Entre énergie renouvelable et Brexit

Le Premier ministre Édouard Philippe s’est rendu le 15 novembre dernier à Dunkerque, pour y tenir un Comité interministériel de la mer (CIMER), en présence des élus locaux et des acteurs économiques. Accompagné d’une dizaine de ministres et secrétaires d’Etat, il a visité quelques infrastructures, annoncé une stratégie maritime nationale, s’est exprimé sur le Brexit et a relancé le projet de construction d’un parc éolien au large de Dunkerque.

Le Premier ministre Edouard Philippe avec Stéphane Raison, président du directoire du Grand Port maritime de Dunkerque.
Le Premier ministre Edouard Philippe avec Stéphane Raison, président du directoire du Grand Port maritime de Dunkerque.

Chargée… La journée d’Édouard Philippe a commencé tôt dans les locaux du Grand Port maritime (GPM). Le Premier ministre a souligné l’actualité du Brexit au moment où la Première ministre britannique Theresa May se trouve dans une tempête parlementaire et gouvernementale qui augure mal d’une sortie en douceur de l’Union européenne. «Rien ne nous permet à ce stade de savoir si un accord des négociateurs sera adopté», a-t-il déclaré, soulignant les ratifications ultérieures nécessaires partout en Europe. «Il faut nous préparer à une sortie (…) sans accord. Et la France sera prête.» Avec de nouvelles formalités de contrôle, de nouveaux équipements et de nouveaux agents pour fluidifier un trafic qui pourrait être perturbé. De quelle ampleur ? «Il est à craindre que, globalement, le Brexit amenuise les flux entre la Grande-Bretagne et la Côte d’Opale», explique François Soulet de Brugière, président du conseil de surveillance du GPM. Depuis l’estrade d’une salle du pavillon des Maquettes, Édouard Philippe enchaîne les annonces anticipant le Brexit, notamment en cas de non-accord : «Nous avons défini 220 mesures à prendre d’ici le 29 mars. Nous avons commencé à recruter des douaniers (200 pour Calais et Dunkerque selon Gérald Darmanin, ministre des Comptes publics, en septembre dernier) et des contrôleurs vétérinaires.»

Établir une doctrine fiscale “claire et harmonisée

A Dunkerque, les trafics portuaires représentent 3 millions de passagers et 700 000 camions vers la Grande-Bretagne. Aussi, de nouveaux espaces de parking ont vu le jour à Loon-Plage ; le réseau des voiries a été totalement rénové et le port Ouest s’est doté d’éclairages afin de mieux localiser les passages clandestins de migrants. Le Premier ministre a aussi annoncé un éclaircissement fiscal : «D’ici 2019, nous établirons une doctrine fiscale claire et harmonisée pour préciser les biens qui sont ou non soumis à la taxe foncière. Il nous faut simplifier la méthodologie de calcul de cette taxe (par exemple dans la prise en compte des quais dans la détermination de la taxe foncière). C’est une attente des portuaires que je peux comprendre.» Le fonctionnement des ports pourrait être accompagné par un retour financier de l’Etat comme le laissent supposer les propos du Premier ministre. Concernant le dragage, l’engagement de compensation des coûts par l’Etat pris en 2016 n’a pas été tenu selon Edouard Philippe : «Le gouvernement multipliera par 3 les crédits en 2019 par rapport à 2016», a t-il annoncé. De manière générale, l’Etat prendra «progressivement» en charge toutes ses fonctions régaliennes (capitainerie, sûreté, ou encore gestion des réserves naturelles), jusqu’à hauteur de 75% du total de ces coûts.

