Entreprises
Face aux crises, les entreprises mosellanes doivent anticiper leurs difficultés
L’année 2021 aura vu un nombre de défaillances d’entreprises exceptionnellement bas en Moselle. Cette tendance va-t-elle perdurer ou se retourner ? Quid de la crise ukrainienne à l’heure où l’économie porte encore les stigmates de celle de la Covid-19 ? La récente étude des cabinets AU Group et EY donnent quelques pistes intéressantes qu’il sera utile de mesurer dans le contexte des évolutions à venir.
330. C’est le nombre de défaillances d’entreprises en Moselle l’an passé. Cette donnée correspond au cumul brut glissant sur douze mois de novembre 2020 à décembre 2021. Un chiffre bas jamais vu depuis le début des années 90, qui venait après le précédent record de 2020 (393). On le sait, le tentaculaire plan de relance a tout à la fois sauvé d’un destin funeste nombre d’entreprises, et, en corollaire, placé une bonne partie de notre économie sous assistance. Le fameux «quoi qu’il en coûte ».
Les conséquences de la guerre en Ukraine
Dans le département, si l’on prend en compte la même période de temps, on mesure l’anormalité de ce chiffre quand on le compare à ceux des années antérieures : 713 défaillances en 2019, 677 en 2018, 704 en 2017, 843 en 2016 et 862 en 2015. Si l’économie a bien repris de la vigueur, le contexte actuel laisse planer tout de même pléthore de doutes. Dès lors, on peut s’interroger. Quid des défaillances d’entreprises en 2022 ? En cela, l’enquête rendue publique ces derniers jours par AU Group, courtier-conseil en garantie et financement du poste client, et EY, leader mondial de l’audit, du conseil, de la fiscalité, du droit et des transactions, est instructive. À peine remise de la pandémie de la Covid-19, l’économie française va être pénalisée par la guerre en Ukraine qui devrait ralentir la croissance tout en accélérant la hausse des prix. Cette croissance française serait amputée en 2022 de 0,5 à 1,1 point de pourcentage par rapport à ce qui se serait produit sans le conflit, a estimé la Banque de France. Le produit intérieur brut (PIB) français progressera de 3,4 % si le prix du pétrole s’établit en moyenne sur l’année à 93 dollars, mais de seulement 2,8 % si ce prix atteint 119 dollars. Sans la guerre, la croissance aurait été de 3,9 %, estiment les économistes de la banque centrale.
L'instabilité des temps présents met à mal bien des process économiques.
Un lot d'incertitudes bien réel
«En 2021, nous avons constaté une baisse continue du nombre de défaillances en France avec seulement 28 000 procédures collectives enclenchées. Un chiffre en baisse de 45 % par rapport à l’année 2019. Les aides fournies par l’État pendant la crise de la Covid-19 ont notamment permis de maintenir à flot les entreprises durant cette période. Toutefois, le remboursement des PGE arrive à échéance et le contexte géopolitique instable vient tout bouleverser ! La pénurie de matières premières et l’augmentation de leurs coûts vont entraîner un effet domino qui va inévitablement entraîner une hausse forte de ces défaillances en 2022», explique Baudouin de Thoré, directeur général AU Group. «Si le «quoi qu’il en coûte» a été salvateur pour bon nombre d’entreprises françaises, le conflit ukrainien va considérablement fragiliser les entreprises qui se sont maintenues jusque-là grâce aux aides fournies par l’État. Ces dernières risquent de difficilement faire face au remboursement de leur PGE, tout en devant absorber les effets pervers que ce conflit va imposer. Pour les secteurs de l’automobile, du BTP, de l’agroalimentaire et de l’aéronautique notamment, cela représente beaucoup d’incertitudes !», poursuit Guillaume Cornu, responsable de l’activité Restructuring chez EY.
Un effet de rattrapage logique
Pendant la crise Covid, ce sont les services qui avaient été les plus touchés. Cette fois-ci, ce serait l’industrie qui se trouverait la plus impactée. Avant la guerre, elle avait déjà des difficultés d’approvisionnement liés à la circulation des matières premières qui devaient se dissiper en 2022. On estime que les PME et PMI seront les plus impactées malgré les premiers gestes du plan de résilience annoncé par le Premier ministre le 16 mars dernier pour soutenir les entreprises. Ce plan de résilience comprend des mesures qui doivent - à court terme - limiter les impacts sur les entreprises dans les secteurs de l’agriculture, du transport, de la pêche, du BTP… À long terme, l'État français souhaite renforcer sa souveraineté énergétique, industrielle et alimentaire avec son plan de résilience, un plan européen et évolutif. Les experts interrogés dans cette étude s’accordent à dire que le niveau actuel des défaillances en 2021 ne peut pas refléter le fonctionnement normal d’une économie en sortie de crise Covid et qu’il est nécessaire pour certains entrepreneurs de revoir leurs business models. Avec 28 000 procédures collectives réalisées en 2021 soit - 45 % par rapport à 2019. Une augmentation des dossiers en prévention et conciliation constatée dans les premiers mois de l’année 2022. Pendant la crise, de nombreuses entreprises sont parvenues à réduire leurs coûts et améliorer leur trésorerie, grâce aux mesures prises par le gouvernement. Une hausse des défaillances est à prévoir en cette sortie de crise et face aux tensions géopolitiques actuelles.
