“On ne peut plus ignorer ce qui se passe sur Internet”
José Pereira est le dirigeant de Mortreux & Pereira (Lambersart, 3 salariés, 400 000 € de CA), et président de la Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) Nord ‑ Pas‑de‑Calais depuis 2014.
La Gazette. Combien la Capeb compte-t-elle d’adhérents dans la région ? José Pereira. La Capeb Nord – Pas-de-Calais, c’est environ 3 000 adhérents, en grande majorité des TPE et des PME, avec un maximum de 20 salariés. La fusion avec la Capeb Picardie, qui compte autour de 2 000 adhérents, est en préparation, pour épouser les contours de la nouvelle grande Région. Elle devrait être effective d’ici la fin de l’année. Dans les départements du Nord et du Pasde-Calais, le réseau existe depuis 70 ans, c’est l’un des plus importants de France.
Et comment se portent vos entreprises ? Elles souffrent de plus en plus. Les courbes n’en finissent pas de descendre, sans vouloir remonter pour le moment. Nous effectuons régulièrement des enquêtes de conjoncture auprès de nos adhérents. Pour 2015, les entreprises étaient assez pessimistes, et l’année s’est révélée encore plus difficile que prévu. On verra ce que ça donne en 2016, nos adhérents semblent un peu plus optimistes : en janvier 2015, ils étaient 71% à avoir un avis défavorable pour l’année à venir. En janvier 2016, ils sont 65%, il y a donc un léger mieux. Et c’est vrai qu’on entend parler de reprise, mais les TPE ne le sentent pas encore, il y a souvent un effet retard. La situation reste très compliquée, avec des prix à la baisse et une absence de visibilité sur les carnets de commandes, et donc d’investissements. En revanche, l’emploi reste stable. Mais comme on est déjà tombés très bas, c’est difficile de réduire encore !
C’est une situation inédite pour les entreprises de la région ? Je suis installé comme artisan depuis 31 ans, je suis à Lille depuis 25 ans, je ne me suis jamais retrouvé dans une situation pareille. À un moment, je me suis même demandé si le téléphone n’était pas en panne ! Même pour les urgences, les gens n’appellent plus, ils préfèrent se débrouiller autrement… Pendant longtemps, nos TPE étaient bien plus en souscapacité qu’en sur-capacité, avec trop de chantiers à gérer. Et aujourd’hui, on se retrouve à devoir occuper les équipes pour garder notre personnel en attendant la reprise, puisque le vrai capital de nos entreprise, c’est nos salariés qualifiés.
Quels sont les axes envisageables pour maintenir l’activité ? Dans la région, il faut trouver de nouveaux marchés ; il y en particulier l’accessibilité des logements qui peut être porteur, ce sont des chantiers qui sont tout à fait à la portée de petites entreprises de proximité. La Capeb a créé la marque “Handibat”, et dans la région, nous allons bientôt présenter des appartements témoins, en partenariat avec l’association Renaissance. La rénovation thermique et la transition énergétique sont également un axe de travail pour nous, mais il faudrait des leviers pour inciter les particuliers à rénover leurs logements. À l’heure actuelle, ils préfèrent épargner plutôt que d’investir. Pour les motiver, je mise beaucoup d’espoirs sur l’Orrel, un opérateur régional que nous sommes en train de mettre sur pied. Il va être lancé cette année et sera vraiment actif en 2017.
Quel en est le principe ? C’est un outil moderne, en ligne, qui pourra accompagner les particuliers dans leur parcours de rénovation, en lien avec des artisans de leur secteur. Nous avons monté une SEM qui associe partenaires privés et publics, et notamment le Conseil régional et différentes collectivités locales. Il s’agit d’inciter les particuliers à rénover, dans l’intérêt de tous. La plate-forme sera un guichet unique, où l’on pourra s’informer sur la fiscalité en vigueur, les financements disponibles, ou faire réaliser son audit thermique. Une liste d’artisans compétents dans la région sera également disponible. C’est aussi une manière de contrer les plates-formes privées qui se créent, et qui, trop souvent, signifient une perte d’indépendance pour les entreprises. Sur l’Orrel, tout sera gratuit dès lors que les artisans pourront justifier leurs compétences. Et ce sera avant tout un outil de services et non pas un outil commercial. L’initiative était soutenue par l’ancien Conseil régional, mais avec le changement de majorité, la promotion n’en a pas été assurée. J’ai écrit récemment à Xavier Bertrand pour lui rappeler à quel point la profession tient à ce projet, qui doit voir le jour.
Cette plate-forme sera une spécificité régionale ? Oui, ce sera une première en France. Les décisions politiques n’aboutissent que si elles sont portées par des actions locales dynamiques. Et c’est important que cela vienne d’en bas. Dans la région, les élus ont trop tendance à attendre qu’une grosse multinationale vienne s’implanter en créant 200 emplois. Si chaque artisan réussit à créer un emploi, peu à peu on aboutira à des milliers. Mais c’est moins spectaculaire, ça ne fait pas la Une des médias, alors les élus locaux ne s’en soucient pas assez.
C’est une façon d’accompagner les artisans du bâtiment sur le Net, pour les aider à se rendre plus visibles ? Le bouche à oreille a toujours fait vivre nos entreprises, il faut vivre avec son temps et, l’exporter sur Internet. Aujourd’hui, pour trouver un artisan à cinquante mètres de chez soi, on passe par la Silicon Valley! C’est une façon de réinventer notre métier, tout en continuant à l’exercer de manière traditionnelle, et aussi de rencontrer nos nouveaux clients : les trentenaires qui achètent et rénovent aujourd’hui, mais qui fonctionnent autrement que les anciennes générations et ont d’autres attentes. Mais quand on a une petite entreprise, c’est difficile d’animer une page internet, ou de surveiller les commentaires qui peuvent être laissés ici où là. La plate-forme donnera gratuitement de nouveaux outils aux TPE, et donc plus de poids face aux grandes entreprises, pour une concurrence saine et équilibrée.
Quelle était ambiance sur le salon Norbat cette année ? L’ambiance était plutôt bonne malgré tout. On a parlé du numérique, de la SEM qui se monte… La situation est loin d’être bonne, mais on a l’espoir que ça s’arrange si tout le monde y met du sien. La région est l’une de celles qui souffrent le plus de la conjoncture, même si c’est difficile pour tout le monde. Entre 2012 et 2014, on estime que 2 400 entreprises artisanales ont disparu, une catastrophe en termes d’emploi. Mais en local, ça n’a pas apporté plus de travail pour les autres. On est dans un cycle bas. Dans les mois à venir ça va repartir tout doucement, mais il va falloir réinventer notre façon de travailler, et c’est aussi pour ça que je crois beaucoup à la SEM. On ne peut plus ignorer ce qui se passe sur Internet.
Jeanne MAGNIEN