Formation : entre priorités et tensions budgétaires...

Après plus d’un an de pandémie, l’écosystème de la formation inter et intra-entreprise de la région a su, pour la grande majorité de ses acteurs, s’adapter. Au développement contraint et forcé du mode distanciel s’ajoute la nécessité d’un ancrage territorial fort, histoire de répondre aux réels besoins en compétences. Du côté des entreprises, si le volet formation s’affiche comme un levier à actionner pour tenter de préparer la future reprise, grâce notamment à la volonté de démocratisation du CPF (Compte personnel de formation), la formation demeure un investissement immatériel. Face au manque actuel de visibilité, elle est loin d’être une priorité pour bon nombre de structures sauf celles ayant les reins solides ou une culture formation déjà ancrée.

La grande question dans la région, comme dans tout l’Hexagone, pour les organismes et professionnels de la formation, est de savoir quel niveau de priorité les entreprises vont-elles accorder à la formation dans les prochains mois.
La grande question dans la région, comme dans tout l’Hexagone, pour les organismes et professionnels de la formation, est de savoir quel niveau de priorité les entreprises vont-elles accorder à la formation dans les prochains mois.

Rapprochement entre le Cnam (Conservatoire national des arts et métiers) en Grand Est et l’Afpa (Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes) histoire de mettre en œuvre des synergies dans une logique de territorialisation. Renforcement et adaptation des cursus de formation des apprentis pour le Pôle Formation UIMM Lorraine en passant par une extension des cursus d’ingénieurs en apprentissage de la part du Cesi École d’ingénieurs sur ses vingt-cinq campus de l’Hexagone ou encore le volet Entrepreneuriat de l’Université de Lorraine via le Peel (Pôle entrepreneuriat étudiant de Lorraine) adapté et boosté. Ces actions, parmi d’autres, ont à peine six mois et rythment actuellement un écosystème de la formation régionale (et nationale) en pleine adaptation aujourd’hui, crise sanitaire oblige. Après avoir connu une mutation générale avec l’entrée en vigueur progressive de la dernière réforme sur la formation professionnelle, il y a deux ans, issue de la loi : «Avenir professionnel» dont les effets n’ont pas fini de se faire sentir, les acteurs de la formation inter et intra-entreprise ont pris, comme l’ensemble de l’écosystème entrepreneurial, la crise sanitaire de plein fouet. «L’adaptation a été plus ou moins rapide selon les organismes mais une chose apparaît certaine, certains ont vu leur modèle, notamment mis en place pour faire face à l’entrée en vigueur de la loi Avenir professionnel, se confirmer», assure un professionnel du secteur. À l’instar de bon nombre de domaines d’activité, la crise sanitaire n’a fait qu’accélérer la chose et renforcer certaines stratégies mises en œuvre.

Changement de paradigme

«Il est nécessaire aujourd’hui de fabriquer notre futur ! Nos métiers évoluent mais notre œil d’accompagnateur et de formateur persiste. La formation professionnelle supérieure des adultes demeure notre ADN mais aujourd’hui, c’est un véritable changement de paradigme qui est à l’œuvre. La pandémie et la crise sanitaire ne font qu’accélérer et confirmer cette évolution», explique un directeur d’un opérateur public de formation. Les deux maîtres-mots affichés de cette mutation en cours : compétences et territoires. «La construction des compétences et leurs évolutions au cours de la vie ne sont pas, ne sont plus, les seuls apanages du monde de l’éducation ou de la formation. Elles doivent mobiliser l’ensemble des parties prenantes territoriales (collectivités, acteurs de la formation, entreprises, les Opérateurs de compétences, les acteurs de l’emploi, les institutions, l’État) dans le repérage et l’analyse des asymétries de compétences comprises, facteurs limitant du développement territorial et l’élaboration des plans d’actions pour y remédier.» Répondre aux besoins réels des acteurs, disons, productifs (les entreprises en somme) des territoires à l’instant T mais surtout tenter d’anticiper les besoins futurs. «Aujourd’hui avec la pandémie de Covid-19 et la crise économique qui en découle, les besoins en compétences ont évolué et les entreprises se voient contraintes de revoir leurs stratégies en matière de formation», constate un acteur régional de la formation professionnelle. «Au début des années 2000, les formations étaient souvent focalisées sur les formations techniques alors qu’aujourd’hui les soft skills (les compétences comportementales) ont toute leur place. Apprendre à apprendre, se former à l’ère du digital , apprendre à faire de la veille, voilà le type de formation aujourd’hui dont ont besoin les salariés. D’autres compétences, à l’image de la créativité, savoir argumenter pour convaincre ou résoudre des problèmes complexes seront également indispensables dans le monde de l’après-crise.» L’après-crise annoncée (reste à savoir quand ?) s’affiche comme l’espoir de nouvelles opportunités pour les professionnels de la formation et notamment pour ceux de la formation continue.

