Territoires
En Moselle, consolider l'économie sociale et solidaire via le réemploi
Sobriété, réparation et réemploi. C’est le leitmotiv de six réseaux nationaux, très présents en Moselle, qui ont créé l’Union pour le Réemploi Solidaire. Credo : lier urgence écologique et insertion par l’activité économique. Décryptage.
En Moselle, l’insertion par l’activité économique représente plus de 2 000 établissements employeurs (soit le second total des départements du Grand Est ESS). Huit de ces structures sur dix sont des associations. Coopératives, mutuelles et fondations sont ici les autres formes de statut juridique. À elles seules, l’Eurométropole de Metz et la Communauté de communes du Pays Haut Val d’Alzette concentrent 20 % des établissements ESS mosellans. Une implantation avec une imprégnation forte sur le nord du département et plus disparate dans les périmètres sarregueminois et bitchois. Sans surprise, c’est l’action sociale qui a la plus forte activité en ESS (hébergement médico-social et social, accueil des jeunes enfants, aide travail et à domicile). En termes d’effectifs, l’ESS en Moselle recense plus de 35 000 salariés (31 043 ETP) à 85 % dans les associations. Par zone géographique, c’est l’intercommunalité du Pays Orne Moselle qui concentre le plus d’effectifs du total du département (22 %) devant celles du Pays Haut Val d’Alzette, du Sud Messin, de l’Arc Mosellan, de Freyming-Merlebach, de la Houve Pays Boulageois et de Saint-Avold Synergie. La Moselle est l’un des deux départements du Grand Est dépassant les 70 % d’emplois de femmes dans l’ESS qui génère une masse salariale de près de 1 Md €.
Organisations à taille humaine
L’ESS mosellane est un dense réseau de solidarités actives, un maillage de proximité au service de la valorisation humaine au cœur de nos territoires. Ainsi l’initiative nationale, appelée à se décliner à l’échelon local, portée par six réseaux du réemploi solidaire (COORACE, EMMAÜS France, Envie, ESS France, L’Heureux Cyclage, Réseau National des Ressourceries et Recycleries) trouve tout son sens. Ils ont choisi de créer ensemble l’Union pour le Réemploi Solidaire. Laquelle rassemble plus de 2 000 structures (dont la grande majorité sont des structures de l’insertion par l’activité économique) implantées sur l’ensemble du territoire hexagonal : en milieu urbain, périurbain, en milieu rural… Organisations à taille humaine connectées entre elles dans des logiques de coopérations territoriales, elles comptent plus de 40 000 personnes en activité, mobilisent plus de 20 000 bénévoles, collectent plus de 400 000 tonnes d’objets chaque année, réemploient près de 200 000 tonnes, et touchent plus de 7 millions de bénéficiaires qui accèdent à des biens de consommation courante à prix solidaire (chiffres 2021).
Une réponse à un besoin de planification écologique territoriale
À l’heure de l’urgence écologique, il est essentiel de repenser en profondeur nos modèles de production et de consommation afin de limiter au maximum les pressions exercées sur les ressources et les écosystèmes. C’est d’ailleurs ce que préconise l’ADEME, Agence de la transition écologique, dans ses quatre scénarios visant l’atteinte de la neutralité carbone en 2050 puisqu’elle y pose la sobriété comme principe fondateur pour atteindre cet objectif. Les structures de l’économie sociale et solidaire (ESS) spécialistes du réemploi, majoritairement associatives, portent des solutions concrètes d’allongement de la durée de vie des objets à des fins environnementales, économiques et sociales. Ces initiatives locales permettent de recréer du lien social en mobilisant de nombreux bénévoles au cœur des territoires et de créer des emplois locaux non délocalisables. Ces solutions qui répondent à des enjeux territoriaux constituent un réel levier de mise en œuvre d’une politique publique de planification écologique.
