Emmanuel Macron, le tempo du gouvernement

L’examen de sa loi sur l’activité économique, à l’Assemblée nationale, met le jeune ministre sous les feux des projecteurs. L’homme est courtois, mais tient fermement sa ligne politique, la même que celle de François Hollande.

Sur l’estrade, face aux journalistes, deux hommes se tiennent debout. Le premier, d’âge mûr, cheveux gris, costume clair et cravate rose, s’est installé au pupitre et se lance dans un discours plutôt convenu, quoique prononcé avec un débit rapide pour ne pas importuner l’assistance. Le second, bien plus jeune, costume sombre et chemise blanche, sans cravate, l’écoute sans manifester la moindre impatience. L’un des deux hommes est journaliste, l’autre ministre. “Mais ce n’est pas le ministre qui porte la cravate”, lâche un éditorialiste sur Twitter.

Ce 29 janvier, lors des vœux présentés à la presse, répondant au président de l’Association des journalistes économiques et financiers, Emmanuel Macron, 37 ans, se livre à l’une de ces opérations de séduction dont il a pris l’habitude. Ce jour-là, entre le ministre de l’Economie et les journalistes, pourtant, les relations ne sont pas au beau fixe. Un amendement de la loi “pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques”, plus connue sous le nom de “loi Macron”, prévoit en effet la protection du “secret des affaires”. Selon cette disposition, un journaliste pourrait se voir infliger une peine de prison et une amende de 750 000 euros pour “atteindre à la sécurité” ou aux “intérêts économiques essentiels de la France”, en révélant des informations qu’une entreprise tient pour confidentielles. Le ministre n’élude pas la question. Après un petit couplet consacré à “la liberté de la presse”, il sort de la poche intérieure de sa veste une feuille de papier pliée en quatre et lit une liste de “quatre amendements” que le gouvernement a décidé de déposer pour modifier le texte incriminé. Ces modifications, rédigées par le cabinet du ministre, doivent exonérer notamment les salariés, syndicalistes de responsabilités en cas de fuites et consacre la liberté d’informer. Dans la soirée, après s’être entretenu avec François Hollande, l’exécutif décide finalement de renoncer à cet aspect de la loi.

La méthode Macron. Un projet, un obstacle, une solution : c’est la méthode Macron. L’ancien banquier d’affaires, proche de François Hollande, semble déjà tout connaître des usages et des coutumes du théâtre politique. Tous les députés qui ont participé en commission aux auditions de son texte louent sa capacité d’écoute, sa sympathie et même son humour. Lors des premières heures de l’examen de la loi dans l’Hémicycle, dans la nuit du 28 au 29 janvier, on l’a vu s’esclaffer sans retenue en écoutant le député Jean Lassalle (non inscrit, Pyrénées-Atlantiques) raconter comment il avait dû passer des tests psychologiques après avoir perdu l’ensemble des points de son permis de conduire.

Cela n’empêche pas Emmanuel Macron de tenir fermement une ligne politique. “Sociale-démocrate”, “sociale-libérale”, “néo-libérale”, chacun choisira le terme, mais il s’agit en tout cas de la même ligne que le président de la République, que l’actuel ministre a soutenu dès la primaire socialiste, à l’automne 2011. Nul besoin pour cet énarque et inspecteur des finances de répéter, comme un Manuel Valls, “j’aime l’entreprise” dans toutes les langues. Pour lui, c’est une évidence. Toute la vie politique, tous les événements, y compris les attentats de Paris début janvier, le ramènent à la question économique. “Ce qui s’est passé ne vient pas de l’extérieur, de l’étranger, comme disent certains. Nous avons tous notre responsabilité, et elle est aussi économique”, affirme-t-il lors de ses vœux à la presse. Et d’ajouter immédiatement : “2014 a été une mauvaise année, par manque de croissance.”

L’ “innovation” contre la “protection”. En quelques phrases, le ministre douche sans ménagement ceux qui, notamment parmi les “frondeurs” du PS, se réjouissent de la victoire du parti de gauche radicale Syriza aux élections législatives grecques : “Les miracles n’existent pas. Le moment grec fait croire à la possibilité d’une autre politique économique. C’est oublier d’où vient la Grèce. Non, la France ne peut pas mener une politique de relance budgétaire.”

D’ailleurs, la loi qu’il porte au Parlement s’inscrit dans une logique clairement incompatible avec celle que prônent Alexis Tsipras, le nouveau Premier ministre grec, et ses amis. “Innovation”, “réforme”, “ouverture”, le vocabulaire parle de lui-même et s’oppose à un terme qui a longtemps fait partie du corpus idéologique de la gauche : la protection. “De très belles idées ont conduit à protéger ceux qui bénéficient déjà de droits, en matière de travail comme de logement”, regrette le ministre. “On a créé des monstres et on a exclu encore davantage les outsiders, qui ne font pas partie du système”, ajoute-t-il. C’est pour cette raison qu’il souhaite “créer une nouvelle offre à côté du service public ferroviaire”, “réformer les dispositifs illisibles comme la justice prudhommale” ou encore “ouvrir les professions du droit”.

En appui sur son pupitre, une jambe posée devant l’autre comme s’il calait ses pieds dans des starting-blocks, Emmanuel Macron assume son positionnement libéral et européen. Il prône “une convergence franco-allemande”, pointant “le risque français : la langueur”, et le “risque allemand : le conservatisme, une fascination pour la réduction de la dette”. Il n’hésite pas non plus à défendre les banques françaises, “universelles, solides”. Certes, ses propos choquent de temps à autre. “Les pauvres” qui pourront voyager en autocar, les salariés de l’abattoir Gad, “dont certaines sont illettrées”, l’invitation à “devenir milliardaire” lancée récemment aux jeunes, ou encore la remise en cause du “cadre légal des 35 heures” : toutes ces positions, gaffes ou sorties mûrement réfléchies, ont été longue- ment débattues, contestées, soupesées. Le ministre s’en moque. “On me reproche parfois de trop dire les choses”, concède-t-il tout juste, face aux journalistes. Après avoir répondu, de manière courtoise, à quelques questions, le ministre juge que le temps est venu de mettre fin à la cérémonie des vœux. Mais à peine descendu de l’estrade, le voici entouré d’une nuée de journalistes. Emmanuel Macron lâche quelques phrases en anglais à l’intention d’un correspondant britannique puis se met en marche en direction de son bureau, toujours entouré d’une trentaine de micros et caméras. C’est lui qui donne le tempo.