“Le temps de l'entreprise est arrivé”

Il préside depuis deux ans aux destinées du Medef Nord – Pas‑de‑Calais. S'il est ambitieux pour ce syndicat patronal et conscient que l'entreprise n'est plus tout à fait mal aimée, il souhaite répondre aux défis qui s'imposent à elle. L'entreprise n'est plus un “gros mot”. De là à ne “jurer” que par elle… Entretien avec Frédéric Motte.

Frédéric Motte est le président du Medef Nord-Pas-de-Calais depuis novembre 2013.
Frédéric Motte est le président du Medef Nord-Pas-de-Calais depuis novembre 2013.

La Gazette. Vous êtes à la tête du Medef régional depuis novembre 2013. Que retenez vous de ces deux premières années ?

Frédéric Motte est le président du Medef Nord-Pas-de-Calais depuis novembre 2013.

Frédéric Motte est le président du Medef Nord-Pas-de-Calais depuis novembre 2013.

Frédéric Motte. Deux ans déjà ! Je suis toujours aussi motivé et mobilisé parce que j’aime et ma région et la cause de l’entreprise. Nous avons en Nord-Pas de-Calais des chefs d’entreprises qui sont de véritables héros et des salariés qui sont le plus souvent mobilisés et de qualité. Ils en valent la peine et c’est passionnant de se battre pour eux.

Le bon côté des choses, c’est incontestablement ce virage négocié depuis deux ans qui a replacé l’entreprise au coeur de tout. Je le dis souvent : le temps de l’entreprise est arrivé. Tous les élus aujourd’hui en conviennent. On même entendu la ministre de l’Education nationale affirmer qu’il faut rapprocher l’école de l’entreprise ! Il y a une véritable opportunité à saisir pour créer le terreau indispensable à nos entreprises pour investir, se développer, créer de la richesse, de l’emploi et permettre la solidarité. Les élus reconnaissent que c’est l’entreprise qui peut générer cet état de fait. Depuis deux ans, nous avons connu une formidable évolution du discours, entre “il n’y a pas de crise” et maintenant “c’est l’entreprise qui crée de l’emploi, il faut que l’entreprise gagne de l’argent”. Ces propos du président de la République sont désormais partagés par le plus grand nombre. La compétitivité du territoire a longtemps été un terme banni et ce changement de perception et de discours, le Medef et chacun dans les territoires y ont contribué. Ils sont la résultante du travail pédagogique que nous avons pu mener, qu’a pu mener Pierre Gattaz, peut être un peu lourdement diront certains, mais avec passion et acharnement. Il a su trouver comment mieux expliquer l’entreprise, mieux expliquer ses défis, les opportunités de la mondialisation et le besoin d’avoir des entreprises compétitives. Car, je le redis une fois encore, les bénéfices d’aujourd’hui sont les investissements de demain et l’emploi d’après-demain. Pour autant, les entreprises françaises sont les moins rentables d’Europe, elles investissent moins qu’ailleurs et pendant ce temps-là les entreprises européennes continuent à gagner plus, à investir plus à prendre de plus en plus avance.

Comment y remédier ?

Face à cela, nous avons deux tentations, deux situations sont un peu ce que nous avons vécu lors des récentes élections régionales, et une opportunité. La première tentation, c’est celle du repli soi et du renfermement alors que nous considérons que la mondialisation, celle n’est pas débridée, qui bien organisée, est une véritable opportunité. suffit de regarder nos voisins transfrontaliers : belges qui, à 4 km de Lille, ont 3,8% de chômage et britanniques, où 90% des emplois créés sont maintenant des CDI. Nous disons qu’il ne faut surtout pas nous replier. seconde tentation, c’est celle de l’immobilisme. Ces 30 dernières années, nous n’avons jamais eu les réformes structurelles qui imposaient, l’un des deux grands partis s’amusant à détricoter ce qu’avait fait autre. Bon an mal an, le pays ne est jamais remis en cause n’a pas vu que le monde évoluait autour de lui. opportunité, ou la troisième voie, c’est le changement de paradigmes, une nécessité absolue. Oser tout remettre à plat, oser remettre cause les pratiques du passé et tout faire évoluer. Formulons le vTmu que le discours que tient Xavier Bertrand depuis son élection soit cette troisième voie qui serait en train d’émerger. On peut pas continuer dans la situation actuelle; 6 millions chômeurs, c’est intolérable ! Notre décrochage termes de compétitivité, est intolérable. Notre pays qui est si cadenassé qu’il commence à se rouiller… Oui, il va vers la relégation en Ligue 2 alors qu’il a les atouts pour jouer en Ligue 1. Ce que nous demandons au nom des chefs d’entreprise, ce n’est pas qu’on fasse le travail à notre place, c’est de nous donner les moyens de bien faire notre travail de chef d’entreprise. Quand je parle de terreau favorable, nous ne réclamons pas aux politiques des subventions, des aides, mais de laisser nous battre à armes égales alors que, tous les jours, on rajoute des briques dans notre sac à dos. Là, on arrive un peu au bout du bout.

