libre cours à l’évasion illégale du solde lors de l’abandon du puits. Stressant.