Etat et mutations des agences de développement économique
"Etat des lieux et perspectives" : l'étude réalisée par la Fédération des agences de développement économique est soutenue par le cabinet Katalys et SCNF développement.
C’est une étude que doivent lire et relire les dirigeants des agences territoriales de développement économique. Réalisée par le CNER, le cabinet Katalys et SNCF développement, elle met en lumière en 68 pages le rôle, la nature, les périmètres et les perspectives des agences de développement économique en France. Pascal Allizard, président du CNER, introduit le sujet en posant trois grands objectifs de l’étude. Ainsi, il est nécessaire de «dégager une typologie des agences qui agissent sur des périmètres différents». En effet, «au fur et à mesure des étapes de mon tour de France (…), j’ai pu constater que les agences ne se connaissaient pas entre elles aussi bien qu’on pouvait le croire. Connaissance des hommes et des équipes mais pas nécessairement de leurs actions et de leurs rôles exacts, a fortiori de leurs dernières évolutions. De même, les personnes extérieures à notre réseau, bien qu’évoluant dans le domaine du développement économique, véhiculaient parfois certaines idées reçues sur les agences : celles-ci ne feraient que de l’exogène et se désintéresseraient des entreprises déjà implantées sur leur territoire ; elles ne collaboreraient pas entre elles ; les entreprises n’en seraient pas parties prenantes ; elles ne seraient pas partenariales, etc.» La seconde observation réside dans l’évolution des agences avec de nouvelles contraintes amenant ces actrices territoriales à se remettre en question : «rapprochements, conventionnements, voire fusion avec d’autres acteurs ; élargissement de leur périmètre d’action ou recentrage sur un cœur de métier ; commercialisation de services : autant de pistes que les agences, ici et là, explorent actuellement. Le besoin de recenser ces expérimentations de tout ordre et de les discuter s’est vite imposé», explique Pascal Allizard. Troisième point, les futurs scénarios à l’épreuve des expériences des directeurs d’agence comme des élus des territoires, sans aucun esprit de systématisation des solutions. Brigitte Foulliand, professeur à Science-Po Paris, responsable des masters stratégies territoriales et urbaines, a planché sur le développement économique et la nécessité de «passer à la vitesse supérieure» dans la première partie de l’étude.
La crise responsable du changement. D’abord un constat : les territoires sont inégaux devant la mondialisation. Tout n’est pas noir et la France peut constater que ça marche un peu partout dans le monde : Randstadt, Manchester, Glasgow, Medellin ou Bangkok… Ensuite, «aller au-delà des bonnes pratiques» en s’appuyant sur l’internationalisation. «Les comparaisons doivent nous aider à chercher de vraies sources de réflexion de fond, incitant à développer une nouvelle pensée du territoire, approfondie et appropriée, mais aussi à réfléchir sur les instruments mis en œuvre plus que sur les résultats.» La chercheuse attribue les difficultés des territoires à «l’interruption des circuits de financement» qui a «engendré des mécanismes de marché incontrôlé». Les territoires «n’ont pu s’inscrire dans ce nouvel univers», plaide Brigitte Foulliand. Les politiques publiques normatives et contraintes qui se sont incarnées dans les contrats et le rôle de l’Europe ont transformé les agences qui ont dû élargir leur gouvernance au tissu local d’acteurs. Enfin, la professionnalisation est devenu incontournable quoique pas toujours pertinente, comme «la multiplication de consultants spécialisés dans le conseil au montage de dossiers, d’agents de développement, etc., qui sont de plus en plus recrutés et formés pour répondre à ces politiques-là, ce qui a aussi pour effet de diffuser une même façon de procéder sur tous les territoires similaires en France et en Europe». Ainsi, les territoires veulent les mêmes équipements (parfois à 30 km de distance), investissent les mêmes secteurs économiques (souvent le tourisme) et érigent le sport en attraction pour les nouveaux habitants…
Identité, organisation. Autre nouveauté récente dans les territoires à développer, la compétition prend le pas sur la collaboration. La diffusion de la norme du marché à tous les niveaux de l’action publique s’est traduite «par des dispositifs, certes impulsés (appels d’offres, etc.), mais mettant les territoires en concurrence. Gilles Pinson (2009, 2012) montre que la différenciation des territoires s’inscrit comme une ‹figure imposée› dans l’ère postfordiste de développement de l’économie de marché. Les territoires deviennent compétitifs et, de manière incontournable, il leur faut se particulariser par rapport aux concurrents. Certaines politiques de marque déployées par les villes en sont la trace : de ‹Only Lyon› à ‹I love NY-Nancy›, le marketing est un outil de cette différenciation». Mieux, le souci d’identité est devenu une marque propre censée incarner une nouvelle attractivité. «La constitution d’une idéologie propre à chaque territoire» tient lieu d’argument ultime : «L’effet localité est renforcé par le cadre institutionnel qui, aujourd’hui, le forme et assure sa représentation municipale, cantonale, départementale, régionale. Il a également parfois été amplifié par les facteurs culturels de l’identité, à travers des politiques spécifiques de promotion de ses particularités gastronomiques, musicales ou sportives. Le territoire produit donc une vision de la société, des valeurs qui influent sur l’action publique. Ainsi les territoires sont-ils de plus en plus légitimes dans l’élaboration de leur propre schéma de développement. Reste à savoir s’ils sont pour autant plus efficaces.» Un postulat que l’on pourrait résumer comme suit : les entreprises viendront chez nous parce que nous sommes différents des autres. On peut naturellement en douter. D’autres problématiques résident dans les questions d’échelle et de portage des actions : qui, de l’Intercommunalité, du Pays, du Département, de la Région, est l’échelon le plus opportun pour la compétence développement économique ? Une question qui reste encore en suspens avant la réalisation des fusion des EPCI et la prochaine réforme des collectivités. Côté gouvernance, ce sont les territoires qui savent le mieux animer les réseaux de leurs acteurs qui sont les plus performants. De plus, les limites administratives de leurs périmètres n’existent plus que pour les services préfectoraux. Les territoires qui ne le font pas déjà prennent du retard sur les autres qui savent se jouer des frontières.