Est-ce à dire que tout n’est pas si rose ?

Motivé et mobilisé, je le suis, mais révolté aussi. Un exemple : l’entreprise Desseilles à Calais. Si nous n’avons pas à contester une décision du tribunal administratif, nous pouvons cependant nous interroger : une décision du tribunal administratif de Lille, début décembre 2015, a annulé le licenciement de cinq ex-salariés protégés de ce dentellier, l’obligeant à les réintégrer dans l’entreprise, pour un coût global (réintégration, deux années d’arriérés et indemnités de licenciement) de près d’un million d’euros. Le droit est tellement complexe, parfois tellement contradictoire qu’on arrive à la situation ubuesque que cette entreprise historique en train de retrouver espoir, marchés et finances va s’en trouver délibérément mise en faillite. Cela veut dire 130 emplois industriels supprimés à Calais, alors que tous devraient justement être mobilisés pour ce patron et ses salariés qui le soutiennent. Au contraire, on leur met la tête sous l’eau et, pour en rajouter un peu, huit jours avant Noël, l’entreprise fait l’objet d’un contrôle fiscal ! C’est fou, totalement déconnecté de la réalité ! Il y a là deux mondes, celui des discours qui vont bien, mais aussi toute une machine qui n’est pas encore rodée aux défis de l’entreprise. Notre discours n’est pas de refuser l’État et les règles. Les chefs d’entreprise veulent mieux d’État, mieux de réglementation, plus d’accompagnement. C’est comme cela que l’on gagnera. On ne gagnera pas les uns sans les autres, mais les uns avec les autres. C’est de plus un très mauvais signal envoyé aux entrepreneurs : surtout n’embauchez pas, ne franchissez pas de seuils. Le chef d’entreprise qui pourrait être confronté à la problématique des salariés protégés va rester en dessous des seuils ou investir ailleurs. C’est trois fois dramatique ! La difficulté, c’est que le temps du politique n’est pas le temps de l’économie. Le chef d’entreprise ne peut pas attendre que le tribunal ait décidé, que le gouvernement ait envie de mettre en route une simplif ication. La mondialisation oblige à toujours plus de réactivité. Ce ne sont plus les grosses entreprises qui vont manger les petites, mais les entreprises agiles qui vont manger les moins agiles. Les chefs d’entreprise ont besoin d’un État agile, ce qu’il n’est absolument pas pour l’instant. Formons le voeux que le Conseil régional, avec toutes ses compétences un peu plus ciblées au niveau économique, se mette dans cette agilité.

Comment va le Medef régional ?

Le Medef Nord–Pas-de- Calais va bien. Syndicat interprofessionnel, il rassemble à la fois les territoires, comme l’Artois, le Cambrésis, la Côte d’Opale, le Valenciennois, et les branches professionnelles, l’UIMN, la plasturgie, le bâtiment… Il va bien parce qu’il est équilibré dans la représentation et la mobilisation de ses territoires et de ses branches. Tous ses acteurs sont mobilisés et se sont donné les moyens de leurs ambitions, des collaborateurs qui s’impliquent pour défendre les problématiques de formation professionnelle, d’environnement, et représenter les entreprises dans de multiples institutions. Il sait être force de propositions et a su apporter ses contributions lors des élections régionales autour d’un travail qui a amené territoires et branches professionnelles à faire 50 propositions. Le Medef est un mouvement en train de bouger pour accueillir davantage de jeunes, de femmes, d’entreprises notamment issues des nouvelles technologies. Le Medef se veut de plus en plus le représentant des TPE, des PME, des ETI aux côtés des grandes entreprises. Toute cette dynamique fait incontestablement du Medef Nord – Pas-de-Calais un Medef atypique et important. Si le président Gattaz m’a confié la vice-présidence déléguée du Medef en charge du pôle “branches, territoires et mandats”, c’est pour mutualiser et partager bonnes pratiques.

Comment booster son dynamisme, sa représentativité, son poids auprès décideurs, notamment politiques ?

message que je fais passer, c’est de faire oeuvre pédagogie vis-à-vis nos salariés tant il est important de les associer à réussites, à nos échecs à-vis de l’administration, élus. L’ambition que portons pour le Medef Nord–Pas-de-Calais, c’est être l’acteur de référence incontournable pour celui veut parler de l’entreprise, qu’il soit lui-même d’entreprise quand il a problématique de chef entreprise, mais aussi syndicaliste, salarié. tous se disent : c’est au Medef que je vais trouver les acteurs de l’entreprise.

En juillet dernier, vous ciblé votre université d’été sur la jeunesse l’intitulant “Les jeunes prennent la relève”. Quel bilan en tirez-vous et où en êtes-vous ?