Pousser à une meilleure concertation portuaire et ferroviaire

Le système portuaire des Hauts-de-France est d’une importance considérable et constitue l’axe Nord : «Des trois axes (avec la vallée de la Seine et l’axe Rhône-Méditerranée), c’est celui où la coopération entre les ports est la plus nécessaire et la plus perfectible», a-t-il souligné. Et d’encourager une meilleure concertation entre les acteurs du transmanche : «Avant la fin de l’année, nous allons créer un conseil de coordination interportuaire qui associera les ports maritimes et les principaux ports intérieurs, ainsi qu’Eurotunnel. L’idée est d’avoir un dialogue permanent des ports au niveau des questions de sécurité et du suivi des marchandises. Avec le Conseil régional, nous partageons le diagnostic.» Outre les terre-pleins du port Ouest, Stéphane Raison, président du directoire du GPM, résume l’évolution des infrastructures : «On a aménagé la périphérie du terminal et le parking sécurisé a été livré il y a un mois. On travaille sur les aménagements intérieurs avec l’export, à côté des hangars douaniers pour les flux qui vont vers la Grande-Bretagne – c’est 700 000 euros (…) ; et sur la partie importation, la reconfiguration complète d’un parking avec des nouveaux flux de circulation, des bâtiments, des voies de services. Au poste d’inspection frontalier, il y aura des travaux pour 3 millions d’euros, pour être prêt le 30 mars 2019 au cas où il n’y aurait pas d’accord.»

Débarquement de camions au port Ouest de Dunkerque.

Des éoliennes dans le Détroit ?

Durant cette journée, le Premier ministre a assisté à la signature des décisions concluant la renégociation des projets éoliens en mer, par François de Rugy, ministre de la Transition énergétique, approuvant formellement «les offres améliorées des six premiers parcs éoliens off-shore dont les marchés avaient été attribués entre 2012 et 2014 et que nous avons renégociés avant l’été, en partenariat avec les exploitants de ces parcs. (Il s’agit de) mieux prendre en compte les évolutions technologiques et aussi les impératifs qui pèsent sur les finances des Français. L’amélioration des offres qui a été obtenue permet de réduire de près de 16 milliards d’euros le coût des soutiens publics aux parcs sur la totalité de leur exploitation, soit sur les 20 années de leur exploitation». En écho au mouvement des Gilets jaunes du 17 novembre dernier, le Premier ministre annonce vouloir «faire en sorte que le développement des énergies renouvelables ne soit pas incompatible avec le pouvoir d’achat des Français». Quant à la possibilité d’un parc éolien à Dunkerque, dans les années 2000, un projet avait été refusé par la Direction des affaires maritimes car l’établissement des éoliennes aurait perturbé les signaux ondulatoires des radars. Le futur parc devrait avoir une capacité de 500 mégawatts ; dix groupements français et étrangers ont déjà été présélectionnés au printemps 2017, dont EDF et Engie, l’espagnol Iberdrola et le norvégien Statoil. Les investissements dans l’éolien off-shore devraient ainsi représenter 1 milliard d’euros par an pendant vingt ans. Dans quatre mois, on connaîtra les offres ultimes sur les six parcs ; avant l’été, le lauréat sera connu. Pour autant, il faudra attendre plusieurs années avant de voir les pales des éoliennes dissiper le fog du Brexit…

«Le gouvernement multipliera par 3 les crédits en 2019 par rapport à 2016»

Vers une stratégie portuaire nationale

«Alors même que la France est un grand territoire maritime, il n’existe pas de stratégie portuaire nationale» d’après Édouard Philippe. Le Premier ministre, ancien maire du Havre, a dévoilé les perspectives de cette stratégie maritime nationale sur laquelle travaille le gouvernement depuis une année. Basées sur des grands axes portuaires avec la vallée de la Seine (où les ports de Rouen, Le Havre et Paris vont fusionner d’ici le 1er janvier 2021), ou le couloir Rhône-Méditerranée (en intégrant entre autres les ports de Marseille, Nice, Toulon, Sète dans un groupement d’intérêt économique), ces politiques visent à positionner les ports «d’aménageurs à un rôle d’entrepreneur». Souhaitant redéfinir les relations financières entre l’Etat, les collectivités territoriales et les grands ports maritimes, Édouard Philippe a annoncé un nouveau calcul de la taxe foncière portuaire dont l’impact, «important» pour le GPM, se compte en «millions d’euros par an» selon Stéphane Raison, président du directoire du GPM. Impact important quand on sait que le Port de Dunkerque fait 3 000 hectares dont 80% sont vides et n’engendrent donc pas de recettes. Sur les 2 900 hectares du Port, 80% restent vides… Réponse attendue d’Élisabeth Borne, ministre des Transports, dans six mois. Après le Brexit…