L'État en mode vigilance
Selon Maxime Lemerle - Head of Sector and Insolvency Research chez Euler Hermes, «dès 2022, nous prévoyons 40 000 défaillances en France (+40 % par rapport à 2021), et un retour aux alentours de 50 000 défaillances à partir de 2023.» «D’une part, la reprise économique devrait se prolonger mais également se normaliser, avec une hausse de PIB plus modérée, les tensions sur l’offre déjà à l’œuvre fin 2021, notamment les pénuries et hausses de coûts de matières premières, d’énergie et de composants électroniques, les difficultés de recrutement et les problèmes d’approvisionnement, avec les envolées des coûts de transport, risquent de persister en 2022», continue Maxime Lemerle. Autant de sources de tensions sur le BFR et la trésorerie, et de risque de retards de paiement - notamment dans les secteurs plus en peine à retrouver leurs niveaux d’activité d’avant crise -. L’État se tient prêt en cas de besoin à faire face à une remontée en flèche des défaillances d’entreprises. 2020 et 2021 auront été des années exceptionnelles avec un niveau de défaillances en forte baisse par rapport à 2019. Dès le début de la crise sanitaire, la stratégie du gouvernement a été d’agir vite et fort en soutenant l’économie à travers l’activité partielle, les prêts garantis par l’État (près de 700 000 entreprises y ont eu recours), les reports de charges fiscales et sociales ou le fonds de solidarité. En 2021 et pour faire face aux dernières vagues de la Covid-19, le gouvernement a permis de reporter les premières échéances de remboursement des PGE jusqu’à juin 2022.
Anticiper ses difficultés est souvent une solution salvatrice.
Des entreprises plus menacées que d'autres
Selon Guillaume Cadiou, délégué interministériel aux restructurations d’entreprises, «une probable remontée des défaillances est à prévoir. Elles ont d’ailleurs progressé en décembre 2021. La question est plutôt de savoir à quel rythme. Mais, quoi qu’il advienne, l’État sera prêt à y faire face.» Sur l’année 2021, il a été observé une réduction continue du nombre de défaillances avec quelques dossiers de place en procédure de sauvegarde et inversement, une activité très intense en amiable. Confidentiel ainsi qu’en conciliation. Cette situation s’explique principalement par le traitement de la crise via la dette (reports de charges sociales et PGE). Pour Hélène Bourbouloux, administratrice judiciaire, associée gérante chez FHB, «les fonds propres des entreprises françaises étaient déjà insuffisants avant la Covid. Ils seront donc encore davantage dégradés en sortie de crise.» Un rééquilibrage des défaillances est à anticiper pour les entreprises déjà en quasi-arrêt d’activité ou surendettées. «J’anticipe également que la tendance observée sur les procédures amiables se poursuivra, et ce d’autant plus que la conciliation est utilisée soit pour une technicalité d’aménagement du PGE, soit pour un réaménagement global des dettes, soit enfin pour sécuriser les opérations de M&A qui permettraient de renforcer les fonds propres des sociétés françaises», précise Hélène Bourbouloux.
Les fonds propres des entreprises hexagonales demeurent encore fragiles.
Remettre de l'ordre dans l'économie
94 % des défaillances constatées en 2021 concernent des sociétés de moins de 10 salariés qui ne sont pour la plupart pas entourées de conseils. Dans ce contexte, les défis de demain sont notamment de financer les investissements pour sécuriser la compétitivité des entreprises françaises à l’international et pourquoi pas envisager des concentrations sectorielles, qui permettaient de renforcer les fonds propres des entreprises fragilisées tout en préservant la souveraineté nationale. On rappellera que le PGE concerne près de 700 000 entreprises en France pour 143 Mds € prêtés à ce jour. Plus de 17 000 entreprises lorraines ont contacté un PGE pour un montant avoisinant les 3 Mds €. En Moselle, ce sont quelque 8 000 entités qui ont pris ce chemin pour un montant dépassant le milliard d’euros. Face à une situation économique incertaine, quelles conséquences à court terme pour nombre de TPE et PME locales ? En la matière, le mot d’ordre vers les entreprises des tribunaux de commerce est «anticiper». Anticiper leurs difficultés pour ouvrir des procédures à l’amiable.
«Pas de signe d'une vague de faillites à venir», selon la Banque de France
La note conjoncturelle de février de la Banque de France montre une légère augmentation sur un an des défaillances en France : 28 765 entre mars 2021 et février 2022. Soit + 2 %. Globalement, ce nombre reste à un niveau bas par rapport aux années précédentes. Malgré l’interruption progressive des dispositifs de soutien - une partie des mesures étant reconduites dans le plan de sortie de crise , les chiffres de défaillances en ce début 2022 demeurent très inférieures à celles observées en 2019 et 2020. Il n’y pas pour l’heure de signe d’une vague de faillites à venir. Même si une augmentation s’observe dans le transport (+ 16,1 %), la construction (+ 14,8 %) et l’agriculture (+ 9,8 %). Sur un an, l’hébergement et la restauration (- 19,3 %) et l’enseignement, la santé, l’action sociale et les services aux ménages (- 10,3 %) enregistrent une baisse des défaillances sur un an.