Nous avons initié un sacré défi, même s’il n’est pas encore gagné. Il crée une véritable dynamique. Pour l’acteur incontournable référence de l’entreprise, nous ne pouvons laisser le côté de la route cette nouvelle génération d’entrepreneurs. Notre défi, c’est comment les accueillir, les former, les intégrer, comment leur confier des responsabilités. Nous sommes convaincus que l’organisation patronale doit évoluer savoir confier certaines responsabilités à de très jeunes chefs d’entreprise qu’ils en découvrent le fonctionnement et demain prennent la relève. Nous ne cherchons pas à ce que tout le monde soit chef d’entreprise. Si nous avons la chance d’avoir des hommes et des femmes prêts à se battre, à aller au charbon, passionnés pour développer leur entreprise, c’est génial. Donnons-leur les moyens de s’exprimer et d’aller de l’avant. C’est bon pour les salariés, le territoire, la solidarité. C’est réellement du gagnant gagnant alors que trop souvent on vous met des bâtons dans les roues ou on vous fait les poches quand vous avez réussi.

Xavier Bertrand a été élu président de la région Nord Pas-de-Calais Picardie. Votre sentiment sur cet événement régional ?

Nous ne sommes pas un parti politique mais un syndicat, nous prenons acte du résultat. Ce qui nous va bien, ce sont les thématiques mises au coeur de son programme comme l’emploi, l’apprentissage, les infrastructures, les pôles de compétitivité, qui sont autant d’enjeux indispensables pour notre territoire et pour les entreprises. N’oublions pas toutefois que les emplois, cela ne se décrète pas et qu’il faut des employeurs pour créer des postes. Nous voyons deux opportunités dans cette élection : la première, que le dialogue entre le Conseil régional, les départements et la Métropole européenne de Lille se présente plutôt bien; la seconde, que le Conseil régional soit l’acteur clairement identifié dans le développement économique. Si tous ces acteurs travaillent ensemble, nous sommes convaincus qu’il y a là des outils pour créer des effets de levier et du développement économique et social dans notre région qui en a grandement besoin. Sans entrer dans le détail de nos 50 propositions, deux nous tiennent à coeur : que nous soyons systématiquement associés en amont pour coconstruire les politiques régionales et que toutes les délibérations soient menées à l’aune de la création de richesses et de l’emploi. Nous réfléchissons à la mise en place d’indicateurs de l’évolution du travail du Conseil régional sur la base de ces deux impératifs. Nous sommes dans les startingblocks pour partager nos idées, nos préoccupations, nos inquiétudes…

Tous les élus, de Conseil régional, conseils départementaux entendent faire de la lutte contre le chômage, pour l’emploi, une priorité. Le pacte de responsabilité n’a pas répondu, semble t-il, aux attentes. Quelles contributions pouvez-vous apporter ?

S’il n’y avait pas eu le CICE, nombre d’entreprises auraient eu un bilan négatif et, de fait, le niveau de rentabilité des entreprises a un peu augmenté, sauf que le gouvernement veut que ça crée des emplois demain matin ! Les chefs d’entreprise embauchent quand ils ont les moyens et de la visibilité. Ce qui est dommage, c’est la confusion : le CICE est une bonne mesure, mais à côté il y a les lois sur la pénibilité, sur les cessions d’entreprise, les complexités de la soit-disant modernisation du dialogue social, autant d’éléments brouillons et bruyants en termes de visibilité. Les chefs d’entreprise demandent un pacte de confiance quand, malheureusement, beaucoup de mesures législatives sont des pactes de défiance. L’essence même d’un patron, c’est d’être un développeur. Fera-t-on un jour confiance aux hommes de terrain, à ceux qui créent l’emploi ?

La conjoncture n’est toujours pas des plus florissantes. Comment s’en sortir ?

Très clairement, on ne voit toujours pas le bout du tunnel. Certes, il y a des signes positifs comme l’intérim qui remonte un peu, mais le mauvais indicateur, c’est l’investissement qui ne repart pas. Si les moyennes et grandes entreprises disent investir, elles précisent que ce n’est plus ici. L’investisseur a besoin de visibilité, de lisibilité qu’il n’a pas chez nous. On a besoin d’une administration qui nous accompagne, qui ne nous freine pas, d’élus qui nous comprennent, nous avons envie de travailler avec eux. Nous aimons notre région, nos salariés, mais il faut bouger, et vite. On en prend le chemin, mais cela ne se fera pas d’un coup de baguette magique. Il faut faire preuve de pédagogie pour expliquer qu’il faut relever ses manches. Elus et chefs d’entreprise ont cette responsabilité. Sinon on va au-devant de catastrophes. C’est un combat passionnant que de mobiliser sur une ambition collective. Me faut-il rappeler la règle des cinq V de Pierre Gattaz ? Ceux, nécessaires, de vision, de valeur, de vérité, de volonté, pour enfin avoir le V de victoire.

Jean-Luc DECAESTECKER