Faire sortir les fleuves de leur lit
A deux pas du port de Rotterdam, le centre de congrès Ahoy accueillait les participants du cinquième rendez-vous annuel des professionnels du transport et de la logistique fluviale, qui s’inscrit dans l’agenda européen des acteurs de la profession. Ils étaient près de 600 participants, la plupart hollandais et belges : les géants bataves DHL ou Cargill (transporteurs de biens), les ports belges comme Anvers et Liège. Côté français, Voies navigables de France (VNF) a fait le nécessaire pour contrebalancer la présence massive des Belges et Néerlandais : Ecoterres (décontamination des terres), Franprix, Decathlon, Oxylane (transporteur privilégié de Decathlon), Arques céréales, la filiale transport d’EDF, Veolia propreté (recyclage de papier et plastique), SDV France (spécialiste du multimodal et filiale de Bolloré), Recyclex (retraitement de métaux). Etaient aussi présents quelques groupes internationaux comme Arcelor, Holcim, mais peu d’extra-européens en dehors du Libanais Indevco. Crop Energy (Allemagne) et Tabaknatie Polska, qui distribue du tabac dans 60 pays, étaient les seules entreprises en dehors de la Belgique, de la France et des Pays-Bas.
Ces derniers sont en concurrence mais partagent des intérêts communs sur des sujets divers. En premier lieu, la France et les Pays-Bas sont très concurrents sur le trafic. Les Pays-Bas ont énormément investi dans le renouvellement et l’extension de leur flotte. Les mariniers, nombreux à avoir fait construire des bateaux avant la crise, ne le regrettent cependant pas malgré la baisse sensible du trafic : ils seront les premiers sur les rangs quand ça ira mieux. Côté français, on le reconnaît : «il est évident que leur flotte est beaucoup plus importante que la nôtre, admet Jean-Claude Ziza, chargé de mission chez VNF. Mais VNF a lancé un appel à manifestation d’intérêt (AMI) pour structurer la flotte française. Construire un bateau, c’est 18 mois. Il y a aussi des coques à acquérir, des moyens de moderniser la flotte avec des innovations techniques et énergétiques. C’est une opportunité.»
Seine-Nord et Bruxelles. L’actualité de ce forum tenait aussi à la prise de parole de Jean-Eric Paquet sur un dossier qui concerne au plus haut point la France, la Belgique et les Pays-Bas. Le trafic autoroutier entre Rotterdam et Paris arrive à saturation, les solutions alternatives comme le rail sont en cours de développement et le fluvial reste un levier conséquent pour réorienter le trafic. Seine-Nord doit répondre en toute logique à cette attente du marché. Mais l’inquiétude des élus régionaux et des entreprises du Nord-Pas-de-Calais commencent à remonter à Bruxelles. Le canal Seine-Nord attend toujours la fin des tours de table pour savoir quel sera son budget et qui mettra au pot. L’Europe financera mais pas à la hauteur de ce qu’espèrent les élus locaux. Jean-Eric Paquet ne le cache pas : «C’est d’abord une décision française. L’Europe vient apporter un soutien ensuite.» L’incertitude fait-elle peser une réelle menace sur la faisabilité du projet ? «Non, mon sentiment est que cela se fera mais les négociations sur les budgets européens sont complexes. On peut s’attendre encore à des coupes en janvier», a répondu le haut fonctionnaire européen. Bruxelles devra se souvenir que le chantier Seine-Nord apporterait 15 millions de tonnes, sur cinq ans, de trafic uniquement grâce aux volumes des matériaux utilisés pour le chantier. «Les candidats retenus pour le chantier piocheraient dans les capacités des transporteurs fluviaux», a fait observer un acteur du dossier, présent à Rotterdam.
Maritime et fluvial, partenaires d’une même chaîne de valeurs. Autre fait notable lors de ces deux jours de rencontres, la leçon des Hollandais. Les aptitudes de leurs opérateurs fluviaux ont été largement ciblées lors de la conférence portant sur l’optimisation entre les ports maritimes et l’hinterland. Roland Bakker, directeur du planning des camions de la plate-forme logistique fluviale de Twente, a fait état de sa gémellité avec le port maritime de Rotterdam. Située à 200 km du port, Twente développe une surface logistique le long des voies navigables de 180 hectares. Les infrastructures et équipements satisfont pleinement clients et opérateurs fluviaux. Donald Baan, directeur logistique du port de Rotterdam, vend également les services de Twente dans son offre globale. Teunis Steenbeeck prêche le couplage total des logistiques portuaires maritimes et fluviales depuis quelques années à travers le projet «Nextlogistic» qui tend à rapprocher les trafics maritimes des voies qui irriguent l’hinterland. A Twente, 60% du trafic de la plate-forme se font par la route ; 10% à peine passent par le rail et déjà 30% transitent par les barges. L’offre multimodale permet de développer d’autres services à plus forte valeur ajoutée. Ce type de site est aussi très attractif pour l’implantation d’entreprises de tout secteur industriel.
Reste le constat selon lequel il est crucial d’œuvrer ensemble : un discours à faire passer au-delà de toutes les frontières européennes. Le prochain rendez-vous pour le fluvial se tiendra les 24 et 25 mai 2013 à Karlsruhe pour le congrès portuaire international.
Encadré :
River Dating & Barge to Business
«150 exposants, 600 participants, 4 000 rendez-vous d’affaires, 200 chargeurs, 5 conférences thématiques…». L’affiche était alléchante. Pendant deux jours, tous se sont attachés à promouvoir le transport fluvial en développant une logique multimodale qui n’oppose pas le maritime au rail ou au fluvial. “River-dating” et “Barge to business” ont réuni une large gamme de compétences parmi lesquelles les transports de tous types, les équipements structurels et infra-structurels logistiques, les technologies des systèmes d’information et des réseaux, et les immanquables solutions “durables”.