En Guyane, la lutte contre l'illettrisme érigée en priorité à l'école

Une trentaine d'idiomes sont parlés en Guyane, territoire ultramarin où le français n'est que la seconde langue de la majorité de ses habitants. Or, quatre adultes sur dix sont en situation d'illettrisme. Face à ce constat, le rectorat a refondé le processus d'apprentissage de la...

Des membres d'ethnies indigènes guyanaises participent à une manifestation culturelle à Cayenne, le 9 août 2013 © JODY AMIET
Des membres d'ethnies indigènes guyanaises participent à une manifestation culturelle à Cayenne, le 9 août 2013 © JODY AMIET

Une trentaine d'idiomes sont parlés en Guyane, territoire ultramarin où le français n'est que la seconde langue de la majorité de ses habitants. Or, quatre adultes sur dix sont en situation d'illettrisme. Face à ce constat, le rectorat a refondé le processus d'apprentissage de la lecture et de l'écriture en imposant une méthode unique.

Dans cet immense enclave francophone d'Amérique du Sud, à l'entrée dans le premier degré, 80 % des élèves sont ainsi allophones.

"Aucune (autre) académie n'est comme cela", souligne auprès de l'AFP le recteur Philippe Dulbecco. "La difficulté, ce ne sont pas ces 80% d'élèves" allophones, "mais plutôt la grande diversité (des) langues" qu'ils parlent, poursuit-il.

Créole guyanais ou haïtien, anglais, portugais, espagnol, chinois, teko, kali'na, sranantongo... Le territoire compte une trentaine d'idiomes différents pour une population de 300.000 habitants. Une richesse, mais aussi l'une des principales causes de l'illettrisme.

À la sortie de l'école, 58% des Guyanais de 17 à 21 ans étaient en difficulté de lecture en 2023, contre 15% au national, selon les tests de détection de l'illettrisme effectués lors de la Journée défense et citoyenneté (journée d'appel obligatoire pour tous les jeunes Français).

"Dès que l'on s'approche des frontières et de l'intérieur de la Guyane, les statistiques explosent: plus de 70% à Saint-Laurent-du-Maroni (nord-ouest), 84% à Grand-Santi et Maripasoula (ouest), 100% à Camopi (est)", détaille à l'AFP Mariam Koita, référente illettrisme de l'académie.

D'autres causes sont à l'oeuvre: "pauvreté, parcours migratoire, fracture territoriale, manque de ressources et de formation pour les professeurs", énumère Mme Koita.  "Le système scolaire a du mal avec ce contexte multilinguiste", souligne la référente.

Selon une étude de l'Insee parue en novembre 2024, le lien entre allophonie et non-maîtrise des fondamentaux en français est évident: sept élèves sur dix en difficulté de lecture en Guyane ont une langue maternelle étrangère.

"Le fait qu'il y en ait autant souligne que l'Education nationale n'a pas fait tout ce que l'on attendait d'elle", reprend Philippe Dulbecco.

- Méthode syllabique - 

À la rentrée 2024, un "plan lecture" a été déployé dans le premier degré, s'appuyant sur une méthode syllabique unique, imposée aux professeurs. "Une seule méthode permet d'avoir un dispositif de formation plus efficace", justifie M. Dulbecco.

Quelque 210.000 euros ont été investis pour acheter des manuels et former les 450 enseignants de CP, année charnière pour la lecture et l'écriture. La formation suivra les cohortes d'élèves : les professeurs de CE1 seront formés pour la rentrée prochaine, ceux de CE2 pour celle d'après, etc.

Mais l'académie de Guyane, classée REP+ généralisé, est l'une des moins attractives de France et peine à pourvoir ses postes, souvent confiés à des contractuels.

En parallèle, le rectorat souhaite développer un dispositif existant : les classes bilingues, qui permettent un apprentissage dans la langue maternelle avant celui du français.

Une dizaine de langues sont enseignées dans 87 classes bilingues. Environ 1.600 élèves sur les 49.742 du premier degré en bénéficient, avec un objectif de 5.000 élèves à terme.

Cependant, certains élus locaux critiquent ces classes, y voyant une logique communautariste. Pourtant, "apprendre dans sa langue maternelle, celle que l'on maîtrise le mieux, permet de prendre confiance en soi pour apprendre" ensuite en français, assure le recteur. 

Handicap social

Il y a urgence. "L'illettrisme est un facteur d'isolement qui favorise l'illégal et l'informel pour gagner sa vie. C'est beaucoup plus difficile de trouver du travail quand on ne sait pas lire", explique Olivier Marnette, correspondant de l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme. 

Confrontés à l'étroitesse du marché économique, de nombreux jeunes Guyanais peinent à s'insérer. En 2022, seuls 21% des 15-29 ans travaillaient, contre 49% dans l'Hexagone selon l'Insee.

Un constat éloquent alors qu'un habitant sur deux est âgé de moins de 25 ans. "La Guyane est très jeune et l'éducation est la clef de voûte pour construire l'avenir", assure Mariam Koita. À la rentrée 2024, l’académie comptait 89.653 élèves sur une population de 300.000 habitants. 

Pour Olivier Marnette, ce combat contre l'illettrisme "est une lutte pour l'autonomie des gens et le développement du territoire, contre l'échec d'une société qui les écarte d'une promesse républicaine".

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