Entrer dans la carrière quand les aînés n’y sont plus

Créer son entreprise ou engager une nouvelle carrière à l’âge habituel de la retraite : la double expérience de Jean-Jacques Baillon et Philippe Toussaint.

Philippe Toussaint, heureux de travailler pour une société nordiste, se fixera dans la région l’heure venue.
Philippe Toussaint, heureux de travailler pour une société nordiste, se fixera dans la région l’heure venue.

Aux tournants de la vie, on peut se poser des questions existentielles, avoir envie de changements. A la soixantaine, pour certains, changer de vie c’est dételer au plus vite, pour d’autres enfourcher un nouveau cheval.

A cette étape, la même envie a traversé l’esprit de Jean-Jacques Baillon et de Philippe Toussaint, mais surtout pas celle d’arrêter. Point étonnant qu’ils fussent amenés à se rencontrer. Jean-Jacques Baillon − les lecteurs de La Gazette le connaissent − a décidé à l’heure de la retraite de créer son cabinet de recrutement, Cap évolution, un cabinet pas tout à fait comme les autres.

Il poursuit son activité de conseil en recrutement, son métier de chasseur de têtes, à son rythme, à voilure réduite mais fidèle à ses valeurs, avec le luxe de pouvoir choisir ses clients.

Avec le luxe aussi de pouvoir passer beaucoup de temps avec les candidats pour trouver la meilleure adéquation comme avec Philippe Toussaint.

Forcer le hasard. Rien ne devait les faire se rencontrer sinon un coup d’audace. Philippe Toussaint était en Afrique, loin de tout, surtout de Lesaffre qui cherchait précisément quelqu’un pour l’Afrique australe et avait confié le recrutement à Jean-Jacques Baillon.

Un soir, au bar d’un hôtel, Philippe Toussaint, d’un naturel communicant, un atout dans son métier de commercial, aborde un quidam. La conversation lui apprend que Lesaffre, où travaille cet interlocuteur du soir, cherche un profil dans lequel Philippe Toussaint se reconnaît. Faisant fi de son âge (58 ans), d’ordinaire barrière infranchissable, il envoie CV et lettre de motivation, un courrier que Lesaffre n’écarte pas d’emblée d’un revers de manche mais transmet à Jean-Jacques Baillon.

Réflexe professionnel et fidélité à ses principes, Jean-Jacques Baillon se dit que ce candidat hors normes mérite d’être entendu. Il le convoque et le courant passe. «Je l’ai reçu, il m’a surpris dans un entretien passionnant de deux heures et demie. Il m’a passionné et j’ai décidé de le présenter.»

Puis il a essayé de convaincre Lesaffre qui s’est montré ouvert à l’idée d’embaucher un presque senior. «Il a su se vendre et démontrer autre chose, surtout qu’un candidat de 58 ans n’est pas foutu s’il exprime une passion. C’est un message aux gens qui doutent et aux entreprises braves qui croient qu’à 58 ans, les gens ont encore un espoir.»

Recruter autrement. Même son de cloche chez Philippe Toussaint. «J’ai envoyé mon CV et j’ai été convoqué par Jean-Jacques Baillon, un cabinet hors normes qui n’a pas peur de présenter des gens hors normes. Il faut se sentir bien dans sa peau, physiquement et psychologiquement.»

Bien dans sa peau, ce natif de La Louvière en Belgique, qui parle français, néerlandais  et même maintenant l’afrikaner avec l’accent du Westhoek, l’est assurément.

Fort d’une longue carrière à l’international, il est passionné de l’Afrique. Chez Lesaffre, il a trouvé de quoi alimenter sa passion dans un défi : «Je voulais un métier dans le commercial de terrain. L’Afrique me passionnait et j’ai repris en main l’Afrique de l’ouest, l’Afrique australe et l’Océan indien, là où Lesaffre n’est pas présent. J’ai la chance de développer et de voir les résultats à court terme. C’est de la chance mais je crois que tout est possible. C’est aussi un plaisir pour moi d’introduire Lesaffre en Afrique du Sud et australe. J’aurai apporté ma pierre. C’est quelque chose d’exceptionnel, une chance d’avoir un job aussi important.»

Pour autant, tout n’aurait pas été aussi évident dans d’autres circonstances ou avec d’autres partenaires comme le raconte Jean-Jacques Baillon : «Lesaffre m’avait donné cette mission de trouver quelqu’un pour l’Afrique australe et c’est Lesaffre toujours qui m’a transmis son CV. Je me suis dit qu’il valait le coup d’être rencontré. Il m’a passionné et j’ai décidé de le présenter. Ensuite j’ai essayé de convaincre Lesaffre ouvert à cette opportunité et qui, aujourd’hui, s’en félicite malgré la prise de risques.»