En Nord-Pas-de-Calais. Seconde partie de l’étude, l’approche historique permet de mieux comprendre d’où viennent et comment fonctionnent les agences. Tout a changé depuis l’apparition des agences dans les années cinquante. A l’époque, le Plan régit tout ; la puissance publique décide et le monde économique suit. Trente ans plus tard, la déconcentration des services de l’Etat modifie substantiellement le paysage national. Les réformes successives comme la décentralisation des années quatre-vingt, la suppression de la taxe professionnelle qui modifie le lien entre territoire et investissement, la récente réforme des chambres de commerce, les contraintes budgétaires fortes qui accentuent l’incertitude, l’apparition de nouveaux dispositifs dans les politiques publiques (technopoles, pôles de compétitivité, de compétences, d’excellence…) changent radicalement la carte des acteurs du soutien à l’économie territoriale. Cécile Collot, consultante manager chez Katalys, a choisi quelques régions types, dont le Nord-Pas-de-Calais. La région a été touchée de plein fouet par une crise industrielle «qui a fragilisé son tissu économique». La mutation vers le tertiaire s’est accélérée mais son dynamisme est «en retrait par rapport à la tendance nationale». Lille et Valenciennes semblent s’en sortir mieux que les autres territoires. Pour autant, «l’action économique est fortement structurée au niveau régional. Ainsi, le Schéma régional de développement économique (SRDE) est établi par une conférence permanente de 250 personnes représentant l’ensemble des acteurs socio-économiques de la région, et décliné au niveau local via des Projets locaux de développement économique (PLDE). De même, l’agence régionale de développement, Nord France invest (NFI), qui se consacre aux actions de développement exogène, dispose d’une gouvernance originale intégrant, outre ses financeurs, des représentants des quatre grands territoires régionaux (Artois, Grand-Lille, Côte d’Opale et Hainaut-Cambrésis). Ce fonctionnement régionalisé est facilité par la faible présence des départements dans le domaine du développement économique. Enfin, les CCI sont fortement impliquées dans les agences de développement, au premier chef financièrement : elles sont en effet cofinanceurs à 20-25% de toutes les agences. Mais cette implication va plus loin : CCI et agences se sont réparti les missions, les actions de développement endogène étant du ressort des CCI tandis que les agences se concentrent exclusivement sur des actions de développement exogène.» Gouvernance, répartition des rôles et volontarisme des acteurs publics et privés pourraient donner la bonne formule pour une réussite qui se fait (encore) attendre.
Le futur des agences. Les relations partenariales sont cruciales dans la gouvernance des agences. Il convient d’éliminer tout esprit partisan pour ne s’attacher qu’à la sacro-sainte efficience. Les agences l’ont compris et sont perçues comme «neutres» par l’étude. «De manière générale, les agences ont des relations globalement sereines avec leur principal financeur − Conseil régional, général ou intercommunal. Il semble qu’une relation de confiance s’établisse au fil du temps entre ces acteurs, et permette une répartition des rôles : si l’agence peut être force de proposition, elle reste un opérateur de la collectivité et met en œuvre une stratégie définie par le pouvoir politique.» Il n’en demeure pas moins qu’elles devront s’interroger sur leur statut ultérieur qui serait inéluctablement modifié dans le cadre d’une réforme des collectivités territoriales (et consulaires) et de leurs compétences respectives. Les CCI régionalisées deviendront-elles les super agences de développement économique avec des antennes territoriales ? La question reste ouverte.