François Desprez : «On se sent déjà chez nous !»
Placé dans le top mondial de la recherche et production de semences betteravières et céréales à paille, le Cappellois Florimond Desprez voulait absolument reprendre le Breton Germicopa, leader dans la semence de pomme de terre. Une affaire lourde réglée en cinq mois !
La Gazette. François Desprez, vous êtes coprésident de SAS Maison Florimond Desprez et nouveau président de Germicopa. Quel est le vécu de votre groupe en matière de reprise d’entreprise ?
François Desprez. En 2005 nous avons racheté le Hollandais Advanta, 4e semencier mondial, qui était alors deux fois plus puissant que nous, modeste entreprise familiale à Cappelle-en-Pévèle depuis 1830. On sortait tout doucement du marché de la betterave à sucre avec 2% seulement du marché, donc il fallait réagir en réalisant une première forte opération de croissance externe. Elle fut assez compliquée et pas seulement pour des raisons linguistiques. Mais elle a pleinement réussi puisque nous sommes dans les 12 meilleurs du monde, avec un CA de 230 M€, 800 collaborateurs, 11 espèces travaillées, 10 filiales à l’export sur tous les continents et nous consacrons 17% du CA à la recherche. Pour plus de diversification et quelques autres raisons, il nous fallait reprendre une autre société, cette fois dans la pomme de terre. Voilà un bon moment que j’observais Germicopa à Quimper…
Quel a été la raison déclenchant votre volonté de reprendre cette entreprise ?
Il y avait des raisons liées aux marchés, d’autres à ce qui se passait dans cette belle société quimpéroise créée en 1957. Desprez était trop tributaire de la betterave sucrière. Nous devions rééquilibrer nos productions de semences et déterminer quelles semences exactement. Pas question de concurrencer les géants à plusieurs milliards d’euros comme Monsanto dans le maïs ou le soja, mais devenir leader dans le domaine du possible et dans un produit en expansion. La pomme de terre s’imposait, elle ne cesse de progresser. Or, ses leaders mondiaux sont en Europe, à notre taille et ils sont attaquables. Le produit connaît un marché en développement régulier côté consommation, en Chine et Amérique du Sud notamment. Nous avons donc repéré voilà cinq ans Germicopa qui était leader français de la pomme de terre à chair ferme. Elle avait connu une vie agitée avec de nombreux actionnaires, au point qu’il a fallu créer une nouvelle société avec plusieurs partenaires, dont un pool bancaire et les cadres eux-mêmes, âgés d’une soixantaine d’années en moyenne. Ils songeaient donc à céder et des contacts se sont noués entre nous. Le processus a débuté en avril 2014, c’est allé très vite.
Quels ont été les facteurs prépondérants pour réaliser cette reprise avec Germicopa ?
Ils ne voulaient pas céder à n’importe qui, et surtout pas à des groupes hollandais, allemands ou britanniques. Et pas à des gens qui pensaient plus à l’argent qu’à l’industrie, aux hommes et au terroir à faire vivre. On peut parler de volonté commune de se rapprocher, car nous aussi nous tenions absolument à les reprendre, eux et personne d’autre. On restait entre Français. Entre Bretons et Nordistes, il existe bien des affinités, nous avions besoin de cette diversification avec la pomme de terre, et eux cherchaient un appui pour la recherche, une notoriété et des réseaux mondiaux. De toute façon, seule cette entreprise rassemblait les critères que nous nous étions fixés. En taille, ils sont 60 ; en compétences, ils sont les meilleurs dans leur domaine et il y règne un esprit «maison» que nous apprécions.
Combien de temps a pris la transmission ?
Cinq mois, nous avons signé le 15 septembre 2014. Pourquoi aussi court ? Nos deux volontés de faire vite d’autant que nos campagnes respectives étaient en cours et que ça n’attend pas, la transparence des dossiers, puis la qualité de nos conseils et établissements bancaires : tout cela a été déterminant. Germicopa avait plusieurs concurrents candidats repreneurs, des clients, et finalement elle nous a retenus et nous seuls. Le processus a été classique. On a eu accès à la data room électronique avec absolument toutes les données, en juillet on a fait une offre élaborée sous réserve de garanties de paiement et on a rencontré les managers puis le personnel qui était satisfait du dénouement, d’autant qu’on conservait tout le monde avec un projet qui a convaincu. Il ne faut jamais oublier que tout cela n’est pas seulement une affaire d’argent, mais de qualité de projet et de valeurs humaines à respecter.
Quels ont été vos partenaires durant cette cession ?
Rotschild en tant que conseiller, le Crédit agricole Nord France, Ernst et Young, les fonds d’investissement Sodica, Naxicap et une aide financière de la Région Bretagne, Ouest croissance.
Sur quelle base a été calculée la valorisation ?
Sur la valeur de la rentabilité de l’entreprise, historique certes mais aussi future. On établit un business plan sur cinq ans en chiffre d’affaires, les bénéfices, etc. Ensuite intervient le “good will”, c’est-à-dire ce qu’on est prêt à payer un peu plus pour remporter la vente. Si Desprez ratait Germicopa, tout devenait plus compliqué pour nous, mais de leur côté aussi.
Quels sont vos projets pour Germicopa ?
Elle conserve son identité, nous sommes l’actionnaire principal, il n’y a pas absorption mais adossement sur nous pour la recherche et la diffusion des produits sur nos marchés internationaux. On va revoir l’informatique et la comptabilité ,mais on se donne un an pour se connaître et on a créé une structure informelle, un pool de réflexion tous ensemble. On a ensemble trouvé la bonne solution industrielle, maintenant on va peaufiner tout ça mais sans faire un holding. Le CA de Germicopa est de 38 M€, bien sûr il va progresser grâce à une recherche qui disposera de plus de moyens. Ils sont à 170 producteurs pour 80 000 plants et 50 variétés sur 1 700 hectares, présents sur trois marchés. Voilà la situation de départ.
Mais nous aussi, nous avons notre vie propre. Nous nous sentons déjà chez nous en Bretagne, le courant est indéniablement passé. Nous devrons songer sans doute plus tard à d’autres reprises de sociétés, car l’activité des semences se concentre de plus en plus. Nous sommes une entreprise unique en son genre : familiale et indépendante, qui a multiplié son CA par 30 en 30 ans. Mais l’important, c’est la croissance interne, pas externe, rester à bonne taille et veiller à faire ce qu’il faut, en croissance externe par exemple, pour consolider sa pérennité.
Quand Desprez a présenté son nouveau logo, j’avais fixé trois objectifs : rester leader européen en betterave, développer les céréales sur paille, ne pas négliger le développement externe.
Trois conseils à donner à un candidat repreneur ?
Bien s’entourer, ne pas lésiner sur la qualité du conseil. Que les conseils comprennent bien notre métier et ses difficultés. Ne pas les laisser piloter la reprise tout seuls et se méfier de ses propres envies, écouter les conseils qui, eux, n’ont pas d’états d’âme.