Emmanuel Macron prend la température
Ministre de l'Economie, de l'Industrie et du Numérique, Emmanuel Macron était très attendu dans le département. Il a visité, le 27 juin, l'aciériste Aperam à Isbergues, l'usine verrière Arc international à Arques. Il a rencontré des élus inquiets face à la baisse de leurs dotations globales de fonctionnement à Oye-Plage et, après un passage par Alcatel Networks, des transporteurs, excédés par les incursions migratoires sur le port de Calais. Une journée avec un ministre en campagne.
Du tact… mais pas de promesses. Etape 1 : Isbergues. Accueilli par une cinquantaine de militants syndicaux venus lui dire tout le bien qu’ils pensent de la loi El Khomri, le ministre a commencé sa journée par la visite de l’usine du sidérurgiste Aperam, spécialisé dans les aciers spéciaux. Dans l’usine, Emmanuel Macron s’est fait expliquer le process : le laminoir, le rétrécissement du produit (des plaques d’acier destinées notamment aux chaînes de production automobile), le dégraissage de la tôle, le travail sur les caractéristiques mécaniques du métal car, “dans certains aciers, la moitié de la matière n’est pas métallique“, a expliqué le guide. Dans les locaux, le ministre a évoqué le prêt de 50 millions octroyé par la Banque européenne d’investissement (BEI) au groupe issu d’ArcelorMittal : “Voilà un visage concret de l’Europe. L’Europe, c’est aussi du financement industriel ; c’est comme ça qu’on peut la rendre plus populaire.” Et les résultats sont là : “75 % de notre dette remboursée, 800 millions d’euros d’investis dans le même temps, dont 300 millions en France“, a égrené le dirigeant, Timoteo di Maulo. Toute la matinée, la concurrence déloyale chinoise fut aussi dénoncée : “La menace des aciers chinois n’est pas acceptable avec ce dumping social et environnemental. La réponse est européenne“, a asséné le ministre. À ses côtés, Ambroise Fayolle, vice-président de la BEI venu avec les 50 millions d’euros (dont une partie pour un site luxembourgeois) : “Nous sommes heureux de financer un des leaders de l’industrie européenne. Même si j’avoue que c’est un investissement un peu plus risqué que d’habitude…“
Arc : de l’investissement limité par les taux. Devant l’usine, les manifestants, encadré par une quinzaine de cars de CRS, étaient, eux, très loin de ces considérations. “On était près de 5 000 à travailler ici il y a 30 ans, avec des milliers de sous-traitants. Il reste moins de 1 200 personnes aujourd’hui“, a indiqué un ouvrier. Le ministre les a évités à l’entrée et à la sortie. “On maintient la paix sociale avec le tissu associatif“, a souligné le maire, Jacques Napieraj.
Destination suivante : le site du verrier Arc international à Arques où l’attendaient les salariés et la direction. Dans la salle du restaurant du personnel, le ministre a été ovationné : “Vous nous portez chance, Monsieur le ministre“, a assuré le PDG, Tim Gollin. Et pour cause, à Noël 2014, Arc international était à deux doigts du dépôt de bilan. “La famille avait pris la courageuse décision d’ouvrir son capital. Vous (les nouveaux dirigeants) avez pris le risque de croire en ce projet“, a salué le ministre. Si le fonds américain PHP a investi 300 millions d’euros depuis la reprise, il devrait poursuivre son effort, malgré les difficultés à emprunter, avec une nouvelle tranche d’investissement de 250 millions d’euros avec la Caisse des dépôts et consignations et le fonds souverain russe Russian Direct Investment Fund dont le vice-président, Kirill Dmitriev, était aussi présent. À cet égard, Emmanuel Macron n’a pas manqué de rappeler son voyage à Moscou de janvier dernier pour soutenir ce dossier qui, visiblement, n’entre pas dans le périmètre des sanctions européennes (qui viennent d’être reconduites) contre la Fédération de Russie… Le long des chaînes de production, le ministre a aussi échangé avec les salariés et les syndicats : “Monsieur le ministre, on a une pyramide des âges à l’envers ici. C’est 53 ans d’âge moyen. Il faut laisser partir les gars qui sont usés à 58 ans. Ici, on a une direction qui est d’accord pour les remplacer. On a quand même plus de 500 intérimaires sur le site“, a plaidé un cadre syndical. Un autre a parlé d’un des fours : “Il faut le refaire, c’est 30 millions, ça serait bien. On a des emprunts à 13, 15% !” Timothée Durand, directeur administratif et financier, a opiné : “Notre niveau de rentabilité ne nous permet pas d’investir comme nous le souhaiterions.” Avec des taux pareils, alors que l’argent ne “coûte” rien sur les marchés, le ministre, ancien banquier de chez Rothschild, aura probablement à cœur de déclencher d’autres financements moins gourmands…
“Tout va bien, tout va bien“. À l’atelier, la même question : “Tout va bien ?“. Des sourires, de l’allant et des promesses : en cas de problèmes, “je reviendrai aussi pour les mauvaises nouvelles“, précise le ministre. C’est ce qui l’attendait ensuite à Oye-Plage, puis à Calais. Le ministre a déjeuné dans une petite auberge retirée du lieu-dit de l’Etoile avant de rencontrer des élus, inquiets devant la baisse drastique de leurs dotations globales de fonctionnement. Lors de cette étape, nul point presse. En fin de journée, les transporteurs calaisiens attendaient Emmanuel Macron à la gare maritime du port. Pendant plus d’une heure, ils ont pu s’entretenir avec le ministre pour lui faire part des risques considérables qu’occasionnent les migrants qui prennent d’assaut les camions ou qu’on retrouve régulièrement dans les bassins afin de monter à bord des navires… Au moment où la Grande-Bretagne a voté sa sortie de l’Union européenne, Emmanuel Macron s’est voulu plus neutre que devant la presse britannique à qui il déclarait, avant le vote, que la frontière avec la France retournerait sur le sol britannique en cas de Brexit… Des propos que Xavier Bertrand lui a rappelé devant les caméras, l’excusant presque de sa “solidarité gouvernementale“… Beau joueur, Emmanuel Macron a botté en touche et relativisé son propos pour ne pas empiéter sur le périmètre du président de la République, annoncé à Calais avant le 14 juillet. À la sortie de la réunion avec les transporteurs, les demandes des professionnels étaient légion. “Il ne s’est pas engagé sur quoi que ce soit, mais il a entendu nos plaintes“, a déclaré David Sagnard, membre du syndicat des transporteurs. Entre autres celles concernant les amendes que les autorités britanniques font pleuvoir sur les transporteurs victimes des intrusions des migrants − “Nous ne sommes pas des passeurs, nous sommes victimes !” −, la protection de la quatre-voie portuaire qui continue de faire défaut, le démantèlement de la Jungle dont le nombre de résidents est repassé au-dessus de la barre des 5 000 personnes (contre 3 000 au printemps dernier)…