En France, la longue quête d'un "enfant de Boche" né pendant l'Occupation

L'extrême droite en France cible les binationaux mais Thierry Soudan n'en a cure : ce Français de 81 ans a acquis la citoyenneté allemande en mémoire de son père, soldat de la Wehrmacht pendant...

Thierry Soudan (c), fils d'un soldat allemand, entouré de sa demi-sœur allemande Waltraut Maurer (g) et de son demi-frère Manfred Christ (d), après avoir été naturalisé citoyen allemand à l'ambassade d'Allemagne à Paris, le 3 juillet 2024 © Ulrike KOLTERMANN
Thierry Soudan (c), fils d'un soldat allemand, entouré de sa demi-sœur allemande Waltraut Maurer (g) et de son demi-frère Manfred Christ (d), après avoir été naturalisé citoyen allemand à l'ambassade d'Allemagne à Paris, le 3 juillet 2024 © Ulrike KOLTERMANN

L'extrême droite en France cible les binationaux mais Thierry Soudan n'en a cure : ce Français de 81 ans a acquis la citoyenneté allemande en mémoire de son père, soldat de la Wehrmacht pendant l'Occupation dont l'identité lui avait été cachée.

C'est après la mort de sa mère que l'octogénaire a réussi peu à peu à lever le voile sur sa condition d'"enfant de Boche". 

Comme lui, quelque 100.000 personnes sont nées de l'union entre des Françaises et des Allemands pendant la Seconde Guerre mondiale et, depuis 2009, Berlin leur offre la possibilité d'acquérir la citoyenneté allemande pour "réparer" ces vies brisées par la guerre.

Pour Thierry Soudan, la révélation vient d'un habitant dans son village natal qui lui dévoile ce que sa défunte mère lui a caché toute sa vie: l'homme qu'il considérait comme son père l'avait adopté. 

Et après la guerre, sa mère avait été tondue parce qu'elle avait eu une relation avec un soldat allemand.

Il commence alors ses recherches mais la déconvenue arrive vite. L'ambassade allemande en France l'informe que son père biologique est décédé. Sa fille prend le relais. 

Avec l'aide de l'association Cœurs sans frontières, qui s'engage pour les enfants de la guerre, elle parvient à retrouver la tombe de ce grand-père inconnu à Munich.

Sur la pierre tombale, dans une pochette transparente, elle laisse un mot et cette bouteille à la mer va finir va trouver un écho.

Fardeau

En 2019, Thierry Soudan reçoit un appel d'une certaine Waltraut Maurer, qui lui explique dans un français approximatif qu'elle est sa demi-sœur et qu'ils ont également un demi-frère à Munich, Manfred Christ.

Après un premier contact téléphonique, tous trois se retrouvent pour la première fois sur l'île d'Oléron, dans l'ouest de la France, où vit M. Soudan. 

"Nous avons reconnu en Thierry tant de choses de notre père, ses mains, ses gestes", se souvient Manfred Christ, en montrant sur son téléphone portable une photo de son demi-frère en bas âge, trouvée dans un album photo de son père. 

"Nous ne savions pas qui c'était. Quand nous avons appris l'existence de Thierry, nous avons retirée la photo de l'album, et au dos, il y avait le nom de notre frère", dit-il. 

Au-delà de la ressemblance physique, Thierry, qui n'a pourtant pas connu son père, est devenu comme lui un apiculteur passionné.

"Quel fardeau pour notre père de n'en avoir parlé à personne", ajoute sa demi-sœur. Il aurait tenté à plusieurs reprises d'entrer en contact avec son fils en France, mais en aurait été empêché par la mère de ce dernier. 

C'est alors que Thierry décide d'engager une procédure de naturalisation pour se réapproprier l'histoire que sa mère, comme tant d'autres, a dissimulée pour le protéger des brimades.

J'ai trouvé mon père

Le rendez-vous avait lieu cette semaine à l'ambassade d'Allemagne à Paris, "là où tout a commencé", se souvient Thierry qui, sous le coup de l'émotion, a oublié tous ses papiers d'identité français dans le taxi. "Heureusement, plaisante son épouse Liliane, "il va obtenir maintenant des papiers allemands".

La cérémonie commence et les larmes coulent sur les joues de Thierry. "Je déclare solennellement que je respecte la Loi fondamentale et les droits de la République fédérale...", déclame-t-il lentement en allemand, avec son accent français. 

"C'est un moment émouvant pour moi aussi", lui glisse l'ambassadeur Stephan Steinlein, dont le père a également été soldat en France. "Votre histoire met en évidence l'importance de connaître le passé pour construire l'avenir".

"La naturalisation est un acte de réparation et un symbole de l'amitié franco-allemande", ajoute-t-il, en lui remettant une pochette bleue contenant son décret de naturalisation. "C'est important, surtout en ces temps où la haine refait surface", souligne-t-il en référence à la possible arrivée au pouvoir de l'extrême droite en France. 

Le parti de Marine Le Pen a récemment mis en cause le patriotisme des binationaux et veut leur interdire d'exercer certaines professions sensibles. "C'est ridicule", estime le désormais Franco-allemand Thierry Soudan, qui a enfin compris pourquoi, enfant, il se sentait inexplicablement à l'écart. 

"Maintenant, dit-il, j'ai trouvé mon père".

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