Dix ans après la loi ESS, bilan et perspectives du point de vue des commissaires aux comptes
«Favoriser le développement d’emplois durables au cœur de nos territoires»
Alors que la loi du 31 juillet 2014 relative à l’économie sociale et solidaire (ESS) va fêter ses dix ans cette année, la Compagnie nationale des commissaires aux comptes dresse un premier bilan des avancées dans ce secteur et des perspectives d’évolution face aux enjeux de la RSE.
À
l’occasion de sa Journée
nationale des associations, fondations et fonds de dotation organisée
le 30 janvier à Paris, la Compagnie nationale des commissaires aux
comptes (CNCC) est revenue sur les avancées majeures de la loi ESS
du point de vue de la profession, laquelle contrôle chaque année
plus de 300 000 associations en France.
Une première clarification des différents types de financements publics
Expert-comptable et commissaire aux comptes, président d’honneur de la commission «associations et fondations» de la CNCC, Philippe Guay a rappelé que cette loi a introduit une définition légale de la subvention publique, à laquelle est venue s’ajouter par la suite une définition de la notion de concours public et de commande publique. Mais en dépit de la clarification apportée par les textes, «la frontière n’est pas toujours facile à déterminer» sur le terrain, car «des divergences d’interprétation subsistent toujours sur la catégorie dont relève les aides financières publiques», a-t-il relevé. «On observe que certaines autorités administratives ont recours à la commande publique, alors qu’elles pourraient considérer que les financements qu’elles délivrent aux associations sont plutôt des concours publics.»
Or,
le fait de recourir à la commande publique plutôt qu’au concours
public a pour conséquence qu’un certain nombre d’associations ne
sont plus obligées de faire appel aux services d’un commissaire
aux comptes, dès lors que le montant annuel des subventions reçues
n’atteint plus le seuil des 153 000 euros, au-delà duquel la
désignation d’un commissaire aux comptes est obligatoire, et
qu’elles ne remplissent pas les autres critères qui déclenchent
cette obligation de contrôle. «C’est dommage, parce qu’il y
a une perte de sécurité pour le financeur public», a-t-il
pointé. Pour remédier à ces divergences d’interprétation, il
propose de procéder à «une révision adaptée»
de la circulaire du Premier ministre du 29 septembre 2015, qui
précise le cadre juridique régissant les subventions versées par
les pouvoirs publics aux associations.
Opérations de restructuration : il manque des précisions comptables
Autre
avancée majeure de la loi ESS : elle est venue combler un
vide juridique en sécurisant un certain nombre d’opérations de
restructuration entre associations ou fondations, en prévoyant un
cadre juridique spécifique pour les fusions, scissions et apports
partiels d’actifs. Or, «si cette loi est venue sécuriser
ces opérations sur le plan juridique, il faudrait y apporter des
précisions comptables», a-t-il souligné, en rappelant
que l’Autorité des normes comptables s’était «engagée à
définir un cadre comptable applicable à ces opérations».
Le secteur de l’ESS face aux enjeux de la RSE
À
l’heure où la directive sur le reporting de durabilité (dite
CSRD) vient d’être transposée, fin 2023, quelles sont les
perspectives pour le secteur de l’ESS face aux enjeux de
responsabilité sociétale des entreprises (RSE) ? La CSRD n’est
pas applicable au secteur non lucratif, mais «le secteur de
l’ESS est néanmoins concerné par d’autres dispositifs de RSE»,
a expliqué Jean-Claude
Marty, associé auditeur chez Deloitte. Certaines dispositions
relèvent de textes législatifs et réglementaires, et d’autres
du droit informel – recommandations et lignes directrices,
labels, bonnes pratiques…
En
matière de gouvernance, par exemple, il s’agit des bonnes
pratiques en matière de cartographie des risques, des dispositifs de
lutte contre la corruption, de lutte contre le terrorisme et le
blanchiment d’argent, et du règlement RGPD. En matière sociale et
sociétale, il s’agit des dispositions du Code de la consommation,
du Code de la santé, du dispositif des lanceurs d’alerte, et des
obligations relatives au droit du travail en matière de parité, de
non-discrimination et de diversité, et de maintien en employabilité.
Et en matière d’environnement,
il s’agit notamment de la loi ELAN et du décret tertiaire,
de la loi AGEC contre le gaspillage et pour l’économie circulaire,
et de la loi sur le numérique responsable et la stratégie nationale
biodiversité.
«La
RSE vise un objectif d’intérêt général et le secteur de
l’ESS contribue également à l’intérêt général»,
a poursuivi Jean-Claude Marty. Aussi serait-il surprenant «que
le secteur de l’ESS qui, par nature, est orienté sur l’intérêt
général, se désintéresse de la RSE». Par ailleurs,
«si la CSRD n’est pas applicable au secteur non
lucratif, il y a déjà des exigences de la part de certains
bailleurs pour obtenir des informations très concrètes sur les
dispositions prises en matière de RSE par les acteurs du secteur
associatif».
La feuille de route du délégué interministériel à l’ESS
Nommé délégué interministériel à l’Économie sociale et solidaire en novembre 2023, précédemment directeur général de Solidarités nouvelles pour le logement, Maxime Baduel a présenté les trois grands axes de sa feuille de route dans le cadre de ses nouvelles fonctions. «Premièrement, favoriser le développement d’activités résilientes et d’emplois durables au cœur de nos territoires, là où les acteurs de l’ESS travaillent en coopération avec les acteurs publics et les acteurs du marché. Deuxièmement, favoriser l’accès de l’ESS aux financements, qu’il s’agisse de dispositifs de droit commun ou de dispositifs spécifiques ou innovants, et développer toutes les formes de mécénat et toutes les formes de générosité. Et enfin, développer et promouvoir ce mode d’entreprendre, porteur de démocratie économique et de justice sociale.»