En Nouvelle-Calédonie, la "galère" au quotidien d'une tribu cernée par les barrages
Les bras de Kenji Dawano tremblent d'épuisement, mais il ne peut pas lâcher le sac de riz en équilibre sur sa tête. Il a encore de la marche avant d'atteindre son fief indépendantiste de Nouvelle-Calédonie, que...
Les bras de Kenji Dawano tremblent d'épuisement, mais il ne peut pas lâcher le sac de riz en équilibre sur sa tête. Il a encore de la marche avant d'atteindre son fief indépendantiste de Nouvelle-Calédonie, que les forces de l'ordre ont cerné de barrages.
"Ils veulent nous pourrir la vie!", peste le jeune Kanak, une fois passé un premier check-point tenu par des gendarmes, contrôlant sous un chapiteau de fortune les papiers d'identité ainsi que tout ce qui entre et sort de la tribu de Saint-Louis, au sud de Nouméa, qui n'est plus accessible qu'à pied.
Depuis plus de deux mois, les autorités ont coupé cet axe stratégique menant vers le sud de l'île, en raison de l'insécurité sur le tronçon qui longe la forêt abritant la tribu, où deux hommes recherchés ont été tués la semaine dernière par les forces de l'ordre: 12 et 13e victimes des troubles qui secouent l'archipel depuis mai.
Saint-Louis s'est retrouvée isolée. Ses habitants contraints à la débrouille, en transportant leurs courses dans des brouettes ou des caddies sur la route départementale parsemée de quelques banderoles anticolonialistes.
Aller au travail ou à l'école s'est mué en expéditions sur une bande d'arrêt d'urgence.
Sous blocus
"C'est galère. On est contrôlés tout le temps. Même les sacs des enfants, ils les fouillent (pour éviter que des armes n'entrent, NDLR). On en a marre", résume Kenji Dawano, au bord des larmes, devant un nouveau barrage 100 mètres plus loin.
Désormais, des blindés barrent la route, où ont été entassés des sacs de sable marron, pour s'isoler des tirs - souvent à l'arme de chasse - provenant de la zone boisée: plus de 300 ont visé les gendarmes depuis juillet, assure sur place le colonel de gendarmerie Pierre Jaillargeat.
Le terre-plein central menant à la tribu, à 200 mètres en s'enfonçant à travers la végétation, est maculé de grenades de désencerclement usées, stigmates des affrontements qui émaillent cette route, "lieu le plus dangereux de Nouvelle-Calédonie", affirme-t-il.
Les violences sont le fait d'une "bande armée au sein de la tribu", qui a multiplié ces dernières semaines les exactions et les "carjacking", ce qui "nous a contraints à fermer cette route (pour) ne pas mettre en danger les automobilistes", insiste le gradé.
Pour les quelque 1.200 habitants de Saint-Louis, qui ont publié lundi un communiqué également signé des chefs de tribu, les autorités ont plutôt érigé "un mur de Berlin" aux relents "coloniaux".
"Nos terres sont mises sous blocus, notre population affamée et notre jeunesse exécutée", dénoncent-ils, à la veille d'une journée sous haute surveillance sur tout l'archipel, où 6.000 policiers, gendarmes et militaires ont été déployés.
Jour férié et sensible en Nouvelle-Calédonie, le 24 septembre marque la prise de possession du "Caillou" par la France.
Plus personne n'écoute
Saint-Louis "est une prison à ciel ouvert", juge pour sa part Lucile (qui a refusé de donner son patronyme), une grand-mère de 68 ans en "colère" après une marche de sept kilomètres.
"On parle des jeunes, mais ça nous pénalise nous aussi. Les jeunes (qui se sont soulevés depuis mai) ont répondu à un appel politique, c'est la politique qui doit régler" cette situation, peste cette Kanak, cheveux courts et fines lunettes, qui fait une halte devant un cabanon au toit de tôle tagué de slogans indépendantistes et hostiles au gouvernement.
Les autorités assurent que ces barrages seront levés une fois obtenue la reddition ou l'interpellation d'une trentaine de jeunes "délinquants" jugés ultra-radicaux et "très déterminés".
"On a parlé aux jeunes, mais ils ne veulent pas écouter, plus personne n'écoute les chefs", alors "on laisse faire" les autorités, s'est résigné un autre ancien de la tribu, Jacob Noraro, 76 ans, de retour de courses avec du pain et des plantes médicinales.
Pour éviter à sa famille de subir les conditions de vie actuelles à Saint-Louis, le retraité en chemise à fleurs a conseillé à ses enfants de vivre "en dehors du barrage" pour quelque temps encore.
En attendant que la route soit de nouveau accessible, "on continue à marcher", lâche Lucile. Avant de s'enfoncer à travers la forêt.
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