Exilés en 1985, le mobilier du salon a retraversé l’Atlantique

Paul-Hervé Parsy, à droite, et Philippe Charron examine chaque détail.
Paul-Hervé Parsy, à droite, et Philippe Charron examine chaque détail.

Au hasard d’une vente chez Sotheby’s, une partie du mobilier d’origine a été racheté par le Centre des monuments nationaux, complétant la restauration de la villa de Croix. Un retour plus que symbolique. 

 

Les meubles dessinés par Mallet-Stevens pour la villa Cavrois à Croix étaient des unicum. Contrairement au mobilier dessiné par Le Corbusier ou Charlotte Perriand et décliné à échelle industrielle, chaque œuvre de Mallet-Stevens n’a existé qu’à un seul exemplaire. Il importait donc que les meubles dispersés de la villa Cavrois fussent retrouvés. Leur unicité les a sauvés, car on ne se défait pas d’un meuble unique d’un tel niveau sans que cela laisse des traces. Ils partent rarement à la braderie. En l’espèce, ils avaient été vendus, déjà par Sotheby’s, à Monaco en 1985.

En effet, la villa de Mallet-Stevens est ce que l’on appelle une œuvre globale. L’architecte y a dessiné les murs et les façades, les poignées de porte ou les interrupteurs, les meubles par destination − c’est-à-dire tout ce qui est fixé au mur : tablettes, canapé ou miroir. Il avait aussi dessiné chaque meuble mobile : tables, chaises, fauteuils, jusqu’aux tapis. Hélas ! tout cela a été dispersé. Ce qui n’a pas été vendu a été détruit.

Pas de faux. Lors de la restauration, le parti a été pris de recréer tout ce qui fait partie du bâtiment, comme les bibliothèques et les banquettes sans lesquels les murs eussent parus désespérément vides et dépourvus de sens. En revanche, les restaurateurs se sont refusés à faire des faux pour les meubles meublants. Donc, depuis que la restauration a été achevée, tous sont en piste pour récupérer les meubles dont on sait qu’ils ont simplement changé de propriétaires, faisant une croix sur ceux dont la destruction est attestée, comme la grande table de la salle à manger.

Depuis qu’il est administrateur de la villa de Croix, Paul-Hervé Parsy piste le mobilier évaporé. Il savait exactement quandles meubles étaient partis sans laisser vraiment d’adresse outre-Atlantique. Alors, sur le renseignement d’un indic de l’association des Amis de la villa Cavrois, le détective a appris qu’une partie du mobilier avait réapparu en vente publique chez Sotheby’s à New York. Il n’eut de cesse que de le voir revenir à Croix. Le Centre des monuments nationaux, bras armé de l’Etat et propriétaire et gestionnaire de la villa, ne fut pas difficile à convaincre. Quoi de plus triste qu’une maison vide aussi bien restaurée soit-elle ? Quoi de plus triste qu’une œuvre d’art amputée ? Sans son mobilier, la villa Cavrois était les deux à la fois.

 

Coup de poker. On ne tergiversa pas longtemps. Paul-Hervé Parsy partit à New York, en acheteur masqué, pour enchérir. Il raconte avec délice comment il fut propriétaire éphémère, puisque stratégiquement il n’avait pas révélé pour qui il enchérissait. Les meubles étaient en parfait état et leur authenticité garantie. Les tables formaient le premier lot. En fin stratège, Paul-Hervé Parsy “monta sur les table” pour décourager les autres enchérisseurs. En fait, ils n’était que deux amateurs. Devant sa détermination, l’autre capitula : “Il a montré une hésitation de dix secondes, alors je n’ai pas hésité.” La démarche a été couronnée de succès, car ensuite les chaises et fauteuils ne lui furent pas disputés : “Sans les tables, cela ne valait plus rien pour un marchand.

Il eut donc le bonheur d’emporter le tout pour 230 000 €, frais compris, soit 185 000 sous le marteau, une somme financée par le fonds d’acquisition du ministère de la Culture qui réagit très rapidement à sa demande.

Achetés le 16 décembre, les meubles ont mis trois mois pour arriver, dans un emballage qui eût pu contenir du cristal. Au déballage, Paul-Hervé Parsy, tablette à la main, et Philippe Charron, directeur adjoint cu CMN, vérifièrent chaque détail sur la foi du film tourné sur place lors de la vente. Il a ainsi redécouvert un exceptionnel travail d’ébénisterie en noyer blond, dont chaque détail comme la hauteur et le rythme des plateaux, la forme des pieds, répondent aux éléments fixés dans les murs et reconstitués d’après photo, apportant une preuve que les restaurateurs de la villa ne se sont pas trompés.

Reste maintenant à retrouver ce qui manque encore, comme les tapis qui sont peut-être dans la Métropole, à l’insu de leurs propriétaires qui ignorent peut-être qu’ils marchent sur du Mallet-Stevens. De quoi aiguiser encore l’appétit des visiteurs au nombre de 120 000 depuis l’ouverture le 13 juin dernier et qui auront une raison de revenir avec l’exposition “Etat de sièges” qui commence le 16 avril pour s’achever le 11 juin.

D.R.

Paul-Hervé Parsy, à droite, et Philippe Charron examinent chaque détail.