Nouvelles découvertes. Il voit cela comme un message aux gens qui doutent. Philippe Toussaint, lui, ne doute pas. Sa carrière en dit long sur ses facultés d’adaptation mais aussi sa détermination à évoluer et à développer un panel de capacités, du tourisme à la vente en passant par le management, mais avec toujours en point de mire les voyages et l’Afrique. Aujourd’hui, ce nouveau défi le stimule au point qu’il n’envisage pas la perspective d’arrêter, comme Lesaffre n’envisage pas l’éventualité de le voir partir. «J’ai été heureux dans pas mal de jobs mais Lesaffre est une société fabuleuse dans le marché porteur du pain. Les résultats sont là ; elle peut respecter les individus. Le climat est tout à fait sain. J’espère aider Lesaffre. C’est un plaisir de l’introduire en Afrique du Sud. J’espère apporter ma pierre à l’édifice

D’autant que chez Philippe Toussaint, cette décision venait de loin car mal dans sa peau chez un précédent employeur, il a commencé de chercher en 2007, en coïncidence avec le début de la crise. Ce n’est donc pas aujourd’hui qu’il songe à la retraite, d’autant moins qu’il se sent bien dans le nord de la France, au sud de son pays natal où travaille toujours son épouse. Aujourd’hui, il savoure : «C’est de la chance mais je crois que tout est possible. Certes, c’est difficile, en particulier pour les seniors, mais si l’on est bien dans sa peau, que l’on multiplie les occasions, les miracles se produisent. Je n’ai pas envie d’être en retraite. Me manqueraient les voyages. C’est fabuleux de découvrir des continents nouveaux, des pays, des gens … Des gens paient pour cela et moi on me paie. Ce métier est passionnant.»

Du changement dans l’air. La même passion anime Jean-Jacques Baillon qui a créé Cap évolution pour justement pratiquer le recrutement autrement et qui voit chez Philippe Toussaint un cas d’école. «La tranche d’âge recherchée est 32-40 ans mais il faut changer les critères. Maintenant les CV sont déconstruits, il y a des trous, or les employeurs les lisent toujours comme dans le temps. Il y a de la suspicion sans arrêt. On n’essaie pas de comprendre. Les recruteurs vont changer. C’est scandaleux, en effet, de faire venir les gens de loin pour ne les recevoir qu’un quart d’heure. Cette approche a à voir avec l’humain. Il faut des discours différents. La prochaine fois, Lesaffre regardera moins à deux fois pour prendre des gens de 55 ans.»

Et  Philippe Toussaint de conclure : «Pourquoi ne pas continuer à prendre des gens de mon âge ? J’apporte une certaine sérénité. Je ne suis pas perçu comme un concurrent. J’ai moi-même une expérience du management. Le senior est content d’avoir un job. Il est fidèle à la société et a pas mal de temps à consacrer à son travail. Beaucoup de gens vivent dans l’angoisse quand ils se rendent au travail. Avec l’âge, on n’a plus ces soucis-là.»

 

 

Encadré

 

Prêcher par l’exemple

 

Si, âgé de 63 ans, Jean-Jacques Baillon est officiellement en retraite depuis quatre ans, il a choisi de continuer son activité mais à un rythme différent après avoir créé Cap évolution en 2008 en couronnement d’une carrière de 43 ans qu’il a menée sur plusieurs fronts, dont 22 ans déjà à son compte à la tête de MGI consultants créé en 1990, «à 40 ans». Ce conseiller en RH se définit comme un autodidacte après une formation d’ingénieur au Cnam.

Après avoir fait de MGI un leader dans le recrutement pour l’industrie avec dix salariés, il l’a revendue en 2005, à 56 ans, pour redevenir salarié dans le groupe Bernard Julhiet qui lui a confié la direction générale du recrutement en France.

D.R.

Jean-Jacques Baillon a multiplié les carrières et n’est pas prêt de cesser la dernière commencée avec la retraite.

Trois ans plus tard, toujours avec sa fidèle assistante Catherine qui le suit depuis 20 ans, il décide de reprendre sa liberté, motivé par un éloignement des clients et le désir de se faire plaisir. Il se définit maintenant dans cette structure de trois personnes «comme un artisan de luxe, sans le stress de nourrir dix à quinze personnes, sans la pression de gérer une société de grande taille mais avec toujours une activité débordante». Et une clientèle fidèle dans toute la France dont son ancien patron et la conviction «d’avoir créé un cabinet original qui gagne de l’argent mais jamais au détriment de l’humain. Je vends des gens, c’est une responsabilité forte. Je suis l’interface entre le client et le candidat».

Alors, comme on l’a vu avec Philippe Tousssaint, il va dans les entreprises et passe beaucoup de temps avec les candidats pour détecter la meilleure adéquation. «Les hommes ne sont pas des clones, il ne faut pas se tromper de candidat et tout mettre en place pour éviter l’erreur.»