Défaut de planification
La loi Anti-Gaspillage pour une Économie Circulaire (loi AGEC) de février 2020 a permis des avancées significatives pour une meilleure prise en compte des enjeux de prévention de la production de déchets : définition d’un objectif de réduction de 15 % de la quantité de déchets ménagers et assimilés produits entre 2015 et 2030, définition d’objectifs de réemploi pour un certain nombre de filières (textiles, meubles, équipements électriques et électroniques…), création des fonds réparation et des fonds réemploi. Néanmoins, ces mesures ont été fixées indépendamment les unes des autres, et il semble manquer aujourd’hui une vision stratégique globale sur le développement des activités de réemploi en France. Ce défaut de planification s’illustre autour de plusieurs enjeux. D'abord une difficulté dans la mise en œuvre des fonds réemploi et un manque de traduction de l’esprit de la loi AGEC qui souhaitait soutenir les initiatives citoyennes locales portées par les structures du réemploi solidaire. La loi AGEC prévoit que les fonds réemploi soient alimentés par au moins 5 % du montant total des éco-contributions de chaque filière à Responsabilité Élargie des Producteurs (REP) concernée. Cependant, ce seuil minimum se traduit systématiquement en un plafond maximum qui ne permet pas toujours de répondre à l’atteinte d’objectifs de réemploi ambitieux pour la filière concernée. Il est par ailleurs indispensable que l’État puisse réguler les montants de soutien pour garantir une prise en charge à la hauteur des coûts engagés par les structures du réemploi solidaire, ainsi qu’une dépense effective des 5 % minimum préconisés par la loi.
Trouver du foncier
Second frein. Un grand nombre de structures rencontrent des difficultés pour trouver du foncier disponible et investir dans leurs propres espaces de remise en état et revente d’objets de seconde main. Cela contraint le développement des activités de réemploi dans les territoires. Il est donc essentiel que des politiques publiques ambitieuses soient développées au niveau local pour faciliter les partenariats avec les collectivités territoriales pour de la mise à disposition de foncier. Les activités de réemploi solidaire contribuent en effet pleinement à la mise en œuvre des programmes locaux de prévention des déchets ménagers et assimilés obligatoires pour toute collectivité territoriale depuis 2014. Troisième écueil. Une concurrence d’accès aux objets qui pourraient avoir une deuxième vie. Les consommateurs demandent de plus en plus d’avoir accès à des offres de seconde main. On observe donc depuis quelques années une forte évolution du secteur du réemploi avec l’arrivée sur le marché d’offres de réemploi issues du secteur lucratif : revente de biens entre particuliers, rayons «seconde main» chez les distributeurs..
Érosion du geste de don solidaire
Cela n’est pas sans conséquence pour les acteurs majeurs du réemploi que sont les structures de l’économie sociale et solidaire. Ces récentes évolutions ont entraîné d’une part l’érosion du geste de don à des fins de solidarité, et d’autre part pourraient avoir pour conséquence un accès déloyal aux produits disponibles du fait d’un système de rachat des équipements de qualité par les acteurs lucratifs ne laissant aux associations non-lucratives que les produits ayant une faible valeur ajoutée et dont personne ne veut plus. Une régulation de l’accès aux gisements disponibles est donc aujourd’hui indispensable si l’on souhaite conserver des offres locales de réemploi sur l’ensemble des filières, en particulier sur les filières non rémunératrices qui s’équilibrent grâce à celles à plus forte valeur ajoutée. Le cas échéant, cela aurait pour conséquence un report des objets aujourd’hui réemployés vers le service public de gestion des déchets. Dans ce contexte de crise écologique et sociale, il est urgent de mettre en place des politiques publiques cohérentes en matière de planification écologique qui permettent de soutenir le maintien et le développement de l’activité de ces structures de proximité, tout en leur garantissant l’accès à des gisements de qualité, gages de la pérennité de leurs modèles socio-économiques.
Les sept propositions de l’Union pour le Réemploi Solidaire pour faire du réemploi solidaire la norme :
. Agir sur les changements de comportement
. Garantir l’accès à une offre de Réemploi Solidaire pour toutes et tous à moins de 15 minutes de chez soi
. Déployer des moyens financiers à la hauteur des enjeux écologiques et sociaux
. Définir les barèmes de soutien au Réemploi Solidaire par l’État dans le cadre d’une vision de filière prospective et ambitieuse
. Garantir aux structures de l’ESS un accès à des gisements d’objets de qualité
. Créer l’École nationale du Réemploi Solidaire
. Faire de la réparation un réflexe pour chaque citoyen qui soit source d’économies et de réduction de son empreinte environnementale