Opportunités et tensions budgétaires

«Les actions de formation servent à retisser les liens entre les salariés. Dans les mois à venir, les entreprises vont devoir ressouder des équipes divisées entre celles épuisées par le télétravail et celles mises en chômage partiel. Les entreprises qui souhaitent recréer le lien entre les équipes assurent que la formation est un moyen d’envoyer un signal fort à leurs employés», assure un professionnel de la formation continue de la place nancéienne. «La crise économique qui se profile va également s’afficher comme une vraie opportunité pour les services de formation continue. Nombre de salariés vont se retrouver dans des plans sociaux. Les demandeurs d’emploi pourraient rebondir très rapidement si nous avons à les prendre en charge pour leur donner les compétences attendues d’un marché du travail qui va changer fortement.» Reste que les tensions budgétaires sont de plus en plus tendues pour bon nombre d’entreprises. «C’est pour cela qu’il faut des formations plus flexibles, plus efficaces et ayant un bon rapport qualité-prix.» L’entrée en fonction, depuis septembre dernier, du CPF (Compte personnel de formation) se veut un des leviers à actionner pour permettre une démocratisation de la formation professionnelle pour l’ensemble des individus, qu’ils soient salariés, demandeurs d’emploi ou encore porteurs de projets de création d’entreprise. «Pour prendre le cas d’une entreprise, à travers le CPF, la décision de se former revient au salarié et non plus à l’employeur. C’est le collaborateur qui est réellement acteur de son besoin de formation. Seulement, les collaborateurs ne réalisent pas toujours les enjeux de développer et d’actualiser leurs compétences», explique une responsable Ressources Humaines. Le contexte actuel devrait, en toute logique, permettre cette prise de conscience. Délicat au quotidien car le volet formation est toujours perçu, par une grande majorité d’entreprises, comme un investissement immatériel. «Et dans la période dans laquelle nous sommes où la visibilité est quasi nulle sur les perspectives d’évolution de l’activité des entreprises, elles préfèrent se consacrer sur d’autres priorités que la formation de leurs collaborateurs.» Vivement que le brouillard de dissipe.

CPF : l’interrogation...

CPF pour Compte personnel de formation ! Mis en place en septembre dernier et fruit de la réforme de la loi «Avenir Professionnel», il permet au salarié d’acquérir des droits à la formation mobilisables tout au long de sa vie professionnelle non plus en heures mais en euros (500 euros par an, le CFP pouvant être également abondé par l’employeur s’il le souhaite). Coût estimé par an pour l’État de cette réforme générale instaurée depuis maintenant deux ans : 12 milliards d’euros par an. Reste que dans le contexte actuel, un trou budgétaire de trois milliards d’euros serait présent (source : Le Parisien du 29 mars). La loi de Finances de 2021 ne permet pas à France Compétences (l’opérateur de l’État et aujourd’hui autorité nationale de financement et de régulation de la formation professionnelle et de l’apprentissage) d’avoir des déficits. Une des pistes avancées pour tenter de combler le trou dans la raquette : l’application d’un ticket modérateur sur l’usage du CPF avec un reste à charge pour le salarié. D’autres pistes seraient également dans les tuyaux comme la baisse de 500 à 400 euros de l’abonnement obligatoire annuel des entreprises ou la diminution de 3 % par an (pendant quatre ans). Une concertation entre l’État et les différentes acteurs et partenaires sociaux devrait se tenir en avant l’été histoire de trouver une solution.